Sur le papier, le film ne s’adresse pas aux enfants. Il a pourtant reçu le prix du jury jeune au Festival de Locarno. Et son ton est si frais, son histoire si tristement joyeuse qu’il peut incontestablement répondre à certaines angoisses ou questions qu’ils se posent inévitablement.
Déjouer la mort…
Claudia, 22 ans, vit seule à dans une grande ville mexicaine en tant que démonstratrice dans un supermarché. Victime d’une appendicite, elle se retrouve à l’hôpital, aux côtés de Martha.
Martha a 46 ans, quatre enfants à charge, une maladie grave et incurable mais une joie de vivre à toutes épreuves. Martha invite bientôt Carla à rejoindre sa folle maisonnée… et petit à petit, dans le chaos ambiant, Claudia va réussir à y trouver sa place.
…par la joie de vivre
Le film pourrait être le récit très triste d’une maman qui se sait condamnée et qui laisse derrière elle une tribu qui n’a pas fini de grandir. En fait, c’est une véritable ode à l’entraide, à la joie de vivre, à la révélation des talents et forces de chacun, le tout raconté avec un charme enjoué et inaltérable, sous la caméra délicate d’une jeune réalisatrice mexicaine. Claudia Sainte-Luce signe ici son premier film, multi-récompensé, inspiré de sa rencontre avec la vraie Martha.
Un feel-good movie qui aborde les problèmes les plus graves sans les enjoliver et selon le précepte suivant :« ce qui ne tue pas rend plus fort ». Une superbe leçon de vie.
De Claudia Sainte-Luce, avec Ximena, Ayala, Lisa Owen, Sonia Franco…
Mariana Rondon, artiste plasticienne et cinéaste, est à ce jour la plus grande représentante du cinéma du Venezuela actuellement en pleine ébullition, la seule de réputation internationale (cf. interview d’Erick Gonzalez, le programmateur des Rencontres ciné-latino de Toulouse).
Cheveux rebelles
« Pelo Malo », littéralement « mauvais cheveux », expression locale pour désigner les cheveux frisotés, mal vus, est son troisième long métrage. Il a fait le tour des festivals internationaux jusqu’à récolter la Concha d’or à Saint Sébastien en septembre 2013.
Pelo Malo désigne donc les cheveux de Junior, un adorable garçonnet de 9 ans, qui vient de perdre son père. Il vit donc avec son petit frère, un bébé, et sa mère qui cherche à récupérer son travail dans la sécurité.
L’homme de la famille
Mais, au Venezuela, la situation économique est complexe, et les rapports familiaux aussi. Surtout quand on habite, comme Junior et sa mère, dans une cité délabrée, assez loin du centre-ville.
Junior veut des cheveux raides. Sa mère refuse qu’il soit si apprêté, toujours en train de se regarder et de se coiffer. Maintenant que le père est mort, elle pense que c’est à Junior de devenir l’homme de la famille. Et elle sera capable de tout, même de ne plus aimer son fils pour qu’il obtempère.
Manques
Pelo Malo est un film dur, sans concession, qui décrit comment un accident de la vie peut avoir pour conséquence immédiate de modifier la construction identitaire d’un être, dans une souffrance réelle et alors, même que celle-ci n’est pas entendue.
Junior a tout pour plaire et notamment les errances et les plaisirs de son jeune âge. Sa mère, malheureuse, le pousse à des responsabilités trop grandes pour lui et à une castration affective qui ne pourra que lui laisser des traces. Et pourtant, elle n’est pas responsable, juste perdue, délaissée, sans argent, trop seule pour avoir la clairvoyance de ne pas rejeter sur son fils, ces manques qui lui sont cruels.
Le Venezuela aujourd’hui
A côtés d’un duo d’acteurs formidable – le jeune Samuel Lange est à la fois charismatique, beau et hyper sensible -, ce film dresse un constat très critique de la vie quotidienne à Caracas, réputée une des villes les plus dangereuses au monde, où les règlements de compte sont légion, la pauvreté galopante et les droits sociaux inexistants. Et cela, sans que jamais cette fiction ne soit un réquisitoire ni politique, ni économique…
De Mariana Rondon, avec Samuel Lange, Samantha Castillo…
En Afrique du Sud, Layla (Rayna Campbell) gère seule Kane, son jeune fils, très turbulent, et sa vie. Elle vient de trouver un emploi dans une société de sécurité qui attend d’elle qu’elle passe au détecteur de mensonges les futurs employés de ses clients.
