Bien avant d’être membre du jury du 72e Festival de Cannes, Kelly Reichardt a imposé son talent de réalisatrice. River of grass, son premier film, inédit en France, sortira en France le 4 septembre 2019. Pour ses 25 ans !
Des héros empêchés
Les années 1990 marquent l’apogée du cinéma indépendant américain. Et c’est au cœur de ce mouvement, à New York, que Kelly Reichardt a fait ses armes aux côtés d’Hal Hartley ou de Todd Haynes.
Mais, Kelly Reichardt est native de Floride et c’est là, à la limite des Everglades – surnommés the river of grass- , qu’elle va ancrer son premier film.
Sans horizons
Comme la cinéaste, Cozy a grandi dans un de ces non-lieux typiquement américains, urbanisés autour du vide et dotés d’infrastructures plus grandes que la vie de ceux qui les fréquentent. Comme Kelly, Cosy a un père policier désabusé qui, un jour, égare son flingue.
Cosy, elle, a épousé sans amour son petit ami du lycée, eu deux enfants qui ne l’intéressent pas. Il faut dire qu’elle n’a pas de modèle : sa mère a quitté le foyer familial quand elle était enfant. Elle ne l’a jamais revue.
Mélancolie américaine
Quand elle commence à raconter sa vie sur une série de photos, dans une voix off détachée et profondément ironique, dès l’introduction du film, Cozy parle de son ennui, de sa solitude. Elle pense être seule à ressentir une telle mélancolie. Pourtant, au hasard d’une sortie dans un bar, elle rencontre Lee, encore plus désabusé qu’elle. Il sort du comté voisin et vient trouver un flingue. Ils partent ensemble et se retrouvent bientôt en cavale.
Kelly Reichardt définit River of grass comme un «road movie sans route, une histoire d’amour sans amour, une aventure criminelle sans crime ». Et c’est vrai. Mais River of grass est aussi l’histoire d’une héroïne inhabituelle, une jeune mère de famille absolument pas sentimentale, qui ne porte aucun intérêt à ses enfants et fort peu à son mari (inexistant ici). Elle s’ennuie dans son cottage modeste, planté sans grâce au milieu d’un gazon vert, au bord d’une route peu passante. Sa seule distraction reste la gym et quelques promenades en voiture cabossée dans ces paysages vides. Cozy est interprété par Lisa Bowman, une actrice elle aussi empêchée que Kelly Reichardt a rencontré dans un bar. Cozy reste à ce jour son plus grand rôle, malgré son talent et … sa souplesse.
Système D.
River of grass est aussi l’histoire d’un film fauché, tourné en dix neuf jours, sans autorisation et sauvé des tracas et confiscations de matériel grâce au père policier de la cinéaste. C’est enfin un film qui a surgi de nulle part et qui a à peine propulsé une des plus grandes réalisatrices contemporaines. Si la presse américaine sacre River of grass comme un des meilleurs films indépendants de 1995, il faudra dix ans à Kelly Reichardt pour trouver de quoi financer son deuxième long métrage, Old Joy. Suivra Wendy & Lucy, sélectionné et primé au Festival de Cannes en 2008, qui la révèlera au monde entier.
Il était temps que ce premier film, toujours inédit mais révélateur de l’originalité de sa cinéaste, de son point de vue singulier. Avec Cozy, Kelly Reichardt bouscule tous les stéréotypes de la jeune mère de famille américaine, d’habitude coincée dans un bonheur forcé et contraint, dans des rôles établis. Cozy, elle, est aussi peu attachante que la vie qu’elle mène sur ce territoire sans relief. Et l’histoire dans laquelle sa rencontre avec Lee la propulse est, elle aussi, plutôt minable.
La subversion, l’atout de River of grass
Ce qui ne l’est pas, c’est le ton avec lequel elle est racontée, la perfection de ses cadrages et de la photographie – Kelly Reichardt prétend s’être entraînée avec l’appareil de son père, technicien de scène de crime dans la police- .
Ni la batterie qui donne un rythme saccadé et original aux images. Ni surtout l’esprit subversif qui habite ce film court, de bout en bout.
De Kelly Reichardt avec Lisa Bowman, Larry Fessenden, Dick Russel…
1994 – Etats-Unis – 1h14
River of Grass de Kelly Reichardt sortira le 4 septembre 2019 en salle dans une version restaurée 2k.