Les Oscars se féminisent enfin
Il a fallu 93 éditions et une pandémie pour qu’une deuxième réalisatrice décroche les deux Oscars les plus prestigieux. On attend encore le réveil français !
Il a fallu 93 éditions et une pandémie pour qu’une deuxième réalisatrice décroche les deux Oscars les plus prestigieux. On attend encore le réveil français !
Emmanuelle Riva est décédée ce vendredi 27 janvier 2017 à 89 ans. Elle a connu une carrière étrange, révélée au théâtre. Icône de la Nouvelle Vague, elle est revenu sur le tard sur le devant de la scène avec Amour de Michael Haneke.
Ce qui frappe le plus quand on rencontre Michael Haneke, c’est la douceur extrême avec laquelle il vous accueille et vous répond, en opposition totale avec la violence montrée ou cachée de ses films. Comme si son cinéma servait à évacuer ses bas instincts et le rendait plus serein. Alors que ses films ont exactement l’effet inverse sur ses spectateurs.
Amour, son dernier film, primé cinq fois aux César, sacré de l’Oscar du meilleur film étranger et Palme d’Or à Cannes 2012, n’échappe pas à cette règle. Dans la salle, autour de moi, tout le monde pleurait, ému par le destin à la fois terrible et finalement si humain de cette femme, Anne, jouée par Emmanuelle Riva, que son mari tente tant bien que mal d’aider à partir dans une certaine dignité. On a déjà tout dit que la manière directe, brutale, méthodique, disons clinique avec laquelle Michael Haneke filme et Amour n’échappe pas à la règle. Rien ne nous est épargné, on plonge au coeur du quotidien d’une mourante et son agonie nous est montrée en détail.
Voilà la méthode Haneke, celle qu’il déjà utilisée pour Le Ruban Blanc, autre Palme d’or cannoise, en 2009 celle-là, où il filmait toujours aussi méthodiquement la vie quotidienne d’un village allemand en 1919 en tirant, plus métaphoriquement, l’idée que ce lieu, les méthodes d’éducation qui y avaient cours, seraient le gisement du nazisme qui allait détruire l’Europe quelques années plus tard.
Michael Haneke est allemand, né à Munich en 1942, élevé (et c’est peut-être encore plus lourd à porter) à Vienne où il a fait ses études de psychologie, de philosophie et de science du théâtre. Il a d’abord commencé à travailler à la télé et au théâtre justement, ne réalisant son premier film qu’à l’âge de 46 ans, Le septième continent en 1989. Suivront Benny’s video en 1992, 71 fragments d’une chronologie du hasard en 1994, Le château adapté de Franz Kafka en 1997 et Funny Games, la même année qui lui vaudrait sa première sélection cannoise et donc une marge reconnaissance internationale. Dans ce film, où deux jeunes gens apparemment bien sous tout rapport, déchaînent sans limite et gratuitement leur violence sur une famille en week-end dans sa maison de campagne, Haneke adopte les mêmes principes de filmage que pour Amour : une caméra frontale, descriptive, qui n’épargne rien ou à peu près avec un sadisme voyeuriste revendiqué. Il en fera lui-même un remake plan par plan aux Etats-Unis en 2007 qui n’a, ici, à peu près pas d’intérêt, le but étant d’assurer sa promotion à Hollywood, selon la stratégie américaine bien connue.
Code inconnu, son film suivant (2000) marque sa première collaboration avec une production et des acteurs français, en l’occurrence Juliette Binoche, Thierry Neuvic, en autres. La pianiste, en 2001, marque le début de ses consécrations cannoises, le film remportant le grand prix du jury et les deux prix d’interprétation, l’un pour Isabelle Huppert, sa nouvelle actrice favorite, l’autre pour Benoit Magimel. Suivront Le temps du loup en 2003, puis le subtil Caché en 2005, avec à nouveau Juliette Binoche accompagné de Daniel Auteuil et de tout un cas français.
Nul doute que son cinéma, depuis Funny Games, a ensuite pris une nouvelle dimension. Celle d’un réalisateur exigeant, qui montre dans leur réalité brute et sans concession des sujets dérangeants, concernants aussi installant dans le rôle de la victime consentante, le spectateur, lui s enlaçant aux commandes d’une manipulation qui ne dit pas son nom. Et pourtant…
Ne serait-ce que pour la persévérance de sa démarche, Michael Haneke mérite qu’on s’attarde sur son talent. Mais, attention, vous n’en sortirez pas indemne. On vous aura prévenu…
Kathryn Bigelow a son fait d’armes. Elle est la seule femme à avoir remporté un Oscar en tant que meilleure « réalisateur » et en tant que réalisatrice du « meilleur film ». C’était en 2009 pour Démineurs, un film qui avait pour fond la guerre en Irak. Et cette année-là, la concurrence était rude : son ancien mari, James Cameron, concourrait avec Avatar, Quentin Tarantino avec Inglorious Basterds ou encore Jason Reitman avec In the air.
