Le reporter de guerre Paul Marchand a raconté le siège de Sarajevo dans Sympathie pour le diable, un livre que Guillaume de Fontenay a mis 14 ans à adapter. Pour le meilleur.
Sarajevo 1992 : l’étau
Quelle fascination pour la vie ou pour l’horreur peut bien amener un reporter de guerre à suivre au jour le jour un conflit militaire inhumain? Peut-être une irrésistible attirance pour la mort et pour les situations inextricables qui y mènent. Ou au contraire pour l’Humain.
Paul Marchand était journaliste pour les radios publiques francophones. Il a couvert la guerre du Liban puis le siège de Sarajevo à partir de 1992. De cette dernière expérience, il a tiré un livre Sympathie pour le diable que Guillaume de Fontenay a lu et dont il s’est inspiré pour son premier film.
Fasciné par la mort
Paul Marchand est un journaliste brillant, clairvoyant au franc parler salué et la réputation ambigüe. « C’est l’homme le plus intelligent qu’il m’ait été donné de rencontrer », dit de lui Guillaume de Fontenay. Il ne le connaissait pas mais sa volonté d’adapter ses écrits, avec lui, leur a permis de se rencontrer. Après le siège de Sarajevo, Paul Marchand qui était correspondant de guerre pour France Info comme pour Radio Canada, s’est installé à Montréal avant de repartir à Paris où il s’est suicidé.
Le film ne traite que du siège de Sarajevo, de l’urgence à y vivre. Il parle de la mort omniprésente, celle qui percute les civils n’importe quand, n’importe comment et de la (volontaire ?) impuissance des Occidentaux à s’interposer avec efficacité. L’horreur est partout, l’Occident est complice et Paul Marchand le dit. Clairement. Il le prouve même et dénonce l’inaction des commandements militaires et politiques face à l’enfer du siège (4 ans !) le plus long de l’histoire contemporaine.
Reporter atypique parmi ses pairs
Paul Marchand ne tiendra pas les quatre ans. Le le film se referme lorsqu’il doit en partir blessé. Mais entre temps, le film de Guillaume de Fontenay nous en aura fait vivre, dans une sorte de procuration-fascination, les pires et parfois les bons moments, au plus près. Jamais le réalisateur ne lâche son personnage d’une semelle. On le suit partout, au volant de sa voiture pourrie mais poussée à fond pour éviter les tirs de la Sniper Allée, sur laquelle il a inscrit « Don’t waste you bullet, I’m Immortal », à proximité des nouvelles positions que tiennent les militaires serbes ou au milieu des proches de Boba, la jeune femme polyglotte qui lui sert d’interprète, de guide et dont il tombe amoureux.
On le retrouve aussi parmi les siens, au milieu de cette famille de grands reporters qui se suivent de conflits en conflits et qui sont aussi solidaires entre eux qu’ils sont concurrents. Paul Marchand n’est pas toujours bon camarade. Il a l’arrogance française. Mais ses collègues respectent son franc parler et surtout son instinct qui le mène là où il ne faut pas. Mais où le porte la haute idée qu’il a de sa fonction : celle de témoigner, de dénoncer, de partager.
Résister au coeur de l’enfer
Guillaume de Fontenay a mis quatorze ans à monter son film. Et son travail est formidable. Il nous plonge en direct au coeur d’un conflit aberrant dont il décrit bien les enjeux, dans ce chaudron dont personne ne peut sortir indemne. Il s’agit pourtant de tenir, de résister, de se laver à l’eau froide stockée depuis de jours, de risquer sa vie en allant chercher du pain – une des premières attaques a décimé la queue devant une boulangerie – ou en tentant d’extraire des malades qui ont besoin de soin ou de médicaments. Tout est risqué, même se tenir derrière une fenêtre chez soi.
En rencontrant Boba, sa guide et interprète, Paul Marchand épouse la cause de la population de Sarajevo. Il se fait le porte-voix de ces résistants du quotidien. Tous sont la potentielle cible d’un tireur isolé ou d’un des près de 400 obus qui tombent quotidiennement sur la ville. Guillaume de Fontenay n’en fait pourtant pas un héros. Seulement le témoin lucide d’un enjeu qui le dépasse et auquel il tente d’apporter la contradiction. Pour cela, il s’est appuyé sur le livre mais aussi sur les dialogues que Paul Marchand a écrit avec lui et deux autres scénaristes. Sympathie pour le diable n’a donc jamais l’emphase habituelle des films de guerre. Mais au contraire la précision du travail artisanal, doté d’une conscience qui leur échappe trop souvent.
Sympathie pour ce diable de Paul Marchand
Niels Schneider endosse le rôle de ce personnage entier, ambivalent. En lui donnant cette dégaine déterminée et fragile à la fois, il prouve une nouvelle fois qu’il est un des acteurs les plus intéressants du moment. Et malgré cet accoutrement presque risible : un bonnet sur les yeux et un énorme cigare aux doigts. Sa performance est à la hauteur du film: simple, honnête et donc terriblement efficace.
De Guillaume de Fontenay, avec Niels Schneider, Vincent Rottiers, Ella Rumpf, Arieh Wortaller…
2019 – France/Canada/Belgique – 1h42
Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay a fait l’unanimité au 6e Festival International du Film de Saint Jean de Luz. Il a remporté les trois prix principaux, celui du jury, du public et du jury jeune. Niels Schneider s’impose avec le prix d’interprétation masculine. Sortie le 27 novembre 2019.