Trois Français partent au Cambodge trois ans après la prise du pouvoir par les khmères rouges. En attendant leur Rendez-vous avec Pol Pot, ils découvrent la réalité du régime. Le nouveau film de Rithy Panh est révélé le 16 mai à Cannes Première.
Filmer pour ne jamais oublier
Témoigner de l’autogénocide khmer. Le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh aura dédié son œuvre et sa vie à cela. En une vingtaine de films à ce jour, – beaucoup de documentaires et quelques fictions – il retrace avec une constance admirable ce que le régime politique fou et autoritaire des khmers rouges a détruit avec une violence absurde et quelles en sont les conséquences aujourd’hui encore. Deux de ses documentaires resteront dans l’histoire : le glaçant S21, la machine de mort khmère rouge en 2003 et L’Image manquante, primé au Festival de Cannes 2013.
Rendez-vous avec Pol Pot relève de la fiction, cette fois, même si le film est extrêmement documenté. Il se base sur Les larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide, le livre d’une journaliste américaine. Elizabeth Becker fut envoyée au Kampuchéa Démocratique – l’appellation du pays sous Pol Pot – trois ans après la prise du pouvoir par le dictateur, pour l’interviewer. Elle connaissait déjà le pays, y avait des connaissances mais ce qu’elle va découvrir lors de ce voyage très surveillé est inimaginable.
En 1978
Dans le film, elle est devenue française et est accompagnée d’un photographe, lui aussi reporter de guerre, et d’un ancien ami de Pol Pot, un militant d’extrême gauche qui l’avait rencontré sur les bancs de l’Université de la Sorbonne. C’est d’ailleurs un des atouts de ce film, le fait de se plonger en 1978, avec la naïveté du regard ou l’engagement politique souvent manichéen d’alors, et la difficulté des trois invités à comprendre et prendre conscience de ce qu’ils finissent par percevoir.
Au départ, rien ne les étonne ou si peu. Ils sont pourtant débarqués au milieu d’un tarmac d’aéroport en pleine chaleur avant d’être pris en charge de manière plutôt rude par des militaires pour finir enfermés dans des locaux spartiates. Leur chambre est surveillée, leurs mouvements aussi. Ils ne peuvent aller là où ils veulent, doivent suivre les ordres contradictoires qu’on leur assène et surtout ne pas regarder ailleurs. Quand ils commencent à émettre des doutes sur ce voyage télécommandé et sur l’impossibilité d’aller et venir à leur guise, la menace devient plus pressante. Pourtant, le périple continue…
La terreur
Plusieurs personnes vont le payer de leur vie. Car ce nouveau régime impose ses choix par une terreur hallucinante et une mise à mort quasi systématique de tous. Rappelons qu’en quatre ans, le régime de Pol Pot a décimé un quart de la population du Cambodge. Les Occidentaux ne sont pas épargnés, surtout quand ils deviennent des témoins gênants de ce régime violent et absurde. Sans suspense, Elizabeth Becker alias Lise Delbo dans le film, en reviendra et ira jusqu’à témoigner dans les procès qui suivront la chute du régime.
Même si cette épopée, puisque c’en est une, ne pouvait pas être racontée sous une autre forme que de la fiction, la force du cinéma de Rithy Panh tient quand il est au plus près du réel. Ici, il mélange à son récit des archives qui nous figent immédiatement par l’horreur de ce qu’elles montrent. Ce n’est pas le cas de la partie fictionnée où la naïveté du regard prend trop le pas sur les interrogations légitimes que devraient se poser les trois étrangers. Ils peinent à comprendre la terreur dans les yeux de la population soumise quand ils finissent par la croiser, ce que signifie le silence des villes ou bien encore l’impossibilité de sortir des clous, ni même d’accéder à l’envers du décor. On comprend bien le parti pris pédagogique choisi mais la démonstration est vraiment trop appuyée pour qu’elle emporte l’adhésion.
Grande oeuvre de Rithy Panh
Saluons toutefois la constance de Rithy Panh à témoigner et sous tous les angles de l’horreur de ce régime. C’est grâce à lui que la mémoire des khmers reste vivace et l’indignité et l’inhumanité de Pol Pot et de ses sbires sont constamment rappelées. C’est la grande œuvre de sa vie et elle est essentielle à l’humanité entière.
De Rithy Panh avec Irène Jacob, Grégoire Colin, Cyril Gueï, Bunhok Lim…
2024 – France/Cambodge/Taïwan/ Qatar/Turquie
Rendez-vous avec Pol Pot de Rithy Panh est en sélection officielle du 77è Festival de Cannes et sera révélé le 16 mai à Cannes Première. Sa sortie dans les salles françaises est prévue le 5 juin 2024.