The Shameless
En Inde du nord, deux femmes déjouent leur rôle attribué de prostituées en s’aimant. The Shameless du bulgare Konstantin Bojanov renouvelle le regard sur la femme indienne sans la sauver. Anasuya Sengupta, une des deux actrices, a reçu le prix d’interprétation féminine à Un certain regard 2024.
Quelques grammes de douceur dans un monde de brutes
Fallait-il un regard étranger pour consacrer un film à deux prostituées qui tentent de s’émanciper en s’aimant ? Ce sera celui de Konstantin Bojanov, un artiste d’origine bulgare, ayant vécu des années en Angleterre et aux Etats-Unis. En voulant tirer un documentaire du livre Nine Lives écrit par le britannique William Dalrymple, il s’est finalement intéressé à la tradition indienne des devadasi qui dédiait des fillettes à la prostitution.
Au départ, The Shameless devait être un documentaire qui suivait quatre personnes d’horizons différents afin de parler d’amour, de sexe et de libre arbitre en Inde aujourd’hui. L’une d’elle était une devadasi, c’est-à-dire une jeune fille dédiée à devenir prostituée avant même d’être pubère, un système désormais aboli mais dont il reste des femmes témoins. En rencontrant une, le réalisateur bulgare a perçu la relation très tendre qui la niait à une autre travailleuse du sexe, et il a décidé de ne construire son film que sur ce duo, en inversant les rôles. Mais, il a perdu en route son idée et on comprend mal, tout au long du film, pourquoi cette jeune femme était ainsi destinée à n’être qu’une prostituée, sans qu’un autre choix de vie ne soit possible.
S’affranchir des normes
Au contraire, la jeune fille qu’il filme, Devika, veut être rappeuse et c’est ainsi qu’elle séduit une autre prostituée, Renuka, venue par hasard se réfugier dans sa communauté. Renuka a commis l’impensable, tuer un de ses clients dont on ne saisit pas qu’il était policier – pourtant, la scène d’ouverture qui décrit cela est très puissante — , elle a besoin de fuir sans pouvoir malheureusement échapper à son destin. La seule lueur de cette oeuvre noire sera donc l’amour qui va unir ces deux femmes sacrifiées l’une et l’autre sur l’autel d’une société bien plus forte et qui n’est pas faite pour elles.
Dans The Shameless (qui se traduit par celle qui n’a pas honte) que le réalisateur a mis huit ans à monter financièrement, il y a à la fois ces deux destins, cet amour salvateur et un côté très malaisant. Sans doute parce que Konstantin Bojanov a voulu embrasser trop de sujets à la fois : la corruption des politiques, de la police, le pouvoir masculin, l’amour lesbien, la détermination sociale…. Il le fait à partir d’une protagoniste mal aimable – Renuka – qui, dans sa maigreur et son dédain, parvient pourtant à s’épanouir dans cette belle relation qu’elle noue avec la (trop ?) douce Devika. L’interprète de Renuka, Anasuya Sengupta, a d’ailleurs reçu le prix d’interprétation féminine Un certain regard pour ce rôle. C’est incontestablement le meilleur atout de ce film sombre, manichéen, pas très subtil à l’endroit des enjeux de pouvoir ou de la prostitution.
De Konstantin Bojanov avec Anasuya Sengupta, Omara Shetty, Auroshikha Dey…
2024 – France/Suisse/Bulgarie/Taïwan/ Inde – 1h54
The Shameless de Konstantin Bojanov a été sélectionné à un Certain Regard au 77e Festival de Cannes. Anasuya Sengupta y a reçu le prix d’interprétation féminine. La date de la sortie française du film n’est pas encore connue.