Quand Agnès Varda tire sa révérence, elle le fait face au public et devant une camera. Et cela donne une discussion filmée, Varda par Agnès, visible gratuitement sur Arte replay jusqu’à la mi-mai 2019.
Varda de A à V
Une fois n’est pas coutume. Cine-Woman traite d’un film, ou plutôt d’une causerie, à retrouver sur le site d’Arte jusqu’au 16 mai 2019. Mais Varda par Agnès parle plus de cinéma que certains films exploités sur grand écran. Et puis, c’est Agnès Varda !
La photographe, la cinéaste, l’artiste, selon les époques, a depuis longtemps l’âge des bilans. À 90 ans passés, on imagine facilement qu’elle a celui de son testament. La connaissant , il ne pouvait pas avoir une forme classique. Voici donc ce Varda par Agnès, une causerie filmée et structurée en deux films d’une heure au cours de laquelle elle erre dans sa vie d’artiste. La première heure est consacrée au cinéma, la seconde à sa reconversion dans le domaine artistique.
Les ficelles de Varda
Les plages d’Agnès, son film touchant et l’un de ses plus inventifs formellement, sorti en 2008, était donc celui du bilan. Il proposait une lecture de son œuvre et de sa vie, mais sans le regard définitif de Varda par Agnès. Elle y parlait de sa vie à travers sa proximité et sa passion des plages quand elle revient ici, avec méthode, sur tout ce qui a marqué son existence. Cette fois, on y est. Agnès Varda dit adieu en s’adressant directement à son public, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Et elle le fait avec grâce, humour et à sa façon si personnelle.
À priori, elle ne suit pas la chronologie de sa vie et n’aspire pas à l’exhaustivité. Elle procède plutôt par un esprit d’escalier qu’on peine à imaginer si spontané. Mais c’est aussi la marque des grands de ne pas montrer les efforts nécessaires à l’accomplissement de leurs oeuvres. Quant aux ficelles qu’elle utilise, justement, elle prend le temps de les démêler.
Varda fait son cinéma
La première causerie parle de cinéma et quasiment exclusivement. Agnès Varda y retrace ses souvenirs à partir de la rencontre improbable d’un de ses grands oncles aux Etats-Unis. Elle habitait alors à Los Angeles après le succès des Parapluies de Cherbourg de son mari Jacques Demy. Les Etats-Unis, surtout, la Chine, Noirmoutier… reviendront à plusieurs reprises lors de la discussion.
Suivant une déambulation toute personnelle, mais structurée, Agnès Varda poursuit avec Cléo de 5 à 7, un de ses films-phares ou L’une chante et l’autre pas. Elle enchaîne avec Sandrine Bonnaire et Sans toit ni loi, qui lui a valu le Lion d’or à Venise en 1985 et son plus grand succès. Puis s’attarde sur un film solaire moins connu, Le Bonheur qu’elle a tourné en 1965 avec Jean-Claude Drouot et sa famille.
L’émotion est réelle quand, dans un montage astucieux, elle aborde à la fois l’enfance et la mort de Jacques Demy, à travers Jacquot de Nantes. Varda aborde ensuite son goût pour les grands peintres et sa manière de leur rendre hommage à Hollywood, sur les murs de LA, avec Jane Birkin. Elle clôt cette première causerie sur un échec cuisant, celui des Cent et une nuits de Simon Cinéma, l’hommage au centenaire du 7ème art qu’on lui avait commandé et qui eût raison de sa carrière de réalisatrice de fiction.
Toute une vie d’artiste
Le deuxième film se concentre donc sur sa reconversion, en artiste contemporaine, largement influencée par la photographie ou le cinéma. Elle y décline à nouveau les trois-mots clés qui ont guidé sa vie : inspiration, création et partage. Elle s’enthousiasme sur l’arrivée des caméras numériques, à compter de l’an 2000, qui lui ont permis de se rapprocher de ses sujets.
Désormais, son oeuvre mêlera dans une joyeuse inventivité les gens, les glaneurs, les veuves, les pommes de terre, les expositions, à la Biennale de Venise ou à la Fondation Cartier, le recyclage de la pellicule ou des boîtes de stockage, les Justes…. De ces rencontres et de sa créativité surgit parfois un film, comme celui réalisé avec le photographe JR, Visages Villages et sorti en 2018.
De l’art de avoir parler de soi
L’oeuvre de Varda est indissociable de la personnalité d’Agnès. Elle sait y faire d’ailleurs et se livre avec un amusement et un sérieux assumés. Agnès Varda a toujours su se raconter. Elle reste la meilleure à commenter son oeuvre, riche, originale, à la fois intimiste et universelle, portée par des valeurs modernes: le féminisme, la marginalité, l’attention aux autres, le recyclage, un goût certain pour la provocation… et un talent à déjouer les contraintes qui s’imposaient à elle. Ainsi, Varda a-t-elle fait bouger les lignes. Elle restera comme une artiste reconnue internationalement, mais peut-être pas à la hauteur d’une oeuvre dont la puissance est plus cumulative que spectaculaire.
Documentaire d’Agnés Varda, co-réalisé avec Didier Rouget (Causerie 1) avec Agnès Varda, Sandrine Bonnaire, Jane Birkin et des extraits de son oeuvre
2018 – France – 1h01 et 0h55