Hasards et coïncidence
Sans faire de zèle, Layla est appliquée, volontaire. Quand sa société l’envoie à l’autre bout du pays accomplir sa tâche, elle part sans frémir, accompagnée de son fils dont personne d’autre ne veut assurer la garde.
Mais, un accident de la route va mettre en péril sa probité. Par hasard, elle assiste à la mort d’un homme. Par coïncidence, son fils fait partie des employés qu’elle doit sonder. Kane est le seul témoin de cette situation. Alors qu’elle est constamment en recherche de vérités, elle va le pousser à mentir.
Le vrai du faux
C’est un film étrange, difficile à dater : son image est légèrement vieillotte, jaunie alors que son propos ne peut être contemporain. Basé sur un dilemme très puissant mais qui ne repose que sur une surenchère de coïncidences, le propos est pourtant stimulant, jouant sans cesse sur la relativité de la vérité comme du mensonge, sur les limites de la culpabilité et sur le nécessaire maîtrise d’éléments justement incontrôlables.
Mais, le rythme éminemment lent et souvent faux, l’ambiance étrangement irréelle, les coïncidences scénaristiques enlèvent à ce qui aurait pu être un vrai grand film dérangeant, porté toutefois par un beau rôle de femme. Mais, du coup, on reste extérieur à ce qui aurait dû être impliquant et l’on se pose jamais la question qui aurait dû récurrente : « qu’aurais-je fait à sa place? » Ce qui n’a toutefois pas empêché au film de recevoir une mention spéciale du jury au Festival de Berlin 2013.
De Pia Marais, avec Rayna Campbell, August Diehl, Rapule Hendricks…
Adapté d’un classique de la littérature anglaise signée Frances H. Burnett, cette version du petit Lord Fauntleroy qui date de 1980 est fidèle au roman de la fin du XIXe siècle.
Noblesse anglaise
Il raconte l’histoire d’un petit garçon qui vit avec sa mère en Amérique et dans un milieu modeste. Un jour, un homme lui apprend qu’il est l’unique héritier d’un aristocrate anglais, qui le rappelle à ses côtés. Autant l’enfant est aimable, bien élevé et sympathique, autant le grand-père est revêche, près de ses sous et peu affectueux. Pourtant, le vieil homme tombe sous le charme. A son contact, il devient un autre homme.
Luttant contre les préjugés des Anglais envers les Américains et des pauvres envers les classes plus aisées et vice-versa, ce film vaut par la leçon de vie qu’il donne, sans pour autant marteler une morale trop rigide. Cédric est un enfant pur, gentil, bien élevé mais pas docile. Il profite de sa brutale ascension sociale pour appliquer l’éducation qu’il a reçue : être heureux en faisant le bien autour de lui tout en restant fidèle à ses principes et à sa personnalité.
De Jack Gold, avec Alec Guiness, Ricky Schroder, Connie Booth..
Une femme, la soixantaine bien tenue, Cornelia, se plaint. Son fils unique, Barbu, la tient à distance, loin, le plus loin possible de lui, surtout depuis qu’il s’est mis en ménage avec une mère célibataire. Elle prétend n’avoir que lui et bien qu’il soit sans intérêt ou à peu près, elle ne jure que par lui et veut absolument jouer un rôle de premier plan dans sa vie.
Fils irresponsable
Quand Barbu a un accident de voiture qui provoque la mort d’un adolescent, Cornelia y voit aussitôt une manière de s’imposer à nouveau dans la vie de ce fils, chauffard (il roulait beaucoup trop vite).
Pitcher ce film est un risque, celui d’être dix fois plus explicite que ne l’a voulu le réalisateur Calin Peter Netzer, talent émergent de la nouvelle vague roumaine. Car de démonstration, de sermon appuyé, il n’y en a point dans cette chronique dramatique d’une famille aisée de la Roumanie post-Ceaucescu.
