« Nos seins, nos armes ». Voilà ce qu’a vite compris Oxana, la féministe et artiste ukrainienne qui a inventé les Femen et dont la réalisatrice Charline Favier raconte le parcours édifiant.
La première Femen
« Après le sein nourricier, le sein sexuel, les Femen ont inventé le sein politique », s’enthousiasmait la formidable Florence Montreynaud sur un plateau de télévision au moment de leur gloire. Et quelle invention ! Dans une époque aussi sexualisée – on est à la fin des années 2000-, montrer ses seins quand on ne vous invite pas et les barder de slogans ne semblait pas être un geste subversif. Et pourtant…
Consacrer un film à celle qui l’a inventé est forcément une excellente idée même si elle arrive un peu tard, tant les mouvements et revendications féministes ont déjà évolué vers d’autres sujets que la prostitution ou le tourisme sexuel qui étaient à l’origine de sa colère et son engagement. Il n’empêche qu’il reste indispensable de mieux connaître cette pionnière ainsi que la retombée que ses actes ont eu sur toutes nos sociétés occidentales.
Lutter contre la prostitution organisée en Ukraine
Oxana est née dans une région reculée de l’Ukraine dans une famille qu’on pourrait qualifiée de banale : elle adore sa mère tout en lui reprochant de ne s’en remettre qu’à Dieu quand son père, son parasite au chômage, les met régulièrement en danger. Dans son enfance, Oxana a appris à dessiner des icônes religieuses et c’est comme ça qu’elle gagne sa vie. Au fond, c’est une artiste en révolte contre le patriarcat pesant de son pays. D’ailleurs, les jeunes filles ukrainienne sont si jolies que la prostitution y est organisée à un niveau politique.
Avec ses amies qui dénoncent toutes le même état de fait – la violence récurrente des hommes, des maris, des pères et l’institutionnalisation de cette prostitution – elles décident de se mobiliser. Au départ, cette rébellion politique est collective, sans réelle meneuse à sa tête. Mais, Oxana, en dévoilant ses siens, constate l’effet amplificateur que cela donne à leurs revendications, et s’impose.
Une lutte pacifique violemment réprimée
Et croyez-le ou pas, même si leur cause est juste et leur geste pacifiste, leur vie est rapidement en danger. On les arrête, on les frappe… surtout quand elles menacent des politiques ou vont manifester en Russie. Sous la violence des coups, le collectif se disloque. L’une d’elle trouve asile en France où elle propage le mouvement. Après un séjour dans les prisons russes dont elle s’échappe presque miraculeusement, Oxana demande, elle aussi, l’asile politique en France. Elle tente d’y vivre par le dessin, surtout quand elle rencontre la peintre Apolonia. Mais elle n’a plus la foi…
Oxana est, elle-même, une icône. Et c’est en cela qu’elle mérite, sans doute plus que tout autre figure de cette troisième génération du féminisme, qu’on lui consacre un film. Elle fut pionnière, imaginative, dans un pays qui fait rarement parler de lui sur ces sujets-là (et encore moins aujourd’hui hélas). Son histoire est puissante, son parcours saisissant et doit être mieux connu.
Un récit inutilement complexe
Pour échapper au biopic conventionnel, Charlène Favier, la réalisatrice et scénariste, a choisi de déstructurer son récit en alternant le déroulé de la dernière journée d’Oxana avec le reste de sa vie. Le procédé manque de fluidité et complexifie pour rien son histoire exemplaire ainsi que celle de la courte aventure des Femen. Une trame plus simple aurait permis de mieux raconter l’exil parisien d’Oxana, sa difficulté à s’y intégrer, relatée dans Apolonia, Apolonia, un complément salutaire à cet Oxana, et de mieux maitriser l’émotion que suscite son parcours fracassé.
C’est dommage car le reste est convaincant, notamment la jeune Albina Korzh qui interprète avec intensité Oxana. Comme sont subtils les parallèles constants entre l’histoire de l’art, notamment le tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple, et celle de son engagement. Mais, le principal est bien là : la défaillance de la société et son patriarcat ont eu la peau d’Oxana, alors que son combat était et reste juste.
De Charlène Favier, avec Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korovai…
2024- France – 1h43
En salle le 16 avril 2025