Madre
Avec Madre, le réalisateur Rodrigo Sorogoyen ouvre une nouvelle page de sa filmographie : moins politique, plus émotionnelle mais aussi intense.
L’incertitude d’une mère
Un court-métrage, primé plus de 70 fois, déjà titré Madre, est à l’origine de Madre, le nouveau film de Rodrigo Sorogoyen. Il est repris ici comme la grande scène d’ouverture et pose le propos du film qu’il va suivre. Un conseil donc : n’arrivez pas en retard au risque de rien n’y comprendre.
Dans ce film d’introduction, très intense, Elena, une jeune mère divorcée reçoit la sienne et surtout un appel de son fils de six ans, Ivan, paniqué. Il est perdu et ne retrouve pas son père avec qui il est parti à la plage. Où ? En France probablement… Le coup de fil s’achève quand la batterie s’arrête. L’intensité de la scène, elle, ne retombe pas.
Madre en deux temps
Le film commence vraiment quand dix ans plus tard, Elena traîne sur une des vastes plages de la côte landaise. Elle y est serveuse dans un bar de plage. Elle vit comme en suspens dans un de ces appartements sans âme, ni caractère loué d’habitude pour de courtes périodes aux touristes de cette petite station balnéaire.
Elle a refait sa vie. Elle s’apprête même à quitter cette longue parenthèse pour repartir s’installer avec son compagnon en Espagne. Mais, un jour, sur la plage, elle repère Jean, un jeune adolescent qui la fascine et qu’elle fascine à son tour.
Madre : du thriller à la plongée psychologique
Le film est donc construit en deux parties qui se répondent. La première est dopée à l’intensité et à l’urgence. La seconde contient une tout autre intensité, une intrigue entièrement psychologique et une certaine langueur.
L’ouverture a tout de la scène d’exposition d’un thriller, genre familier au réalisateur. C’est à lui qu’on doit El Reino, un polar politique, très dialogué, qui dénonçait avec brio la corruption locale. Le film en lui même est à l’opposé. Il contient peu de dialogues, des cadres profonds et larges quand El Reino resserrait sa focale – comme les enquêteurs – sur sa proie. Le temps semble ici suspendu même s’il prend ses quartiers d’été. Et ce sont les préoccupations mentales d’Elena, puis ses drôles de réactions, qui nous captivent. Evidemment, son comportement suscite l’incompréhension, qui prendra différentes formes. Et ce sont justement ces scènes presque rationnelles – la réaction de la famille, du père de Jean en particulier-, qui sont les moins intéressantes.
Le doute, l’ennemi du repos
Bien qu’imparfait quand il est démonstratif, Madre reste un film interpellant. Pas sur la maternité – ce que revendique pourtant Rodrigo Sorogoyen – mais sur l’impossible réaction qu’on puisse avoir face au doute. Ce n’est pas tant d’avoir perdu son fils qui ruine Elena, mais le fait de ne pas savoir.
Madre a été présenté dans la section Orrizontid e la Mostra de Venise 2019. Il en est reparti avec un très légitime prix d’interprétation à Marta Niero, rare actrice espagnole (trois films en 15 ans !) à la fois absolument vibrante d’intensité inquiète puis bouleversante d’incertitude. On a hâte de la revoir très vite.
De Rodrigo Sorogoyen avec Marta Nieto, Jules Porier, Anne Consigny, Alex Brendemühl, Frédéric Pierrot…
2020 – Espagne/France – 2h09
Sa sortie de Madre était initialement prévue en avril 2020 a été décalée au 22 juillet 2020.