La malédiction se transmet-elle de mère en fille ? Ou peut-on briser le lien? C’est ce qu’explore Mona Achache dans le très émouvant Little girl blue, un vrai faux documentaire sur sa mère suicidée.
De mère en fille
Le dispositif est étonnant. Dans ce qui peut ressembler à un ancien et vaste bureau, bourré d’archives et de photos, Marion Cotillard s’avance. Elle va bientôt se métamorphoser et revêtir les habits de Carole Achache pour donner corps, le temps du film, à la mère de Mona. Elle lui prend tout : son parfum comme la couleur de ses yeux et devient méconnaissable.
Grâce à Marion Cotillard qui interprète Carole, Mona Achache va tenter de comprendre pourquoi, en 2016, sa mère s’est suicidée, sans laisser le moindre mot. Mais pour cela, elle va devoir affronter des caisses d’archives que Carole avait annotées, rangées, elle qui avait déjà écrit sur sa propre mère, Monique Lange, qui avait fait de même avec la sienne.
Little girl blue ou le poids du passé
Dans cette famille, les femmes sont brillantes et maudites. Et c’est cette exploration du mal qu’elles semblent se transmettre que Mona va analyser pour briser cette transmission, elle qui aussi eu une fille. Mais pour y parvenir, elle va devoir découvrir et affronter le passé de sa mère Carole, ses démons et ceux de sa grand-mère, Monique.
Inutile de raconter cette quête pleine d’embûches ici, mieux vaut aller voir ce film débordant de révélations et surtout d’émotions. Sachez seulement que Monique, travaillant chez Gallimard après guerre, s’est liée d’amitié avec les grands noms du milieu littéraire d’alors, en particulier Marguerite Duras et surtout Jean Genet. Et que son génie d’écrivain avait une face sombre, celle qui a pesé sur le destin de Carole. Et s’est ainsi inscrit dans le patrimoine familial de Mona.
Un milieu culturel brillamment toxique
Dans cette famille, les femmes payent cher cet entourage aussi brillant que toxique. Il aura fallu #metoo, les livres de Camille Kouchner – La familia grande – ou de Vanessa Springora – Le consentement – pour que Mona Achache puisse ouvrir les yeux sur cette malédiction familiale, s’autorise à vouloir la briser en comprenant qu’elle est aussi et surtout le reflet d’une époque. Celle où on ne séparait jamais l’homme de son œuvre et dont les livres et l’esprit étaient au dessus de tout et du respect de le plus élémentaire de l’être humain, enfin surtout des femmes et de leur corps.
Par la grâce de cet ingénieux dispositif incarné par Marion Cotillard (excellente), la réalisatrice s’offre une mise en abîme fort émouvante dans la vie de sa mère qu’elle nous fait découvrir. Et franchement, il lui faut un courage incroyable pour y parvenir et ne pas se laisser déborder par les émotions et les jugements. Cette plongée au cœur de la vie de celle à qui elle doit la sienne est littéralement bouleversante et sans doute le film le plus émouvant et intéressant de ce 76e festival de Cannes. Et cela bien qu’il n’ait été retenu en sélection officielle, certes, mais qu’en séance spéciale.
Seul bémol, son titre. Il fait bien sûr référence à une chanson de Janis Joplin, diffusée au générique de fin mais n’est pas assez fort et explicite pour signifier l’importance du propos.
De et avec Mona Achache, avec Marion Cotillard, Carole Achache, Monique Lange, Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Jean Genet…
2023-France – 1h35
Little girl blue de Mona Achache est présenté en séance spéciale de sélection officielle du 76e Festival de Cannes. Sa sortie en salle est fixée au 15 novembre 2023.