Parvenue roumaine
C’est un des premiers intérêts de ce film déroutant et émouvant. Il dresse un portrait sans concession des classes privilégies roumaines. Le père de Barbu est chirurgien, sa femme décoratrice a choisi de ne plus travailler, mais leur réseau est influent et ils ont de l’argent. Suffisamment pour limiter la condamnation de leur fils, pour tenter de corrompre des témoins, pour en proposer aux parents du défunt, bref pour faire à peu près n’importe quoi et se sentir au-dessus des lois, des autres…
Ce qui a le don d’exaspérer Barbu. Lui aimerait bien avoir une certaine droiture, mais il en est incapable, anéanti dans ses moindres désirs, ses moindres initiatives par une mère sur-protectrice. Le pire c’est qu’il paie au prix fort une attention que mériterait son père, si sa mère n’avait pas fait abstraction de sa vie de femme.
Manipulatrice hors pair
En navigant ainsi au plus près des réactions des uns et des autres, on saisit par touche la manipulation dont est capable cette mère déterminée et dynamique, prête aussi bien à s’humilier un moment pour mieux reprendre des forces et de l’entregent afin de s’imposer plus tard, sous prétexte d’agir pour le bien d’autrui.
Et pour mieux montrer l’étau dans lequel se retrouve ce grand fils, sans grande personnalité, qui a beau reproché mais n’est jamais entendu, Calin Peter Netzer a choisi de ne pas lâcher d’une semelle cette mère qu’il filme au plus près, affirmant sans relâche qu’elle est le cœur du problème et qu’elle ne laisserait sa place pour rien au monde.
Actrice parfaite
Plusieurs scènes sont à cet égard particulièrement vibrantes : celle où Cornelia décide d’affronter sa belle-fille qui finit par lâcher prise et raconter une intimité qui ne la regarde pas, celle finale où elle rend visite aux parents endeuillés, devant la douleur desquels elle ne parvient même pas à s’effacer, toute obnubilée qu’elle est par son malheur à elle. On dirait ma mère…
Bravo à Calin Peter Netzer d’être ainsi parvenu à filmer l’indicible, avec intelligence et retenue. Ce talent lui a d’ailleurs valu d’être sacré Ours d’Or et prix Fipresci à Berlin en 2013. Luminita Gheorghiu, qui joue Cornelia, n’aurait pas volé non plus le prix d’interprétation féminine, revenu à la chilienne Paulina Garcia, pour Gloria de Sebastian Lelio.
De Calin Peter Netzer, Bogdan Dumitrache, Ilinca Goia…
Il est étrange, Stephen Frears. Capable des meilleurs films comme des moins bons, surfant avec une boulimie rare d’un sujet à un autre sans qu’il y ait le moindre rapport entre eux comme s’il manquait de discernement.
Quête maternelle
« Philomena » est donc une production de basses eaux. Une page vite tournée, un sujet traité avec un certain sens de l’artisanat mais sans grande conviction. Au contraire de certaines perles qu’il a pu signée auparavant dont le merveilleux « Mme Henderson présente » avec déjà Judy Dench. Après avoir campé dans ce sublime hommage aux cabarets de l’entre deux guerres une veuve riche et audacieuse, Judi Dench joue ici une infirmière à la retraite, de condition fort modeste, hantée par un drame affreux.
Alors qu’elle était jeune fille, dans la très catholique Irlande des années 1950, elle a fauté et eut un enfant de cette union furtive. Emprisonnée dans un couvent – et l’on sait depuis « les Magdalene Sisters » de Peter Mullan quel enfer était réservé aux jeunes filles dans ces établissements-, Philomena est traitée en esclave, à la buanderie, et a le droit de voir son fils une heure par jour… jusqu’au jour il est adopté, sans son consentement à elle.
La catholique et le renégat
Voilà 50 ans que ce fils est né, et Philomena n’a plus eu la moindre nouvelle de lui depuis les années 1950. A la faveur d’une rencontre inattendue avec un journaliste désabusé et arrogant, elle va mener l’enquête et ce qu’elle va découvrir est particulièrement surprenant. A son contact, le journaliste va apprendre à la considérer, elle et ses convictions religieuses et terre-à-terre qui sont à mille lieues de son univers quotidien.
Si l’histoire de la quête est assez captivante, puisqu’avec Philomena, on va peu à peu découvrir qui était ce fils manquant (et elle a de la chance, il a eu un parcours hors du commun – le film est paraît-il tiré de faits réels), Frears rend ici le service minimum : la réalisation est banale, sans efforts, les personnages campés dans leurs attitudes et leur alliance de circonstances dégage juste ce qu’il faut pour rester polie.