C’était la première fois de l’histoire des Oscars, débutée en 1929, et seulement la quatrième qu’une réalisatrice était jugée apte à concourir dans la catégorie « meilleur réalisateur » et cela, après Lina Wertmüller en 1977 pour Pasqualino Settebellezze, Jane Campion en 1994 pour La leçon de piano et Sofia Coppola en 2004 pour Lost in translation.
Kathryn Bigelow revient aujourd’hui, en force avec un nouveau « film de guerre », Zero Dark Thirty – 0h30 en jargon militaire, heure à laquelle les militaires américains ont posé le pied dans la maison où se cachait Ben Laden -, un film d’une guerre larvée, celle des dix ans durant lesquels l’armée et les services secrets américains ont recherché Ben Laden après les attentats de 11 septembre. Et là encore, en filmant la guerre comme un homme, en s’intéressant surtout à des sujets qui, d’habitude, ne passionnent pas les femmes, Kathryn Bigelow devient à nouveau une sérieuse concurrente à l’Oscar du meilleur film (mais pas du meilleur réalisateur). Et peut-être encore plus cette fois-ci où elle a eu l’idée (l’audace?) de confier le rôle principal, celui de l’agent de la CIA la plus déterminée à retrouver Ben Laden et celle qui y parvient, à une femme, tordant ainsi un peu le coup à la réalité. C’est la diaphane Jessica Chastain qui s’y colle, elle aussi en lice pour l’Oscar de la meilleure actrice.
Kathryn Bigelow filme-t-elle la violence, l’action d’une autre manière que l’aurait fait un homme? Difficile à dire mais son film reste efficace, haletant, sans réelle concession. Et si certains lui reprochent de ne pas avoir de conscience, au moins, n’a-t-il pas pour pure vocation la propagande de l’armée américaine. Bigelow aura-t-elle l’Oscar? On verra, mais saluons malgré tout sa démarche volontariste d’aller piétiner là où on ne l’attend pas forcément, là où les réalisatrices n’ont pas l’habitude de se risquer.
« T’as aimé Amour ? » « Euh… disons que ça ne se pose pas en ces termes là. C’est difficile d’aimer Amour ». Amour, le nouveau film du réalisateur autrichien Michael Haneke, la Palme d’or du dernier festival de Cannes, n’est pas un film aimable. Ni au sens propre, ni au sens figuré.
C’est l’histoire d’Anne, une ancienne professeur de piano, mariée à Georges depuis la nuit des temps qui, suite à un accident vasculaire, perd peu à peu ses sens, son autonomie, sa vivacité intellectuelle pour ne plus devenir qu’un légume, une déchéance charnelle et spirituelle, un poids qui, malgré elle, va pourrir la vie et la vieillesse de son bien-aimé. Au-delà du supportable. Et c’est cette longue descente vers la mort qu’Haneke filme au plus près, crûment, quasiment comme un documentaire.
Si vous ne l’êtes pas vous-même, la salle autour de vous est généralement en pleurs, en assistant à cette fin de vie à la fois singulière et pourtant si banale de cette femme qui fut brillante et raffinée. Car rien ou presque ne nous est épargné. Conçu comme un quasi huis clos, le film quitte rarement le lit où Anne s’étiole, la suivant pas à pas vers une fin qui tarde, malgré tout, à venir. Et ce n’est pas sa fille, qui vit à l’étranger et a les problèmes de son âge (40/50 ans) et de son temps, qui, à coup de « faut qu’on » ou de « y’a qu’à », va alléger le fardeau d’un père bien éprouvé.
Comme souvent et une fois la thématique du sujet expliquée, le film d’Haneke vaut surtout pour ses acteurs. Jean-Louis Trintignant est au delà de l’excellence, toujours juste et inquiet pour celle qui fut la compagne de sa vie, quand bien même elle délirerait, deviendrait agressive ou simplement inhumaine. Isabelle Huppert, qui joue la fille, trouve le ton et l’arrogance juste, la distance qui sans l’empêcher d’être concernée la préserve de trop d’implications. J’aime moins le jeu, un peu précieux d’Emmanuelle Riva, même s’il faut reconnaître que sa performance de grande malade est extraordinaire. C’est d’ailleurs elle, cette femme de 85 ans qui recueille tous els suffrages, tous les prix et même pour la première fois de sa vie, une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice. Mention spéciale à Alexandre Tharaud, pianiste de renom qui s’essaie à la comédie avec une aisance certaine.
Inutile de vous raconter la fin, elle est évidente même si la forme n’est pas écrite à l’avance.
Reste à savoir si Amour est un grand film. Impossible à dire, même si comme Emmanuelle Riva, il est en passe de marquer l’histoire de son palmarès. Palme d’Or à Cannes en 2012, citée cinq fois à l’Oscar, le film est vénéré par les critiques du monde entier – le film a raflé trois des plus importants Pirx Lumière le 18 janvier 2013 -. C’est incontestablement un choc, plus fort que les autres Haneke, plus fort que Funny Games ou Le ruban blanc, presqu’une démonstration naturaliste de ce que le cinéma peut apporter. A vous de voir…
2012 – France/ Allemagne/ Autriche – 2h07