Petite soeur
Dans Petite soeur de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, une femme reprend le cours de sa vie en se confrontant à la grave maladie de son frère. Intense et fort bien joué.
Devenir soi
Lise était douée, mais elle a préféré se dévouer. A son frère malade, à son mari, à ses enfants, elle qui a eu une mère fantasque et égocentrique. Et elle s’est dévouée à l’extrême.
Elle a donné son sang et même sa moelle osseuse pour sauver ce jumeau, son ainé de deux minutes. Elle a même renoué avec un ex, le metteur en scène, pour que ce frère acteur, cancéreux, garde une raison de vivre. Elle a accepté de quitter Berlin pour la Suisse pour que son mari travaille (dans une école internationale luxueuse dont la finalité nous échappe). Elle a sacrifié sa propre carrière d’autrice de pièces de théâtre et de livres pour le bonheur des uns et des autres.
Petite soeur, grand coeur
La maladie galopante de son frère lui en fait prendre conscience brutalement. Au fur et à mesure de son aggravation, Lise va enfin comprendre que sa survie à elle, ballotée par des désirs qui ne sont pas les siens, passe justement par le fait qu’elle se recentre sur elle-même, sur ses projets, sur ses aspirations. Elle sait aussi que le sacrifice sera lourd.
C’est à un parcours de femme poussée ainsi dans les extrêmes que s’attaque Petite sœur, le film de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond. Elles ont eu la bonne idée de confier le rôle de Lise à Nina Hoss qu’elles avaient repérée dans Barbara de Christian Petzold. Elle est ici, comme toujours, épatante, élégante et intense dans son combat, dans ses révoltes et dans sa retenue.
Famille de théâtre
Le casting de Petite sœur est irréprochable. Les réalisatrices ont judicieusement choisi d’inscrire leur film au sein d’une famille de théâtre, dans ce qu’elle peut avoir de plus créatif et de plus incestueux.
Un milieu qu’elles connaissent sur le bout des doigts pour y avoir été ensemble et depuis l’enfance comédiennes et metteuses en scène avant de passer avec succès au cinéma, au documentaire et à la série TV. Leur premier long métrage, La petite chambre, a été en compétition au Festival de Locarno et représenté la Suisse à l’Oscar en 2010.
Des acteurs au sommet
Dans cette famille de théâtre, il y a d’abord la mère, Marthe Keller, impériale et névrosée à l’extrême. Elle a tout sacrifié, et notamment ses jumeaux, à son mari, un grand dramaturge berlinois. Il est mort mais elle vit dans son souvenir. Avec excès. Il y a aussi le fils, Sven, brillant acteur porté par le tout aussi brillant Lars Eidinger, contraint d’interrompre une carrière au sommet à cause de son cancer.
Il y a aussi Thomas Ostermeier qui joue son propre rôle de metteur en scène de la Schaubühne de Berlin. C’est lui qui dirigeait Lars Eidinger dans un Hamlet à succès, joué sans interruption depuis 2008, dont on perçoit un décor. Dans le film, il est aussi l’ex-mari de Lise. Elle a rompu lassée de ses infidélités, pour une vie normale auprès d’un mari (interprété par le danois Jens Albinus) qui s’avèrera plus qu’indélicat, et deux enfants.
Et cette plongée dans le milieu du théâtre, loin d’être un artifice, sert la dramaturgie de cette crise familiale et existentielle. Ce contexte invasif, suffocant sert d’écrin à la résurrection de Lise. C’est à la fois son monde, celui qu’elle a fui pensant y échapper et celui qui la sauvera. Petite soeur est un film psychologique sur la quête d’identité d’une femme, happée par les siens, à qui il va lui falloir échapper pour mieux se (et peut-être les) retrouver. Une recherche personnelle qu’amplifie encore cette plongée au coeur du milieu du théâtre, sorte de mise en abîme des tensions familiales.
De Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, avec Nina Hoss, Lars Eidinger, Marthe Keller, Thomas Ostermeier, Jens Albinus….
2020 – Suisse – 1h39
Petite soeur de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond était en compétition à la Berlinale 2020 et a remporté cinq prix importants aux Prix du cinéma suisse.
©Vega Film/ThomasLambert