Une femme s’engage-t-elle dans l’armée pour Voir du pays? Et comment gère-y-elle la violence qu’elle voit, provoque, subit ? C’est le propos du deuxième film de Delphine et Muriel Coulin. Et c’est formidable.
Deux femmes et l’armée
Deux femmes, l’armée française et sa présence en Afghanistan. Comme le bataillon auquel elles appartiennent, Marine (Soko) et Aurore (Ariane Labed) débutent un stage de décompression à plusieurs milliers de kilomètres des zones de combat. A Chypre, dans un resort 5 étoiles, au milieu de touristes occidentaux qui n’en en pas grand chose à faire.
Ce stage a vocation à réhabituer les militaires à la vie civile, à débriefer leur mission et à les aider à oublier leurs traumatismes. En trois jours, autant dire que le programme est chargé. Entre séances intensives de sport pour garder la forme et entretenir leur corps, entre jeux vidéo et un certain ennui, le bataillon revient sur sa mission auprès de psychologues. Plus particulièrement sur un ratage, ratage sur lequel ils sont loin d’être tous d’accord.
Voir du pays : restons groupés !
Du coup, le groupe se disloque. Il n’y a bientôt plus ni amitié de longue date, ni histoire commune qui vaillent. Marine et Aurore qui se connaissant depuis l’enfance et se sont engagées ensemble, vont comme les autres devoir affronter les démons qui veillaient : la trahison, la violence, les dérapages, le sexisme…
Impossible qu’elles sortent indemnes ni de leur passage dans l’armée, ni de leur mission en Afghanistan, ni même ces 3 jours qui les marqueront à vie. Mais que retiendront-elles? Que la fonction et l’uniforme offrent une protection bien fragiles. Que la cohésion d’un groupe ne vaut que dans un contexte déterminé. Qu’une violence subie est un trauma en puissance et une bombe à retardement dangereuse. Finalement, que la nature ou l’habitude reprennent leurs droits.
Engagez-vous, qu’ils disaient!
En s’intéressant à l’univers clos d’un bataillon militaire envoyé en Afghanistan, Delphine et Muriel Coulin se démarquent vivement de la production habituelle. Parce qu’elles ne signent pas un film de guerre, mais un film sur une armée hors zone de combat. Et parce qu’elles s’intéressent spécifiquement à deux profils différents : deux jeunes femmes que l’enfance a lié d’une amitié solide et que leur ville de naissance, Lorient, a poussé à s’engager. L’ont-elles fait pour Voir du pays? par dépit? Par goût du défi et de l’aventure?
De ce stage intensif, elles reviennent déçues, bafouées sans plus aucune illusion ni sur les hommes, ni sur l’humanité. Elles y ont laissé leurs valeurs et leur force et n’y ont gagné aucune reconnaissance. Comme les hommes? Sans doute, sauf que le prix à payer fut pour elles encore plus cher. Beaucoup plus cher.
L’armée et ses valeurs viriles
Adapté de son roman, Voir du Pays, primés à plusieurs reprises lors de sa publication, ce film intense, original est merveilleusement porté par deux natures : Ariane Labed et Soko, qui donnent une force butée et contrariée à leurs personnages revenus de tout. Elles sont entourées de vrais anciens soldats. L’un d’entre eux, Sylvain Loreau, a été démineur en Afghanistan. Il en est revenu traumatisé de guerre.
Cette volonté quasi documentaire donne une crédibilité parfaite à cette histoire et à son contexte, à son horreur aussi. En plongeant leurs héroïnes au coeur d’une entité masculine où la virilité est une valeur forte, les soeurs Coulin interrogent, après 17 filles, la féminité et le corps des femmes dans notre société. C’est fort, puissant et d’une originalité bienvenue.
Voir du pays, un film rare
C’est sans contexte un des rares films qui traite de la place des femmes dans l’armée, à aborder de front leur engagement et à ne pas se contenter de parler de l’attente des femmes de militaires ou des dérives de la vie des soldats en vase clos. Un film indispensable, puissant, très bien filmé, reparti de Cannes 2016, avec le prix du scénario Un Certain regard. Grandement mérité!
De Delphine et Muriel Coulin, avec Ariane Labed, Soko, Ginger Roman, Karim Leklou, Sylvain Loreau, Damien Bonnard…
2016 – France – 1h42
Voir du pays a reçu le prix du scénario à Un Certain Regard 2016.
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