Les misérables, le film phénomène de Ladj Ly, offrent-ils une représentation si juste des banlieues ? Où sont les femmes dans les cités? C’est la question que s’est posée et qu’analyse Amandine Lagache, qui a fondé Kiziband, une plateforme blockchain pour le cinéma.
Il aura fallu 7 longs métrages et 4 sélections officielles au Festival de Cannes pour que Jacques Audiard remporte sa première Palme d’Or. Avec Dheepan, qui n’est n’est pas son meilleur film mais peut-être le plus audacieux.
Deux immenses tours des années 1970 dominent l’Est parisien. Deux tours vitrées, marron, surplombent un enchevêtrement routier, celui du périph et de l’autoroute A3, de la porte de Bagnolet et d’un accès improbable au centre commercial qui est à leur pied. Deux verrues urbaines qui ne passionnent jamais les cinéastes.
Filles perdues
Sauf Virgil Vernier, une figure montante des réalisateurs français, révélé avec son film Pandore au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en 2011, qui s’y est mystérieusement arrêté dans les entrailles de ces tours entêtantes et s’y est embourbé.
Le film commence astucieusement par une reconnaissance des lieux. Un nouveau vigile tente d’apprendre à s’y repérer. La visite pourtant guidée est brouillonne, et il erre rapidement des tableaux électriques à la terrasse découverte sans avoir véritablement pris ses repères. Nous non plus.
Amitié féminine
Qu’importe puisqu’on le quitte presque aussitôt pour suivre deux jolies jeunes femmes qui travaillent dans la tour comme hôtesses et y scellent une amitié durable.
C’est d’ailleurs la suite et le corpus du film. Il raconte cette lente déambulation de ces deux filles un peu perdues, l’une française peu farouche, l’autre moldave et plus posée, les deux cherchant à donner un sens à leur vie, des tours à une HLM de banlieue, puis à la campagne frontalière avec l’Allemagne.
Grand fracas
Cette longue errance, sans queue ni tête, représentative selon Virgil Vernier, de la modernité actuelle est donc le cœur de son propos auquel on peine à se raccrocher et qu’on comprend mal. Et pour illustrer ce mal de vivre, cette difficile construction, il compose son récit d’une succession de saynètes qui n’ont pas forcément de rapports entre elles.
La plupart de ces scènes ne sont isolément pas dénuées d’intérêt, certaines sont mêmes joliment filmées (la visite du début par exemple) mais leur juxtaposition sans lien, sans explication, les rendent finalement gratuites, pour ne pas dire cliché quand il s’égare dans les poncifs habituels sur la banlieue.
Non-lieu, non histoire
Du coup, on finit par s’ennuyer ferme dans ce premier film, long, mal construit, où l’on perd les personnages pour mieux les retrouver parfois. On sent que Vernier a fourmillé d’idées mais en refusant de les trier, de les encadrer dans une structure narrative forte, son essai ressemble plus à une fuite en avant qu’à un film bâti sur des fondations et sensations solides.
Il ne parvient jamais à transmettre ces émotions, et cela malgré le charme de ses actrices. Un premier film un peu raté donc, mais dont le montage a été retravaillé depuis et que Cine-Woman n’a vu quand dans sa versions initiale.
De Virgil Vernier avec Philippine Stindel, Ana Neborac, Annabelle Lengronne…
Vendue comme une bande de filles, ce nouveau film de Céline Sciamma consacrée encore une fois à l’adolescence féminine, est surtout l’histoire d’un destin brisé, celui d’une jeune fille qui s’est brûlée les ailes. Raté donc.
Sylvie Ohayon : « Aie une belle vie. Ce sera ta meilleure revanche »
Grandie à la Cité des 4000 de La Courneuve sans père mais dans une vraie famille juive, violentée et insultée par son beau-père, Sylvie Ohayon s’en est sortie grâce à son goût des mots, des livres et des études. Après une riche carrière dans la pub, elle écrit l’histoire de son enfance « Papa was not a Rolling Stone » , son premier livre publié en 2011, qu’elle adapte aujourd’hui en film.
Pourquoi ce titre ?
Dans la pub, je faisais tout le temps des titres. Mais,quand il a fallu titrer mon livre, j’étais bloquée. Un ami m’a dit : « ton père, c’était pas un Rolling Stone ! ». Et c’est le moins qu’on puisse dire ! Non seulement il m’était inconnu, mais il n’était pas rock n’roll.
Il n’y a pas de référence à la chanson des Temptations?
Si, on l’entend au début du film…
Je veux dire aux paroles de la chanson : un enfant demande à sa mère pourquoi il n’a jamais vu son père, un bad boy dont on comprend en sous-texte qu’il était en prison ?
