Nothingwood, c’est l’Afghanistan de Salim Shaheen, un acteur-réalisateur et producteur prolixe dont la journaliste Sonia Kronlund dresse ici le portrait. Décapant !
Mogul afghan
« Ni Hollywood, ni Bollywood. Nothingwood, puisqu’il n’y a pas d’argent ici » déclare en riant Salim Shaheen. Ce qui ne l’empêche pas de tourner 4 à 5 films par an depuis 30 ans et d’être une méga star dans son pays.
Sonia Kronlund est journaliste, productrice pour France Culture et documentariste pour Arte. Voilà des années qu’elle couvre l’Afghanistan et ses conflits. Sa rencontre avec Salim Shaheen est d’un autre ordre. Même s’il leur faut jongler avec les zones à risques et les chemins minés quand ils se déplacent sur son 110e tournage, Nothingwood n’est pas un film de guerre. Non, c’est la découverte d’une facette inédite de l’Afghanistan dont Sonia Kronlund n’avait même pas idée avant de rencontré Salim Shaheen. Une facette joyeuse, libre, enthousiasmante d’un pays qu’on ne connaît pas mais dont on nous parle sans cesse. Et qui fait oublier aux afghans leur quotidien difficile.
Un Rambo afghan
Salim Shaheen est une star dans son pays, une méga-star. Voilà 30 ans qu’il tourne sans cesse des nanars à succès qui mixent bagarres infinies, effets spéciaux cheap, chanteuses et dialogues de sitcom. Même les talibans n’ont pas réussi à l’empêcher de filmer. Et son succès, à la télévision, sous le manteau, est colossal. Notamment parce que son cinéma défend les faibles contre les forts, l’injustice ou le cours du temps.
Le film de Sonia Kronlund est bâti comme un reportage. Il débute par une rencontre dans un taxi. Ils se poursuit sur la route qui mène au plateau de tournage du 110e film de Salim Shaheen. A l’autre bout du pays, du côté des fameux bouddhas de Bâmiyan détruits en 2001 par les talibans. Ce tournage devient l’occasion de découvrir l’homme, ses méthodes de travail et l’équipe qui le suit contre vents et marrées. Sonia Kronlund s’attarde sur certains membres, notamment sur son acteur fétiche, Qurban Ali, qui aime se travestir et a pris la poudre d’escampette lors son séjour en France (pour la promotion du film).
Nothingwood, c’est lui et ses amis !
Mais, la caméra est électrisée par l’énergie et la corpulence de Salim Shaheen. Il se confie, raconte son enfance et les circonstances qui ont fait de lui ce cinéaste populaire. Ce personnage hors-normes déjoue le destin en jouant avec sa caméra et ses amis. Sa passion pour l’image et l’action a largement compensé le malheur qui a accablé son pays depuis les années 1980, quand il commence à tourner son premier long-métrage.
Emouvant, ce portrait atypique d’un homme plus grand que la vie fait soudain prendre conscience de la richesse de son combat. Celui d’apporter du rêve et de l’espoir à une population qui en a peu. Elle se délecte de ses aventures au cinéma ou à la télévision, quand lui montre une vision pertinente, lucide de la situation chez lui et de lui-même.
L’Afghanistan, le pays sans femmes
Cabotin certes, Salim Shaheen a accepté d’être filmé par Sonia Kronlund, une femme, occidentale qui plus est. « Justement parce que je suis une étrangère », dit-elle. Inaccessible. Pas tout à fait une femme tel que lui et les homme afghans le conçoivent. Il s’épanche pourtant volontiers sur sa vie amoureuse : son premier amour qui lui a valu l’enfer, son premier mariage arrangé, le second d’amour.
Sonia Kronlund insistera pour les montrer, ses femmes et ses filles. Mais, bien que Salim Shaheen soit un rebelle à sa manière, un briseur de tabou, il ne franchit jamais cette ligne-là. « Elles ne veulent pas » , dit-il pudiquement. Nothingwood reste pourtant le témoignage inédit et joyeux sur un pays qu’on ne connaît presqu’à travers les images d’actualité. Loin des clichés habituels et ça fait du bien.
Documentaire de et avec Sonia Kronlund, Salim Shaheen, Qurban Ali…
2016 – France/Afghanistan -1h25
Nothingwood de Sonia Kronlund était présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2017.