L’ombre de Staline
Agnieszka Holland, polonaise, a toute sa vie de cinéaste renvoyé dos à dos Hitler et Staline. Avec L’ombre de Staline, elle révèle l’Holodomor ou la famine organisée de l’Ukraine au début des années 1930.
L’Holodomor révélé
Le film débute par un plan sur des cochons noirs agressifs. Puis il fait clairement référence à la Ferme des animaux que serait en train d’écrire George Orwell. Cette critique acerbe de la dérive stalinienne de la révolution soviétique aurait une histoire qu’Agnieszka Holland ancre dans l’expérience de Gareth Jones. Orwell utilisera d’ailleurs son patronyme pour baptiser son fermier.
Tout commence en 1933 quand Gareth Jones, jeune journaliste gallois, décide d’interviewer Staline comme il a interviewé Hitler. A son poste d’observateur du Ministère des affaires étrangères britannique, il ne parvient pas à comprendre comment l’URSS finance son époustouflant développement industriel. Selon lui, ses comptes sont à sec et ne permettraient pas les avancées et investissements que revendiquent le pays.
L’Ukraine, le grenier de l’URSS
Pour en avoir le coeur net, Gareth Jones part à Moscou. Etrangement, son contact vient d’y être assassiné. S’il comprend progressivement où il met les pieds, malgré les filatures, les faux semblants et sans réelle protection, il finit par comprendre que son sujet se joue en Ukraine, là où sa mère fut enseignante. Ce qui explique qu’il parle russe couramment.
Ce qu’il y découvre est à la limite du supportable. Staline a organisé la famine de l’Ukraine, pourtant réputée être le grenier à blé de l’URSS. A plusieurs fins : celle de récupérer le précieux blé comme monnaie d’échange internationale – ce qui lui permettrait de financer ses projets de nation puissante. Mais aussi celle de soumettre un peuple récalcitrant à sa politique. Ce programme dit Holodomor aurait coûté la vie à plus de 7 millions de personnes entre 1931 et 1933. Il a été révélé par Gareth Jones lors d’une conférence de presse à Berlin puis dans un article du London Evening Standard en 1933. Mais aussitôt démenti par le correspondant du New York Times à Moscou qui entretenait des relations ambigües avec le pouvoir soviétique. Gareth Jones disparait peu de temps après assassiné en Mongolie.
L’Ombre de Staline : la famine planifiée
C’est cette histoire que raconte L’ombre de Staline, le seizième film d’Agnieszka Holland et qui inspira George Orwell pour La ferme des animaux. Elle le fait avec une inspiration irrégulière. Si les débuts du film sont passionnants, notamment le parallèle entre l’audace du jeune homme, ses révélations et l’interprétation habile d’Orwell, à partir du moment où Gareth Jones voyage en Ukraine la démonstration devient pesante.
L’exposition du sujet était subtile. Les embûches et les obstacles qui se dressaient devant le jeune journaliste suffisamment ambiguës pour être intrigants. Le double jeu de ses interlocuteurs aussi. Et la reconstitution par les décors et les ambiances, vraiment éloquente.
Des sujets forts et politiques
Le long voyage en Ukraine est lui plus démonstratif. Et s’il insiste lourdement sur l’ampleur de la famine, il ne parvient pas à nous étrangler d’émotions comme il le devrait. La faute à son acteur, James Norton. Il manque de charisme et d’expressions et à la mise en scène qui valorise la beauté et la puissance des paysages à l’horreur de la situation. La toute fin, plus proche du début, est elle plus intéressante.
Il n’empêche. Fille de journalistes polonais malmenés par le pouvoir, Agnieszka Holland reste une des rares réalisatrices à l’engagement politique revendiqué tout au long de ses films. Elle dénonce oeuvre après oeuvre des destins hors normes souvent chahutés par la géopolitique. Et sa mise en scène est souvent puissante. Mais son talent n’est pas du goût de la critique française. Spoor, son film précédent, a eu beau être primé à la Berlinale 2017 et présenté au Festival International des films de femmes de Créteil, il n’a pas été distribué en France.
C’est dommage. Son point de vue et la pertinence de ses sujets, qu’elle est souvent la seule à traiter, méritent largement qu’on se penche sur son oeuvre.