Toni Erdmann, le 3eme film de l’allemande Maren Ade, était un des moins attendus de la compétition cannoise 2016. Il s’est vite imposé comme un des favoris pour la Palme d’or. Hélas, le jury est passé étrangement à côté, ratant ainsi l’occasion de récompenser une réalisatrice originale, audacieuse et pleinement maîtresse de son art.
De l’art d’être père
Il n’est jamais facile de dire aux gens qu’on les aime, même à son père, même à sa fille, surtout quand la vie et les kilomètres vous tiennent à distance. Winfried est un incorrigible farceur. Faire des blagues, en permanence, avec n’importe qui et n’importe où, est la meilleure manière qu’il a trouvé pour dissimuler sa sensibilité à fleur de peau.
Sa fille, Inès, lui manque. Beaucoup. Ambitieuse, carriériste, elle travaille pour une société de conseil allemande appelée à régler une transaction délicate en Roumanie. Et depuis qu’elle est à Bucarest, happée par sa carrière, elle n’a plus de temps à consacrer à son père. Même quand elle rentre en Allemagne pour son anniversaire , elle est constamment pendue au téléphone.
A vrai dire, les manières de sa fille le dégoûte, alors qu’elle a parfois honte de lui. Qu’importe. Winfried s’invite à Bucarest et devient un grippage inattendu et imprévisible dans la vie de sa fille. Et même quand elle le croit reparti, elle n’est pas au bout de ses peines. Nous spectateurs, nous sommes aux anges.
Toni Erdmann ou l’amour filial v/s la compétition internationale
Toni Erdmann, du nom d’un des personnages – mais on ne vous dira pas lequel!- est un film en équilibre précaire mais parfaitement tenu entre une déclaration d’amour magnifique, certes peu conventionnelle d’un père à sa fille et une critique acerbe du système économique actuel. Le raccourci peut sembler étonnant mais dans le film, il se tient.
Winfried adore sa fille mais désapprouve son métier, sa réussite au regard du prix qu’elle paie pour y parvenir. Habituée aux compromissions, à la rationalisation imposée par le top management des entreprises pour lesquelles elle travaille, Inès a dissous ses sentiments, ses émotions dans son efficacité professionnelle et sa capacité froide, à trouver des solutions toujours plus pertinentes d’un point de vue économique, absurdes d’un point de vue humain.
Un père et une fille
Son père Winfried n’a jamais eu ni ce talent, ni cette ambition. Pour lui, à l’inverse, l’homme et le plaisir priment. Il le paie cher d’ailleurs, poussé par son ironie perpétuelle sur les franges marginales de la société. Ce dont il semble se foutre. En revanche, il ne badine ni avec l’amour filial, ni avec les sentiments. Et le montre, à sa façon.
Comment réconcilier ce duo que tout oppose? C’est justement le miracle de ce film écrit et réalisé par Maren Ade, productrice de Miguel Gomes (Tabou, le trilogie des Mille et une nuits) et jeune réalisatrice dont seul, le second film Everyone Else est sorti en France.
Toni Erdmann, une montée en puissance vers un sommet de comédie
Dans un final époustouflant et inattendu – pour ne pas dire complètement barré! et irrésistiblement drôle – le père et la fille vont finir par se rapprocher sans abdiquer leurs principes. C’est d’autant plus intéressant que ce couple est rarement traité ainsi au cinéma, c’est-à-dire à égalité, les deux étant des adultes liés par une histoire commune mais qu’une génération distingue.
Le scénario habile, audacieux permet aux deux comédiens de réaliser une composition hors norme, évidemment plus en faveur du père fantaisiste, brillamment campé par un Peter Simonischek déchaîné mais auquel Sandra Hüller oppose une rigidité bienveillante. C’est à la fois hilarant et profond, offrant un lecture aussi drôle au premier qu’au second degré, égratignant au passage avec une ironie féroce les manières des entreprises aujourd’hui dans leurs relations humaines. Audacieux, réjouissant, intelligent.. bref, nécessaire!
De Maren Ade, avec Sandra Hüller, Peter Simonischek…
2016 – Allemagne – 2h42
Toni Erdmann de Maren Ade concourait en compétition officielle pour la Palme d’or. Il était un des trois films réalisés par une femme. Il a obtenu le prix de la Fipresci, remis par un jury international de critiques de cinéma. Il sortira en salle le 17 août 2016.