Sans filtre
Sans Filtre (Triangle of Sadness) offre à Ruben Östlund sa seconde Palme d’or en 5 ans. Le film a divisé la Croisette, la critique et Cine-Woman.
Sans Filtre (Triangle of Sadness) offre à Ruben Östlund sa seconde Palme d’or en 5 ans. Le film a divisé la Croisette, la critique et Cine-Woman.
Complément au best-seller de l’économiste Thomas Piketty, le documentaire Le Capital au XXIème siècle revient sur la construction des inégalités depuis l’ère industrielle et explique comment mieux taxer le capital permettrait de les atténuer. C’est clair, utile et passionnant.
L’argent peut-il ruiner un couple? Et cela, même s’il n’est pas à l’origine de sa séparation? Voilà le propos de L’économie du couple, le nouveau film de Joachim Lafosse. Il a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs le 13 mai 2016 et sort en salle le 10 août 2016.
Une femme, la soixantaine bien tenue, Cornelia, se plaint. Son fils unique, Barbu, la tient à distance, loin, le plus loin possible de lui, surtout depuis qu’il s’est mis en ménage avec une mère célibataire. Elle prétend n’avoir que lui et bien qu’il soit sans intérêt ou à peu près, elle ne jure que par lui et veut absolument jouer un rôle de premier plan dans sa vie.
Quand Barbu a un accident de voiture qui provoque la mort d’un adolescent, Cornelia y voit aussitôt une manière de s’imposer à nouveau dans la vie de ce fils, chauffard (il roulait beaucoup trop vite).
Pitcher ce film est un risque, celui d’être dix fois plus explicite que ne l’a voulu le réalisateur Calin Peter Netzer, talent émergent de la nouvelle vague roumaine. Car de démonstration, de sermon appuyé, il n’y en a point dans cette chronique dramatique d’une famille aisée de la Roumanie post-Ceaucescu.
C’est un des premiers intérêts de ce film déroutant et émouvant. Il dresse un portrait sans concession des classes privilégies roumaines. Le père de Barbu est chirurgien, sa femme décoratrice a choisi de ne plus travailler, mais leur réseau est influent et ils ont de l’argent. Suffisamment pour limiter la condamnation de leur fils, pour tenter de corrompre des témoins, pour en proposer aux parents du défunt, bref pour faire à peu près n’importe quoi et se sentir au-dessus des lois, des autres…
Ce qui a le don d’exaspérer Barbu. Lui aimerait bien avoir une certaine droiture, mais il en est incapable, anéanti dans ses moindres désirs, ses moindres initiatives par une mère sur-protectrice. Le pire c’est qu’il paie au prix fort une attention que mériterait son père, si sa mère n’avait pas fait abstraction de sa vie de femme.
En navigant ainsi au plus près des réactions des uns et des autres, on saisit par touche la manipulation dont est capable cette mère déterminée et dynamique, prête aussi bien à s’humilier un moment pour mieux reprendre des forces et de l’entregent afin de s’imposer plus tard, sous prétexte d’agir pour le bien d’autrui.
Et pour mieux montrer l’étau dans lequel se retrouve ce grand fils, sans grande personnalité, qui a beau reproché mais n’est jamais entendu, Calin Peter Netzer a choisi de ne pas lâcher d’une semelle cette mère qu’il filme au plus près, affirmant sans relâche qu’elle est le cœur du problème et qu’elle ne laisserait sa place pour rien au monde.
Plusieurs scènes sont à cet égard particulièrement vibrantes : celle où Cornelia décide d’affronter sa belle-fille qui finit par lâcher prise et raconter une intimité qui ne la regarde pas, celle finale où elle rend visite aux parents endeuillés, devant la douleur desquels elle ne parvient même pas à s’effacer, toute obnubilée qu’elle est par son malheur à elle. On dirait ma mère…
Bravo à Calin Peter Netzer d’être ainsi parvenu à filmer l’indicible, avec intelligence et retenue. Ce talent lui a d’ailleurs valu d’être sacré Ours d’Or et prix Fipresci à Berlin en 2013. Luminita Gheorghiu, qui joue Cornelia, n’aurait pas volé non plus le prix d’interprétation féminine, revenu à la chilienne Paulina Garcia, pour Gloria de Sebastian Lelio.
2013 – Roumanie – 1h52
©cos-aelenei
Dose de Testostérone : Maximale
Neurones en fonction : 0
Quand j’ai ouvert cine-woman, je me suis jurée DE NE PLUS JAMAIS ALLER VOIR les blockbusters décérébrants qui hantent par centaines de copies nos salles de cinéma. Un soulagement!
Ras le bol de ces héros plus ou moins supers qui passent leur temps à sauver le monde contre des attaques imaginaires, de ces films de propagande virile qui ne servent qu’à rassurer les mâles sur leur toute puissance, de ces montagnes de muscles à la sexualité pré-ado, prêts à en découdre mais incapables de parler à une femme en regardant autre chose que le bout de leurs chaussures. C’était idiot. Tout combat mérite un ultime acte de bravoure. Il serait donc intéressant d’aller voir un tel film en le décryptant d’un point de vue féminin. Ok, mais lequel?