Frears peu inspiré
Alors que les deux sujets majeurs (la quête du fils, l’atrocité religieuse) prêtaient autant à se poser des questions qu’à soulever des émotions, rien ne transparaît ici. Seul, le dandysme débonnaire de Steve Coogan, producteur, co-auteur et interprète du film, fait plaisir à voir. On attendait plus… même si le film a été récompensé du prix du scénario au Festival de Venise 2013 (une récompense étrange car le scénario n’a rien d’exceptionnel). Espérons, après ce passage à vide amorcé après « The Queen » en 2006, que Frears retrouve l’inspiration pour le biopic consacré à Lance Armstrong qu’il prépare actuellement. Wait & see…
Vous connaissez forcément Guillaume Galienne, cet acteur au physique suranné et étrange (grosse tête, cheveux frisés), croisé à la télévision, dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, dans Astérix et Obélix : au service de sa majesté, sur les planches de la Comédie Française et à la voix reconnaissable entre 1000. Son phrasé, précieux, son intonation féminine, sont devenues une patte qu’il utilise à l’envi en lisant des extraits de livres (de classiques surtout) sur France Inter.
Une voix de femme
Parlons-en justement de sa tonalité aigüe et apprêtée. Car, c’est justement le sujet de son premier film en tant que réalisateur.
Troisième garçon d’une famille de la grande bourgeoise de l’Ouest parisien, Guillaume a toujours eu un statut particulier au sein de sa fratrie : sous la coupe de sa mère, une forte tête autoritaire, désabusée et pas très tendre, qui a décrété depuis toujours que Guillaume était une fille. Et lui a grandi ainsi, en jouant à porter des robes à la Sissi, en se frottant de manière rugueuse aux passions masculines, bref en ne trouvant jamais sa place, ni au pensionnat, ni dans une équipe de natation ou de rugby. Guillaume est peureux, couvé, à part, moqué, insulté même parfois, incompris par tous… sauf pas Maman. Et pourtant rien n’est évidemment aussi simple…
Théâtral
Adapté de sa pièce de théâtre au titre éponyme, le film aurait justement mérité qu’il s’en détache puisque les allers retours avec la scène n’apporte pas grand-chose (sauf à la toute fin du film) et ont tendance à couper plus qu’à structurer un récit qui évolue par saynètes mais aurait mérité d’être un film intégral.
A part cela, le film est passionnant et bourré d’excellentes idées, parfois empruntées à la pièce. Comme le fait que Guillaume Gallienne joue à la fois son rôle et celui de sa mère.
Responsables, pas coupables
Outre la question de l’identité sexuelle abordée dans de nombreux films depuis plus d’une vingtaine d’années, cette comédie au comique enlevé (mais est-ce une comédie au fond ?) pose des questionnements encore plus profonds et peu traités jusqu’alors. : la responsabilité des parents, père et mère, dans la construction identitaire d’un enfant, le rôle de la peur dans la construction d’une personnalité… des problématiques majeures même en dehors de l’aspect sexuel (même si celui-ci reste fondamental).
De et avec Guillaume Gallienne, André Marcon, Françoise Fabian, Diane Kruger, Reda Katheb…
2013 – France – 1h25
Les autres sorties du 20 novembre traitées par cine-woman :
Borgman, étrange film du néerlandais Alex van Warmerdam
La maison à la tourelle, hommage touchant à Katerina Golubeva et à l’écrivain russe Friedrich Gorenstein
Ce film triste, dur s’inspire d’une nouvelle autobiographique de Friedrich Gorenstein, un écrivain russe marquée par son enfance durant la Seconde Guerre Mondiale. Gorestein est le fils d’utopistes convaincus que le communisme s’étendrait au monde entier. Son père fut pourtant fusillé car juif sans autre forme de procès. Sans nouvelles de lui, sa mère se rend à Moscou et quand elle découvre la vérité, décide de repartir en Ukraine par le train. Mais, elle tombe malade durant le trajet.
Se débrouiller et survivre
C’est là que le film commence, quand la mère est emmenée à l’hôpital. Son fils, 9 ans, a la charge de leurs affaires, d’alerter son grand-père. Il doit aussi retrouver sa mère. Il parvient à tout faire, sachant à peine lire et écrire, et même à poursuivre son voyage. Mais, on est en hiver 1944 et l’époque est plus à la survie et à l’individualisme qu’à l’entraide.
