Dans Une histoire d’amour et de désir, Leyla Bouzid montre comment la poésie arabe peut libérer un jeune homme empêché, envahi par son désir. Subtil et sensuel.
De la sensualité révélée par les mots
Formée à Tunis puis à la Fémis, Leyla Bouzid avait frappé fort avec son premier film, A peine j’ouvre les yeux. Elle y racontait le destin que se choisissait une jeune femme qui préférait la musique à la médecine. Pour son film suivant, la réalisatrice avait promis s’intéresser à un jeune homme, empêtré dans son désir que la découverte de la poésie érotique arabe libérerait.
Au départ, Leyla Bouzid avait écrit trois histoires. Seule, la plus forte a survécu aux nombreuses versions du scénario. Ahmed entre à la Sorbonne en Lettres. Le jour de la rentrée, il tombe littéralement sous le charme de Farah, une jeune femme rayonnante qui vient de débarquer de Tunisie. Un peu perdue dans la faune parisienne, elle cherche des repères. Ahmed, lui, a grandi en banlieue, dans une tour. Paris est son territoire. Enfin, le croit-il. Mais, l’effet que lui fait Farah le déboussole. Et c’est en découvrant la sensualité de la poésie arabe du XIIe siècle qu’il ne connaissait pas qu’il va enfin pouvoir transformer son amour platonique et un amour physique, total.
Une histoire d’amour et de désir, loin des clichés
Outre la beauté des textes et la valorisation de la culture arabe dans un contexte contemporain, Une histoire d’amour et de désir mélange habilement la critique sociale et l’inversion des clichés. Farah, la jeune tunisienne, est bien plus libérée qu’Ahmed. La cité qu’il habite avec sa famille, pourtant issue de l’intelligentsia algérienne, a réduit son univers et lui a construit des oeillères. Son comportement, même s’il n’est pas caricatural, est dicté par les codes de cet environnement nourri à une certaine lecture du Coran et à d’étranges mais fortes restrictions morales.
Ahmed réussit à s’en affranchir en fréquentant Farah, fraîchement débarquée de Tunisie. Elle n’a pas les mêmes conventions, ni les mêmes peurs. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir de saines valeurs morales. Surtout, elle connaît sa culture qu’elle apprécie sans la juger. Enfin, elle veut profiter de sa vie, suffisamment rendue difficile par l’exil. Elle gère sa sensualité, son désir quand Ahmed est apeuré et a du mal à exprimer le sien. A sa façon, Leyla Bouzid bouscule aussi les codes en érotisant le corps d’un homme et en en faisant un objet de désir.
La révélation Zbeida Belhaj Amor
Le processus de la libération d’Ahmed est lent, avec de nombreux allers-retours. Et c’est cela qu’a choisi de mettre en scène – avec tact – Leyla Bouzid. Il progresse à petits pas, s’interroge beaucoup tout en étant bouleversé par l’effet indéniable que lui fait Farah.
Jouant sur la réserve ce qui lui a valu de décrocher le Valois de l’acteur, Sami Outalbali impose son charme timide indéniable face à la débutante Zbeida Belhaj Amor qui est éblouissante. Elle impose sa présence à l’écran sans trop en faire et dégage une personnalité puissante aussi charmante que sensuelle tout en restant elle-même. Formidable !
De Leyla Bouzid, avec Sami Outalbali, Zbeida Belhaj Amor, Diong-Kéba Tau, Aurélia Petit
2021 – France – 1h42
Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid a fait la clôture de la 60e Semaine de la Critique au 74e Festival de Cannes. Le film a remporté le Valois de Diamant (soit le prix le plus prestigieux) au 14e Festival du Film Francophone d’Angoulême. Et Sami Outalbali, le Valois de l’acteur.