No pain, no gain s’est imposé tout seul. Un film signé de Michael Bay, celui à qui je dois l’un de mes pires souvenirs de cinéma où les jouets de mon fils se transformaient en machine à sauver le monde (et encore je me suis épargnée les Transformers 2 et 3) sur un monsieur muscle de Miami, campé par Mark Wahlberg, peu connu pour sa finesse d’esprit, accompagné du catcheur Dwayne Johnson, l’affiche était trop bonne.
Le début du film tient ses promesses. Mark Wahlberg, devenu « viandard » selon mon voisin de projection (un marathonien affûté), fait des abdos perché à 20m du sol quand retentissent les sirènes de la police venu l’arrêter. Très vite, il se met à raconter, en flash-backs évidemment, sa vie de coach sportif dopé aux stéroïdes et happé par le rêve américain. On est à Miami, ville réputée aussi vulgaire, clinquante que malsaine, où l’argent coule à flot et s’exhibe, les gonzesses sont des bimbos en maillot qui roulent du cul comme les mecs roulent des pectoraux. Même les dialogues sont à la hauteur, avec des phrases aussi définitives que « I believe in fitness ». Bref, je sens que je vais me régaler…
Sauf que de manière complètement inattendu, Michael Bay prend le contre-pied total du premier degré auquel il nous avait habitué. Daniel Lugo (Mark Wahlberg) et ses copains forment une bande de bras cassés de classe IN-TER-NA-TIO-NA-LE. Très forts en biceps mais zéro en stratégie d’adaptation, ils sont tellement obsédés par leur part du gâteau qu’ils font n’importe quoi. Pour commencer, ils kidnappent, dans le but de lui piquer son fric et son identité, un richissisme business man qui a le tort de se vanter de son train de vie. Mais, l’homme est ultra-coriace et rien ne se passera comme prévu.Et les kidnappeurs sont capables de tout, sauf de réagir à l’imprévu…
Tout ce qui est dans le film est vrai, paraît-il. On voit même à la fin du film les vrais protagonistes de l’histoire avec mention de ce qu’ils sont devenus. Mais, ce n’est pas le plus important. No Pain, no gain raconte une histoire complètement dingue et stupide. Sauf que Michael Bay le fait avec une habileté rare. Plutôt que de condamner ses héros en les méprisant, il les traite avec le plus grand sérieux tout en les plongeant dans les codes habituels de ces films musclés et décérébrés.
Du coup, c’est l’intelligence du spectateur qui est mise à contribution et sa capacité à prendre du recul. Contre toute attente, cette comédie tragique devient la démonstration enthousiasmante qu’un film d’action peut être une récréation sympathique, bien menée, pleine d’humour et qu’un concentré de testostérone peut être alléchant!
2013 – Etats-Unis – 2h10
© Mark Fellman. Paramount Pictures 2013
Et aussi sur cine-woman : Tip Top de Serge Bozon, Ma belle gosse de Shalimar Preuss et Enfants Valises de Xavier de Lauzanne
Trois films sont produits en Bosnie, les années les plus fastes. En voici, une rareté donc, bon, très bon même. Djeca, enfants de Sarajevo raconte le quotidien d’une jeune femme, Rahima, 23 ans, qui a la charge de son petit frère, Nedim, 14 ans. Tous deux ont perdu leurs parents durant la guerre et ils doivent s’assumer seuls, comme ils peuvent.
Pour gagner leur vie, Rahima travaille dans un restaurant où l’ambiance est aussi explosive qu’affectueuse. Le jour où son frère, en pleine crise d’adolescence, se bat avec le fils d’un ministre à l’école, leur fragile équilibre familial menace de basculer.
En filmant au plus près son héroïne, en adoptant son point de vue, la réalisatrice Aida Begic, à qui l’on doit déjà le très remarqué Premières neiges, prend le parti d’un film singulier, intimiste et à la dynamique calquée sur l’énergie inépuisable de son héroïne.
Elle revient de loin Rahima : une enfance durant la guerre, un séjour à l’orphelinat puis une adolescence rebelle, difficile, sans doute un peu (beaucoup ?) junky… Elle a vécu l’enfer et a dû batailler pour trouver sa place dans la société. La religion (elle porte le voile) l’a sans aucun doute aidée. Bref, elle sait de quoi elle parle et cherche à tout prix à protéger son petit frère de cette pente dangereuse. A l’énergie, à la volonté, bravant tous les entraves qui se retrouvent sur leur route, elle leur trace à un destin dont elle a de quoi être fière, même si ce n’est jamais ce qui la motive.
Ce portrait tout en finesse reste un témoignage puissant de la vie aujourd’hui à Sarajevo, près de 20 ans après le siège de la ville et mérite amplement la mention spéciale que le film a obtenu dans la sélection Un certain regard lors du Festival de Cannes 2012.
2012 – Bosnie-Herzégovine/ Allemagne/ France/ Turquie – 1h30