Papa was not a rolling stone
Sylvie Ohayon : « Aie une belle vie. Ce sera ta meilleure revanche »
Grandie à la Cité des 4000 de La Courneuve sans père mais dans une vraie famille juive, violentée et insultée par son beau-père, Sylvie Ohayon s’en est sortie grâce à son goût des mots, des livres et des études. Après une riche carrière dans la pub, elle écrit l’histoire de son enfance « Papa was not a Rolling Stone » , son premier livre publié en 2011, qu’elle adapte aujourd’hui en film.
Pourquoi ce titre ?
Dans la pub, je faisais tout le temps des titres. Mais,quand il a fallu titrer mon livre, j’étais bloquée. Un ami m’a dit : « ton père, c’était pas un Rolling Stone ! ». Et c’est le moins qu’on puisse dire ! Non seulement il m’était inconnu, mais il n’était pas rock n’roll.
Il n’y a pas de référence à la chanson des Temptations?
Si, on l’entend au début du film…
Je veux dire aux paroles de la chanson : un enfant demande à sa mère pourquoi il n’a jamais vu son père, un bad boy dont on comprend en sous-texte qu’il était en prison ?
Euh… Si, bien sûr, je le disais dans le livre que mon père était un prisonnier au long cours…
Est-ce que votre film est aussi autobiographique que vous le revendiquez ?
La réalité était plus intense, donc moins crédible. Oui, c’est mon histoire que j’ai criée, expulsée quand j’étais au plus bas, en plein divorce et sans boulot. C’est mon second mari qui m’a poussée à « cracher mon histoire en la camouflant sous le désinfectant roman ». Ca a été salvateur.
Pourquoi en faire un film ?
Quand j’ai fini de l’écrire, je suis allée voir Stella de Sylvie Verheyde, un film qui m’a bouleversée. Je lui ai envoyé mon manuscrit pour qu’elle le lise et s’il lui plaisait, qu’elle adapte au cinéma. Elle a accepté de m’aider mais pas de le réaliser. Et m’a dit que j’étais folle de vouloir confier mon histoire à quelqu’un d’autre. Elle a participé au scénario, au casting et je l’ai appelé tous les soirs du tournage…
Elle vous a donné des conseils techniques ?
Elle m’a surtout aidée à révéler mes sentiments et mes émotions. Elle m’a appris à lâcher prise, à laisser couler la sève et le sang. La technique est un faux problème. Il faut surtout un point de vue et de la volonté. J’ai tenu à tourner en 35mm, à l’ancienne, sans caméra numérique, comme dans les années 1980 durant lesquelles le film se passe.
A ce propos, la reconstitution des 80’s est très bien faite, mais pourquoi vos personnages parlent-ils comme aujourd’hui?
Pas du tout ! J’ai un rapport tellement fort à la langue –j’en parle dans mon deuxième livre d’ailleurs – que je peux vous assurer que toutes les expressions utilisées l’étaient à l’époque. A la Courneuve, on disait déjà relou, rebeu, mytho, mythologue. Chez nous, la langue était plus libre, plus fleurie. Ces mots se sont diffusés et ont ensuite été rattrapés par Paris, comme le Verlan dans les années 1960.
Est-ce qu’être une fille a été une chance dans votre parcours ?
C’est difficile à dire. Je sais que dans la pub, j’ai vraiment été recrutée sur mon cul. Ca a été une claque, moi qui avais tout misé sur mes diplômes ! Mais, je ne suis pas sûre qu’en banlieue, il y ait un déterminisme sexuel. Kamel –Ouali – s’en est bien sorti par la danse.
On a finalement peu de témoignages de fille sur la vie en cité.
Moi, j’ai surtout tenu à montrer des filles qui font des études, qui ont une sexualité normale, qui tombent amoureuses. A mon époque, les rebeu, les juives, les autres, on portait de shorts, on chantait dans la rue. C’est vrai qu’il ne fallait pas dire qu’on couchait, les filles se faisaient recoudre, mais on avait le droit d’aimer. Aujourd’hui, c’est plus compliqué : tout s’est radicalisé et paupérisé. Le voile a fait son apparition, des migrants qui ne parlent pas français sont arrivés. Or, la langue était notre lien intercommunautaire.
Retournez-vous à la Courneuve ?
Souvent ! J’en suis partie à 26 ans. Mais, je vais voir ma mère et ma grand-mère tous les week-ends et je suis restée amie avec mes copines d’enfance.
En revanche, vous dîtes qu’avoir grandi sans père a été une chance.
Du coup, je n’ai pas eu de limite. Je n’ai pas eu de figure d’autorité. J’ai bâti mes propres cadres, qui sont très cohérents avec ce que je suis vraiment.
Vous n’aviez pas de père, mais bien un beau-père. Atroce en plus.
Oui, il était violent, me tapait et m’insultait tout le temps. Mais, ça glissait sur moi, parce que justement, ce n’était pas mon père. Et avoir lu Fitzgerald m’a sauvée : « Aie une bonne vie, ce sera ta meilleure revanche »
Justement, tendez-vous la main à ceux qui comme vous voudraient échapper à leur condition ?
Ecrire des livres, c’est déjà tendre la main. La seule chose que j’enseigne, c’est que quand on te fout à terre, il faut te relever. Avance, donne-leur tort. Fitzgerald, encore. La vengeance n’est jamais gagnante, la revanche, si.
En quatre ans, vous avez écrit trois livres, réalisé un film. Et maintenant ?
J’ai un contrat pour adapter mes deux livres, Les Bourgeoises et Bonne à (re)marier, au cinéma. En janvier, sort mon quatrième livre, L’une contre l’autre, une fiction qui parle du racisme anti-français dans les cités et j’ai déjà commencé à écrire le cinquième.
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