Euh… Si, bien sûr, je le disais dans le livre que mon père était un prisonnier au long cours…
Est-ce que votre film est aussi autobiographique que vous le revendiquez ?
La réalité était plus intense, donc moins crédible. Oui, c’est mon histoire que j’ai criée, expulsée quand j’étais au plus bas, en plein divorce et sans boulot. C’est mon second mari qui m’a poussée à « cracher mon histoire en la camouflant sous le désinfectant roman ». Ca a été salvateur.
Pourquoi en faire un film ?
Quand j’ai fini de l’écrire, je suis allée voir Stella de Sylvie Verheyde, un film qui m’a bouleversée. Je lui ai envoyé mon manuscrit pour qu’elle le lise et s’il lui plaisait, qu’elle adapte au cinéma. Elle a accepté de m’aider mais pas de le réaliser. Et m’a dit que j’étais folle de vouloir confier mon histoire à quelqu’un d’autre. Elle a participé au scénario, au casting et je l’ai appelé tous les soirs du tournage…
Elle vous a donné des conseils techniques ?
Elle m’a surtout aidée à révéler mes sentiments et mes émotions. Elle m’a appris à lâcher prise, à laisser couler la sève et le sang. La technique est un faux problème. Il faut surtout un point de vue et de la volonté. J’ai tenu à tourner en 35mm, à l’ancienne, sans caméra numérique, comme dans les années 1980 durant lesquelles le film se passe.
A ce propos, la reconstitution des 80’s est très bien faite, mais pourquoi vos personnages parlent-ils comme aujourd’hui?
Pas du tout ! J’ai un rapport tellement fort à la langue –j’en parle dans mon deuxième livre d’ailleurs – que je peux vous assurer que toutes les expressions utilisées l’étaient à l’époque. A la Courneuve, on disait déjà relou, rebeu, mytho, mythologue. Chez nous, la langue était plus libre, plus fleurie. Ces mots se sont diffusés et ont ensuite été rattrapés par Paris, comme le Verlan dans les années 1960.
Est-ce qu’être une fille a été une chance dans votre parcours ?
C’est difficile à dire. Je sais que dans la pub, j’ai vraiment été recrutée sur mon cul. Ca a été une claque, moi qui avais tout misé sur mes diplômes ! Mais, je ne suis pas sûre qu’en banlieue, il y ait un déterminisme sexuel. Kamel –Ouali – s’en est bien sorti par la danse.
On a finalement peu de témoignages de fille sur la vie en cité.
Moi, j’ai surtout tenu à montrer des filles qui font des études, qui ont une sexualité normale, qui tombent amoureuses. A mon époque, les rebeu, les juives, les autres, on portait de shorts, on chantait dans la rue. C’est vrai qu’il ne fallait pas dire qu’on couchait, les filles se faisaient recoudre, mais on avait le droit d’aimer. Aujourd’hui, c’est plus compliqué : tout s’est radicalisé et paupérisé. Le voile a fait son apparition, des migrants qui ne parlent pas français sont arrivés. Or, la langue était notre lien intercommunautaire.
Retournez-vous à la Courneuve ?
Souvent ! J’en suis partie à 26 ans. Mais, je vais voir ma mère et ma grand-mère tous les week-ends et je suis restée amie avec mes copines d’enfance.
En revanche, vous dîtes qu’avoir grandi sans père a été une chance.
Du coup, je n’ai pas eu de limite. Je n’ai pas eu de figure d’autorité. J’ai bâti mes propres cadres, qui sont très cohérents avec ce que je suis vraiment.
Vous n’aviez pas de père, mais bien un beau-père. Atroce en plus.
Oui, il était violent, me tapait et m’insultait tout le temps. Mais, ça glissait sur moi, parce que justement, ce n’était pas mon père. Et avoir lu Fitzgerald m’a sauvée : « Aie une bonne vie, ce sera ta meilleure revanche »
Justement, tendez-vous la main à ceux qui comme vous voudraient échapper à leur condition ?
Ecrire des livres, c’est déjà tendre la main. La seule chose que j’enseigne, c’est que quand on te fout à terre, il faut te relever. Avance, donne-leur tort. Fitzgerald, encore. La vengeance n’est jamais gagnante, la revanche, si.
En quatre ans, vous avez écrit trois livres, réalisé un film. Et maintenant ?
J’ai un contrat pour adapter mes deux livres, Les Bourgeoises et Bonne à (re)marier, au cinéma. En janvier, sort mon quatrième livre, L’une contre l’autre, une fiction qui parle du racisme anti-français dans les cités et j’ai déjà commencé à écrire le cinquième.
