Lincoln
de Steven Spielberg
S’il est un président que les Américains vénèrent encore aujourd’hui, c’est bien Lincoln. Maintes fois incarné au cinéma, ce Républicain, moderniste prend une nouvelle jeunesse et une nouvelle dimension dans le film de Steven Spielberg. Plus qu’un biopic classique qui reviendrait sur toute sa vie, ce film se concentre sur les quatre derniers mois de l’existence du seizième président des Etats-unis, ses quatre mois les plus actifs où il a eu l’ambition de mettre un terme définitif à l’esclavage tout en cherchant à renforcer l’Union des Etats d’Amérique alors en pleine Guerre de Sécession. Et qu’il paiera de sa mort.
Ce que réalise Steven Spielberg relève de la prouesse : il parvient à rendre la réflexion et la démarche politique de Lincoln passionnante, les débats parlementaires pas rébarbatifs du tout (quand on regarde ceux de l’Assemblée Nationale à la TV, on apprécie encore plus la performance). Du coup, on perçoit avec un intérêt renouvelé le génie politique de ce personnage, ses prises de liberté avec les conventions sociales, avec certaines règles démocratiques aussi… Car, Lincoln est à peu près à tout : à corrompre, à faire du chantage, à utiliser ou à dévoiler en public toutes les défaillances de ses ennemis sans scrupule aucun, et cela dans le seul but de faire aboutir son projet : ajouter un 13ème amendement à la Constitution qui abolisse définitivement l’esclavage sur le territoire américain (et même dans le monde, puisque son ambition est sans limite), en pleine Guerre de Sécession, c’est-à-dire au moment de l’histoire des Etats-Unis où leur union fut la plus menacée. D’ailleurs, Lincoln gage alors que la suppression de l’esclavage renforcera l’Union, ce qui à l’époque où il l’annonce est très visionnaire.
Le film ne se limite pas au débat politique, mais plonge aussi au coeur de l’intimité de Lincoln, au sein des rapports très compliqués qu’il entretient avec une Mary Todd Lincoln, sonépouse dépensière, dévastée par la perte de son fils mais acquise à la cause de son mari, avec une admiration sans cesse renouvelée. Ce n’est pas la partie la plus intéressante même si en contrastant justement avec la puissance politique du Président, elle permet de relativiser la grandeur de l’homme. Le film évite ainsi l’écueil de l’hagiographie.
Il a fallu dix ans à Spielberg pour monter ce projet. Dix ans de labeur pour le scénariste, Tony Kusher, qui avait déjà travaillé sur Munich, diix ans de recherche pour finalement s’inspirer d’un livre, Lincoln de Doris Kearns Goodwin.
Quant aux acteurs, ils sont irréprochables mais sans modestie. Daniel Day Lewis s’affiche ainsi comme un nouveau hyper favori à l’Oscar, lui qui en a déjà deux. Sally Field, plus timorée, plus énervante aussi, parvient parfois à lui tenir la dragée haute. Même Tommy Lee Jones, en farouche défenseur de l’abolition de l’esclavage, est contenu, beaucoup plus que d’habitude, et c’est très bien comme ça.
On pourra aussi reprocher au film certains raccourcis maladroits, mais Lincoln reste un grand Spielberg, sans doute pas le plus facile d’accès car c’est son film le moins basé sur l’émotion facile, mais un crû exigeant qui a le mérite essentiel de réhabiliter une certaine foi en la politique, à un moment où celle-ci se dilue dans des débats stériles. Reste l’éternelle question : faut-il un grand homme pour mener une grande politique? Spielberg répond oui, sans aucune hésitation.
Avec Daniel Day Lewis, Sally Field, Tommy Lee Jones, Joseph Gordon-Levitt, James Spader, Hal Holbrook…
2012 – USA – 2h29