Dans un noir et blanc un peu nostalgique, qui livre de belles images sur la vie désolée en URSS, ce film difficile repose sur la justesse de l’acteur très sensible qu’est le jeune Dmitriy Kobetskoy, un jeune orphelin d’Odessa découvert après un long casting. Katerina Golubeva qui joue est sa mère signe à ses côtés sa dernière performance.
D’Eva Neymann, avec Dmitriy Kobetskoy, Katerina Golubeva, Mikhai Pvekksla…
Jane Campion mérite une exception. Que Cine-Woman délaisse le cinéma stricto sensu pour parler d’une série TV, « Top of the lake » diffusée désormais en VOD sur la plate-forme d’Arte. Mais, du cinéma, « Top of the lake » en regorge. Bien plus que certains films.
Jane Campion, seule réalisatrice à avoir remporté une Palme d’Or à Cannes, n’est pas l’unique réalisatrices de « Top of the lake » mais elle en est l’inspiratrice, la productrice, la co-scénariste auprès de Gérard Lee… Elle l’a bel et bien dirigé un épisode sur deux confiant les autres à un certain Garth Davis. Et sa « patte » ne fait aucun doute : les paysages de Nouvelle-Zélande sont sublimés par sa camera et l’intrigue volontiers teintée d’un féminisme très original lui ressemble parfaitement.
Thriller incestueux
L’ensemble de la série est une longue intrigue policière particulièrement retors et complexe. Mais, c’est aussi beaucoup plus que cela. L’histoire débute par une image, vécue par Jane Campion. Tui, une jeune fille de 12 ans, habillée en uniforme d’école, s’enfonce lentement dans un lac glacial. On découvrira par la suite qu’elle est enceinte. Robin, une policière de la brigade des mineures est justement dans le coin –elle en est originaire, y a grandi et venait rendre visite à sa mère malade -. Pour elle, c’est un cas d’espère qu’il faut absolument résoudre (on comprendra pourquoi plus tard). Elle s’y emploiera hors de toutes limites.
Et Robin (Elisabeth Moss, l’ambitieuse de Mad Men) aura fort à faire : non seulement le commissariat est peuplé d’hommes plutôt rustiques, managé par un chef raffiné mais à la moralité douteuse, mais Tui est la fille de Matt (Peter Mullan), un baron local de la drogue qui a un étrange rapport aux femmes (à sa mère et à sa fille notamment) et règne en maître sur un monde qui lui est dévoué. Et puis, Robin doit s’occuper de cette mère malade, mère qui a une ample connaissance des moeurs locales sans les révéler à sa fille. Et Robin renoue aussi avec des vieilles connaissances…
Paradise, lieu d’épanouissement féminin
Enfin, il a cette immense domaine, Paradise, situé en bordure du fameux lac, bordé par des montagnes majestueuses qu’une communauté vient d’acquérir au nez et à la barbe de Matt qui revendique un droit de propriété absolue sur cette terre où sa mère est enterrée.
La communauté de Paradise a une particularité : elle n’est composée que de femmes brisées par la vie. Des femmes violentées, désaimées, qui tentent ici de se reconstruire grâce à l’étrange sagesse de leur gourou : la mystérieuse GJ, une sorte de sorcière aux longs cheveux blancs qui économise ses mots mais s’avère fin psychologue. Elle est interprétée avec distance par une Holly Hunter (La leçon de piano) méconnaissable.
L’histoire commence vraiment lorsque Tui va y chercher refuge. Le lendemain matin, elle a disparu et personne ne sait ce qu’elle est devenue…
Pas un manifeste féministe…
Outre la réalisation qui est vraiment spectaculaire – les paysages crèvent littéralement l’écran, la nature s’imposant à cette communauté rurale jusque dans leurs réactions entre humains, les personnages sont tous d’une originalité troublante, d’une consistance épaisse, l’intrigue est machiavélique à souhait- , ces six épisodes, parfois un peu âpres à avaler d’un seul coup, interrogent tout du long le rôle, la place de la femme dans la société. Et pas seulement là-bas dans les montagnes. Ici aussi.