Juliette, Bac + 5, a quitté son poste de prof pour tenter sa chance dans l’édition. Elle est d’ailleurs en course pour un bel emploi dans ce secteur. En attendant, elle va remplir comme elle peut, c’est-à-dire en faisant les courses, en s’occupant des enfants, en allant chez le coiffeur et en préparant un dîner, sa vie trépidante de femme de banlieue, exilée volontaire de la ville et de la vie active pour avoir choisi de suivre son proviseur de mari.
Remplir le vide
Ce résumé vous semble méprisant. Le film est à l’avenant. En voulant dénoncer la vie mollassonne de femmes au foyer de lointaine banlieue parisienne, la réalisatrice Isabelle Czajka a développé un parti pris contre-productif.
Non seulement, on ne parvient pas à plaindre ces femmes dans la quarantaine qui ont structuré leur vie autour des horaires de l’école et du retour du mari, qui regardent s ‘écouler leur journée en s’invitant à boire un café ou en allant faire du shopping, voire un peu de ménage. En grande partie parce qu’on ne comprend pas, à l’exception du personnage de Julie Ferrier qui a pris un ascenseur social ennuyeux (mais le confort semble à ce prix), pourquoi ces femmes ont choisi d’être les meilleurs fossoyeurs de leur vie. Elles ont épousé le conformisme (leurs maris sont gratinés, eux aussi) et finalement s’arrangent assez bien de cette frustration, suffisamment pour ne pas chercher à en briser le cercle.
Filmer l’indicible
En fait, le sujet aurait été passionnant si… la réalisatrice avait su donner du relief à l’indicible qu’elle a choisi de traiter. Ce n’est pas le cas. Le film ne raconte rien si ce n’est le vide de la vie de cette femme entre deux dîners où elle s’oblige à aller et qu’elle se force à préparer. Les personnages sont mal croqués, sans intérêt et ne représentent eux même pas grand chose. Une histoire secondaire de misère sociale est plaquée sur le récit principal, sans que rien de tangible n’en ressorte. Et je passe sur la démonstration de féminisme à la petite semaine de la scène de l’atelier littéraire.
Même la banlieue qu’Isabelle Czajka prétend filmer l’est sans talent. Pourtant, il suffit d’une seule visite à Val d’Europe et alentours pour mesurer la cinématographie des lieux. Des lotissements à l’américaine qui s’étendent à l’infini, des maison sans âme et toutes identiques, des parcours bien tracés, une vie sociale bien rangée, une Victoria Lane en copie conforme.. mais qui n’apparaît pas ici.
Loin des Desperate Housewives
C’est vrai qu’il est toujours difficile de filmer le rien, la médiocrité. Mais, la vitalité des Desperate Housewives prouve que c’est possible à condition de ne pas s’y prendre frontalement et en composant avec habilité des personnages charnels. Quant à la longue et pernicieuse descente en enfer dont seules les femmes sont capables, la manière dont elles parviennent à se résigner et à abandonner toute velléité d’épanouissement personnel, il a été filmé, et avec une autre ampleur, dans le magnifique « A perdre la raison » de Joachim Lafosse.
D’Isabelle Czajka, avec Emmanuelle Devos, Julie Ferrier, Helena Noguerra, Natacha Régnier, Laurent Poitrenaux…
Quand Brahim avait 10 ans, il habitait en banlieue parisienne, près d’une usine de grues dont son père était le gardien. Son meilleur copain s’appelait Salvador, il venait du Chili. La cour de l’usine était un terrain de jeu formidable. Steve McQueen passait à la télévision…
Trente ans plus tard, Brahim Fritah se souvient de cette enfance pleine de rêves et d’aventures, de cette année charnière où enfant, il a commencé à s’émanciper de sa famille, à se souvenir de ses rêves et où l’usine de son père a déménagé à Perpignan.
1980’s
La manière dont Brahim Fritah revient sur cette année est , au début, un peu déroutante. Il procède comme s’il feuilletait un album photo. Chaque image lui rappelle alors un évènement, une sensation, un rêve, une punition… Et c’est à partir de ces souvenirs furtifs qu’il recompose ce qui s’est passé d’important dans sa vie d’alors, à Pierrefitte-sur-Seine en 1980.
La reconstitution de l’ambiance, du rythme que l’on donnait à l’existence au début des années 1980 est extrêmement fidèle et étrangement, on plonge avec délice dans une nostalgie bienveillante qui devrait séduire autant les parents que les enfants qui jetteront un œil curieux sur cette époque révolue.
De Brahim Fritah, avec Yanis Bahloul, Rocco Campochiaro, Vincent Rottiers, Mostefa Djadjam…
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