Nocturama
Le cinéma peut-il être visionnaire? Bertrand Bonello répond directement à cette question avec Nocturama, une sorte de 13 novembre sans idéologie. Presque pire.
Hautes tensions
Évidemment, après avoir vu Nocturama, tout un pan du cinéma paraît fade. Par son propos mais aussi par son filmage tant celui de Bonello est soigné. Paris, puisqu’il s’agit notamment de ça, a rarement été filmé ainsi, comme la proie d’une anticipation opposant la beauté de ses pierres à la révolte qu’elle s’étouffe.
Si l’on en croit ses dires – et le temps nécessaire à la fabrication d’un film le confirme – , Bertrand Bonello a eu l’idée de l’histoire il y a 5 ans, en pleine Apollonide. « Pourquoi? Il n’en sait rien. Il explique juste cette incroyable et énorme intuition d’un « ça devait arriver ». Ce qu’il met dans la bouche d’Adèle Haenel, de passage, dans une des rares scènes de confession – une des rares scènes parlées même – du film.
Des corps et un ballet
Nocturama raconte en temps réel raccourci puis diffracté comment un groupe de jeunes français d’origine sociale et ethnique différentes, filles et garçons, réalise un attentat simultané en divers lieux de Paris.
On en ignore la genèse et le pourquoi, puisque le film commence par une longue séance de déambulation dans les rues et le métro de Paris. On y suit un groupe d’individus qui ont manifestement un même but. Sans que l’on sache lequel, ni comment ils communiquent entre eux. En tout cas, ils sont connectés, se méfient d’être repérés et chacun à une tâche précise à effectuer. La tension monte, doucement mais sûrement.
Nocturama ou l’horreur, pour rien
Au fur et à mesure de ce ballet extrêmement bien chorégraphié et filmé -et grâce à deux flash-backs peu intéressants pourtant – on finit par comprendre leur but. Jamais vraiment leur motivation, ni le pourquoi de leur acte. Pour eux tous, l’idéologie ne dépasse jamais le « faut que ça change » et ce parti pris de la vacuité reste est une des faiblesses du film.
Donc, ces jeunes opèrent, rapidement, brutalement, aussi ravis et fiers d’avoir mené à bien leur acte et d’avoir pu l’admirer, le voir, déstabilisant, coordonné. Ils rejoignent ensuite un grand magasin où il se réfugient pour une longue nuit d’attente et d’angoisse. Ce qui constitue la partie la plus importante du film.
Le Trauma de Nocturama
Impossible bien évidemment de regarder ce film sans référence aux attentats du 13 novembre 2016. La ville, les cibles, la communication entre ces jeunes, leurs objectifs morbides… sont un lien qu’on ne peut effacer. Si on l’ignore, l’effet est littéralement stupéfiant, tant Bonello s’ingénue à suivre et à filmer les protagonistes en silence, comme si on était à leur place. La mise en place de l’attentat est réalisée avec une méticulosité et un brio impressionants.
La suite, tout en interpellant et devenant glaçante, est moins époustouflante. Il y a d’abord ses scènes pseudo explicatives qu’on dirait rajoutées pour que l’irrationnel prenne un début de sens. On comprend mal comment ces gamins se sont rencontrés, ce qu’ils partagent et ce qui les motivent. Le dialogue entre étudiants de Sciences Po est par exemple risible tant il est caricatural. Bertrand Bonello s’est apparemment méfié de cela, en évitant ailleurs les poncifs et les scènes trop parlées. Il privilégie sans cesse l’action et dans son film, la parole reste pauvre.
Les marchands du temple
Le film prend une autre tournure quand les jeunes se rejoignent dans un grand magasin, la nuit. Après nous avoir baladé dans les quatre coins de Paris, il se transforme en une sorte de huis-clos étouffant. Une cocotte-minute où certains prennent conscience des conséquences de leur actes. Un temple où les autres accèdent à une consommation gratuite, offerte, beaucoup trop généreuse.
Là encore, Bonello s’égare un peu en invitant un couple de SDF à la table de ses jeunes. Une initiative non justifiée ni par une revanche quelconque, ni par une attention particulière. Dernier bémol, celui de la musique finale qui teinte d’ironie nostalgique le coup de poing qu’il vient d’asséner. Dommage.
Malgré ces quelques faiblesses, Nocturama est un film extraordinaire, dérangeant, visionnaire, superbement filmé dont on ressort le souffle coupé, ne sachant s’il convient de s’en féliciter ou de le regretter. Un film qui fera nécessairement date, mais qu’il faut comprendre comme un regard, et non pas comme une analyse.
De Bertrand Bonello, avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa, Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Nait Oufella, Laure Valentinelli, Ilias Le Doré, Robin Goldbronn, Luis Rego, Kermine Karagheuz, Adèle Haenel…
2016 – France – 2h10
© Carole Bethuel