Dans Un silence, Joachim Lafosse traite du silence complice d’une mère. Intéressant mais culpabilisant. Et si le film se trompait de coupable ?
Un pacte avec le diable
Il faut du temps à Joachim Lafosse avant de parvenir à dévoiler le sujet de son film, Un silence. Et ce suspense est évidemment délicat à révéler sans spoiler.
Un silence commence par le long parcours en voiture d’une femme, Astrid, finement interprétée par Emmanuelle Devos. Elle est filmée en gros plan, de trois quarts arrière, ce qui la rend à la fois reconnaissable mais inaccessible, impénétrable. Elle le restera jusqu’au bout. Quand elle arrive enfin à destination, on sait qu’elle a dormi à l’hôtel avec son fils Raphaël, que celui-ci est parti quand elle dormait et qu’il est inculpé de tentative de meurtre.
Les longues errances qui suivent, dont celles du scénario qui gagnerait à être resserrer dans la première demie-heure, tentent de construire une intrigue par touche, presque par accident, et révèle dans la toute dernière partie du film ce dont il est question. On restera donc discret à ce sujet.
Un silence ou un déni ?
Sachez toutefois qu’Astrid est une femme qui parait absente à elle-même. Elle s’occupe comme elle peut de son fils et qu’elle a beau vivre dans un superbe hôtel particulier, elle est loin de respirer le bonheur. Elle est mariée à un avocat très médiatisé – ce qui est montré de manière vraiment maladroite-. Un avocat qui défend des enfants abusés, victimes de prédateurs sexuels. Le procès qu’il prépare à tout pour être retentissant. Entre lui et sa femme, la messe semble dite. Il ne vit que pour son boulot, s’occupe à peine des siens quand elle est en délicatesse avec leur fille et doit gérer un fils lycéen en révolte.
Astrid est une femme en retrait, sans plus aucune illusion sur sa vie, ni sur celle de sa famille. Comme si quelque chose l’avait brisée et qu’elle paie aujourd’hui le prix fort d’un courage qu’elle n’a pas eu. C’est bien cela le sujet du film : le silence du titre est le sien et les conséquences qu’il a eues. Et évidemment, il n’en est que plus retentissant.
Coupable ou victime ?
Joachim Lafosse ne la juge pas, mais le simple fait d’en faire le personnage principal du film pose problème. Est-elle complice ou/et coupable? Mais pourquoi ne serait-elle pas tout simplement victime ? D’un mari, d’un système, d’avoir pris une décision il y a longtemps ?
Quand Joachim Lafosse signait son plus beau film, À perdre la raison dans lequel une femme rompt son emprise en tuant ses 4 enfants, il ne la juge pas non plus mais construit son récit pour qu’on la comprenne. Ce n’est pas le cas ici. Astrid reste insaisissable jusqu’au bout. Comme l’étaient la femme des Intranquilles, son film précédent, dont on comprenait mal ce qui l’empêchait d’hospitaliser son mari malade. Il esquissait une piste : elle l’aimait.
Ce n’est pas le cas d’Astrid qui limite au strict minimum les interactions avec les siens, et encore plus avec son mari. Elle n’a pas de travail par exemple, pas d’occupation. Aucune, à part conduire. Et elle traverse sa vie sans aucun affect. C’est impossible d’être aussi étrangère à elle-même et depuis aussi longtemps – on comprend qu’elle s’y est pourtant résolue il y a 30 ans. Et les arguments qui expliqueraient qu’elle reste depuis tout ce temps sont trop légers pour qu’on y croit. Ou bien Astrid est la victime, la principale victime de cette situation qu’elle subit sans l’avoir choisie. Mais personne ni elle, ni les autres ne veulent lui reconnaître ce statut.
Malgré cette situation floue qui n’empêche pas leur fils d’agir, le film garde des qualités. En salaud apparemment bien sous tous rapports, et prêt à tout pour garder la face, Daniel Auteuil est fort habile. Emmanuelle Devos parvient à donner de la présence à un personnage atone. Et le scénario, même s’il traîne en longueur dans la première demie heure, n’esquive aucun des aspects du sujet. Nul doute qu’Un silence fera débat. Il ne fait qu’ouvrir un peu plus la porte à ces films post #metoo qui visent à libérer la parole des victimes d’abus sexuels ou à décrire le monstre que n’arrête pas de générer l’impunité dont nombre de prédateurs sans scrupule continuent à bénéficier. Il a, c’est sûr, cette vertu-là.
De Joachim Lafosse, avec Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil, Jeanne Cherhal…
2023 – Belgique/France/Luxembourg – 1h39
Un silence de Joachim Lafosse a été présenté à De l’Ecrit à l’Ecran à Montélimar et aux Rencontres des cinémas d’Europe à Aubenas. Il sortira le 10 janvier 2024 au cinéma.