Avec Pauvres créatures, Yorgos Lanthimos signe un film baroque sur une émancipation féminine (encore ? Oui!). Fantastique ? Certes, mais la forme prime sur le fond.
L’inné et l’acquis
Mi médecin fou, mi scientifique génial, Godwin Baxter (Willem Dafoe) et sa gueule, son corps cabossés règne sur un palais décadent. On y croise une gouvernante, des animaux hybrides jamais rencontrés et Bella Baxter (Emma Stone), une jeune femme séduisante mais gauche, qui semble découvrir le monde. Elle marche bizarrement, avec raideur, n’a aucun filtre quand elle s’exprime, ni aucune pudeur.
Alors qu’elle semble accuser un retard mental important pour son âge et sa taille, elle prouve qu’elle est capable d’évoluer et d’apprendre très vite. Ce que constate Max McCandles (Ramy Youssef), un apprenti médecin chargé de la suivre et de noter ses progrès. Il est vite débordé quand Bella comprend comment se faire plaisir et que le monde est bien plus vaste que les murs de la propriété où elle vit enfermée. A la faveur d’une rencontre, elle part et commence ainsi à trouver sa voie, en dehors des conventions dont elle semble tout ignorer.
Un univers unique
Parcours d’une femme en quête d’émancipation, Pauvres créatures est un drôle d’objet cinématographique. Il commence en noir et blanc avant de passer à la couleur quand Bella prend la fuite tout en y revenant de temps à autre, sans qu’on comprenne bien pourquoi. Ce n’est ni une question de temporalité – certains flashbacks comme la scène du pont – sont en couleur, ni de point de vue – même si celui que le réalisateur adopte majoritairement est celui de Bella.
Hors normes comme les personnages, les lieux sont plus des suggestions, des évocations parfois poétiques que des décors réels ou inspirés. Pourtant, les endroits sont nommés ( Paris, Londres, Lisbonne etc.) mais aucun de ceux qui apparaissent sur l’écran ne sont fidèles à une quelconque réalité, même à une époque donnée. A Paris, par exemple, les transports sont aériens, et les places ressemblent à des agoras méditerranéennes. L’univers, l’ambiance, les décors, les costumes priment vraiment sur le fond qui reste important mais contestable.
Emancipation d’une femme
Une fois digéré cet environnement fantaisiste plus que fantastique, parlons du fond justement. Bella a été ramenée de la mort à la vie par le fameux professeur Godwin, une sorte de Frankenstein. Pour qu’elle vive, il lui a greffé le cerveau du bébé qu’elle portait. Ce qui explique ses stades d’évolution, sa capacité à apprendre, sa curiosité, sa demande de liberté mais aussi son absence totale de filtres. Mais, jusqu’à sa rencontre avec Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo), tout va bien.
Grâce à lui, elle s’aventure dans le monde extérieur, et les ennuis commencent. Si l’on saisit comment Max, le jeune médecin chargé de la suivre, finit par être fasciné par elle, on comprend mal ce qui séduit Duncan. Sa beauté? Son originalité? Elle a besoin de lui pour sortir de la maison, mais lui, en quoi, a-t-il besoin d’elle ? Brutalement, il se révèle ultra-possessif, voire agressif quand il est dépossédé de ce qu’il considère ses biens : sa femme et son argent. Cette relation manque vraiment de subtilité, d’intensité aussi. Pourtant, le pire reste à venir.
Bella finit par acquérir son indépendance en se prostituant. En vendant son corps contre de l’argent, elle s’émancipe de son mari possessif, de tous les hommes mêmes… en couchant avec au gré de son désir. Evidemment, quand elle finit par prendre trop de liberté, la mère maquerelle la remet à sa place. C’est un pur fantasme masculin d’imaginer qu’une femme, pour s’émanciper, choisisse de son propre gré la prostitution. Et un raccourci narratif qui ne fait aucun cas de la nature féminine. Il n’y a pas de jugement moral là-dedans, seulement l’ignorance du sens qu’une femme porte à la sexualité quand l’imaginaire d’un homme semble fasciné par cette liberté qu’elle offre alors que ce n’est qu’une entrave.
Malgré cette évolution malvenue, Pauvres Créatures reste un film intrigant, spectaculaire pour son univers unique malgré un mauvais goût évident des décors et costumes surchargés. Sa truculence débordante peut sembler séduisante. Mais son atout majeur est l’interprétation brillante, performante d’Emma Stone, sans retenue ni limites. Un vrai rôle à Oscar, récompenses qui devraient pleuvoir sur Pauvres Créatures, déjà honoré du Lion d’Or de Venise et de deux Golden Globes.