« Ce n’est pas une manifeste féministe », déclare Jane Campion, et elle a raison. Mais, « L’identification, c’est une porte d’entrée dans cet autre monde créé par le cinéma. Donc cela m’est naturel de raconter des histoires du point de vue d’une héroïne. Il y a tellement peu de réalisatrices, alors si en plus il faut faire des films sur des hommes… Mais peut-être le ferai-je un jour, qui sait ? La sous-représentation des femmes dans le cinéma, c’est un sujet qui donne envie de bâiller et de grincer des dents à la fois. Que rien n’ait changé depuis tout ce temps, c’est d’un tel ennui ! À mon avis, ce qu’il faudrait, c’est qu’Abraham Lincoln revienne et en fasse un décret : « Que la moitié des films dans le monde soient mis en scène par des femmes.» Mais ça ne risque pas d’arriver ».
… Un film féminin
Tout est dit. Et la manière dont elle s’intéresse avec humour à cette communauté de femmes malmenées par la vie, elles qui sont hors des canons de beauté habituelles et dont elle les confronte à la grossesse d’une toute jeune fille, d’une enfant même, est d’une subtilité bien plus intéressante que ne l’aurait été un manifeste plus revendicatif. Et que l’enquête soit menée de bout en bout par une jeune femme en plein questionnement sur sa filiation et ses engagements affectifs est d’une portée vraiment passionnante.
De Jane Campion et Garith Davis, avec Elisabeth Moss, Peter Mullan, Holly Hunter, Thomas M.Wright, Jacqueline Joe
Diffusion sur Arte des trois premiers épisodes le jeudi 7 novembre, des trois derniers le jeudi 14 novembre à partir de 20h50.
En 1950, Billy Wilder tourne « Boulevard du Crépuscule », sublime film qui ausculte, à travers le destin et les névroses d’une ancienne star du muet, les démons du système hollywoodien. Lui y est arrivé au milieu des années 1930 comme scénariste et talent désormais indésirable en Europe.
Il ne lui a fallu que quelques années pour y percer et en 1950, le cinéma lui doit déjà quelques films incontournables qu’il a soit scénarisés, soit réalisés : « Ninotcha », « Assurance sur la mort », « La valse de l’empereur », « la scandaleuse de Berlin ». Doué d’une intelligence exceptionnelle (tous ses films le prouvent), Billy Wilder n’a eu besoin que de quelques années pour comprendre que les chimères de l’univers dans lequel il évolue et pour se donner les moyens de le critiquer ouvertement mais subtilement.
Crépusculaire
Il faut croire que le sujet le hante, car en 1978, pour son avant-dernier film, il s’y attaque à nouveau avec la même hargne, la même violence rentrée. « Fedora » traite du même thème que « Boulevard du Crépuscule », mais en négatif. Et la désillusion est encore plus cruelle.
Barry Detweiler, un producteur fauché tente de se refaire en proposant un rôle, l’ultime rôle, à celle qui fut en son temps la star des stars, Fedora. Mais, depuis des années, l’actrice vit retirée de tout et de tous dans une maison isolée et inviolable sur une petite île proche de Corfou. Barry brave les obstacles et les interdits pour tenter de la rencontrer. Il finit par parvenir et ce qu’il y découvre est encore pire que ce qu’il aurait pu imaginer…
Garbo en modèle
Bien moins connu que les autres films de Wilder, Fedora revient donc aujourd’hui en version restaurée. La couleur un peu passée de la fin des années 1970 lui donne un charme suranné. Le réalisateur a aussi un peu perdu le sens du rythme qui donna un tempo formidable à ses comédies. Mais, son propos est tellement puissant, son histoire tellement cruelle que, même si son talent est un peu fatigué, (Wilder le tourne à 72 ans et s’est épuisé à le faire financer – il n’a trouvé de l’argent qu’en Europe, ce qui fait de Fedora son film tardif le plus européen- ), Fedora reste un grand film qui mérite dix fois qu’on s’y attarde. C’est aussi un des grands rôles de Marthe Keller, qui, bien que dissimulée, brille de toute sa beauté dans les scènes dévoilées et soutient presque la comparaison avec Greta Garbo, dont la véritable histoire aurait inspiré ce chant du cygne à Wilder.
Avec Marthe Keller, William Holden, Hildegard Knef…
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