L’interview d’Ursula Macfarlane
A peine l’affaire Weinstein révélée, l’anglaise Ursula Macfarlane s’attèle à en révéler les tenants et quelques aboutissants. Son documentaire L’intouchable Harvey Weinstein sortira le 14 août 2019. Indispensable et passionnant.
» Si Weinstein n’est pas condamné, ce sera la pire chose pour le mouvement #metoo »
La cinéaste anglaise Ursula Macfarlane restera comme la première à avoir réalisé un film sur l’affaire Weinstein. L’Intouchable Harvey Weinstein est bien plus intéressant qu’une enquête ou qu’un portrait du prédateur de jeunes actrices.
Le film sort le 14 août 2019, soit trois semaines avant le début du procès aux Etats-Unis. La France est un des rares pays à sortir ce document en salle. La réalisatrice revient sur son ambition et la manière dont elle a mené ce projet ambitieux et nécessaire. Plus de 125 personnes ont été contactées pour y participer. Une trentaine parle la plupart du temps pour la première fois devant une caméra.
Ursula Macfarlane, vous n’êtes pas connue en France. Quel genre de films avez-vous fait avant L’Intouchable Harvey Weinstein?
J’ai mené l’essentiel de ma carrière à la télévision, en travaillant pour la BBC, Channel 4 ou Itv1. J’ai surtout réalisé des documentaires et quelques drames. Les histoires de gens ordinaires qui doivent affronter des épreuves fortes m’intéressent beaucoup. Comme celle de cette jeune médecin anglaise tombée amoureuse de l’Afghanistan et qui a été tuée par les talibans lors de sa dernière mission. Ce film The life and loss of Karen Woo est un de mes préférés. J’ai aussi réalisé Charlie Hebdo : three days that shook Paris sur les attentats parisiens, nommé au Bafta et diffusé en France sur France 5.
Vous êtes une cinéaste engagée, Mais comment vous êtes vous retrouvée à réaliser un film sur Harvey Weinstein?
Le grand producteur Simon Chinn, fondateur de la société Lightbox et producteur de Sugar Man, m’a appelée juste après que l’affaire Weinstein a été révélée pour me proposer de faire ce film avec lui. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai accepté instinctivement. C’est une affaire tellement importante ! Non pas parce ce que j’en ai moi-même été victime. Mais, parce que, comme vous, je connais tellement de femmes qui ont été harcelées, agressées… ou victimes du sexisme quotidien.
Et comment Simon Chinn a -t-il été sensible à ce sujet?
Il m’a raconté qu’au moment de #metoo, il a organisé un dîner pour sa société Lightbox. Toutes les femmes autour de la table y ont raconté une histoire de harcèlement. Simon Chinn a été si choqué qu’il s’est dit qu’il était vraiment important d’en parler, même si l’histoire que nous racontions se passait à Hollywood.
En quoi était-ce un problème?
Certains disent : « bah, ce sont des actrices qui sont déjà très riches… » Mais non ! La plupart des victimes de Weinstein, même Gwyneth Paltrow ou Angelina Jolie à l’époque où il les a agressées ou harcelées, était de jeunes actrices pas connues. Elles voulaient juste travailler, réaliser leurs rêves de faire du cinéma. C’est une question d’abus de pouvoir, et c’est cela que je tenais à montrer dans ce film.
Même si ce film est une commande, à votre connaissance, a-t-il été difficile à financer?
La BBC s’est impliquée dès le début. C’est ensuite que ça s’est compliqué. Mais les producteurs ont bien vendu le projet au Festival de Cannes 2018. Et tout s’est débloqué. Et comme pas mal d’hommes puissants sont tombés après Weinstein, les financiers ont dû trouver que c’était une affaire importante et symbolique.
Lors de la fabrication du film, qu’est-ce qui a été difficile alors?
De trouver des gens concernés qui acceptent de parler. Nous avons répertorié environ 600 personnes susceptibles d’être interviewées : des collègues, des ex- collègues, des victimes, des anciens camarades d’école, des journalistes, femmes et hommes. Le plus compliqué a été de persuader les anciens de Miramax ou de Weinstein Cie de nous répondre. Surtout ceux qui y travaillaient dans les années 1980/90.
Pourquoi ?
Ils connaissaient les rumeurs, que Weinstein avait des maitresses, qu’il était dragueur et dégoutant mais pas qu’il était agressif et violeur ! En revanche, certains (les avocats par exemple …) savaient. D’ailleurs Kathy Deglesis, l’ancienne assistante de Bob Weinstein, son frère et associé chez Miramax, dit bien avoir vu cette lettre d’avocat qui parlait d’agression sexuelle. Elle a été courageuse. Sans doute parce qu’elle ne tenait pas à évoluer dans le cinéma à tout prix. Mais, pour ceux qui avaient cette ambition-là, travailler pour Weinstein à ce moment-là, c’était le top ! D’ailleurs, plusieurs journalistes ont essayé de révéler cette histoire. Mais personne n’a voulu témoigner !
Justement, Ursula Macfarlane, vous interrogez un journaliste qui a été brutalisé et photographié par tous. Où sont ces photos?
Elles ont été détruites. On dit que Miramax les aurait achetées et gardées dans un coffre-fort. Nous avons retrouvé le principal photographe de cette soirée qui prétend n’en n’avoir aucune. Comme l’explique Hope d’Amore, la jeune femme victime de Buffalo, Weinstein a été protégé très tôt.
Le fait qu’un procès soit en préparation a-t-il gêné votre enquête ?
Non puisque le procès est aux Etats-Unis et que notre film est anglais. En revanche, nous avons écrit plusieurs fois à Harvey Weinstein pour lui proposer de l’interviewer. Je ne sais pas ce qu’il aurait dit, probablement rien, ce qui aurait été en soi intéressant. Nous avons aussi contacté son avocat Benjamin Brafman, qui a été celui de DSK, et lui non plus n’a pas répondu. D’ailleurs il ne travaille plus pour Weinstein. Nous lui avons écrit, une fois le film fini, pour lui faire part des accusations de viols et de tentatives de viols qui sont dans le film. Là, encore, sans réponse.
Et Bob Weinstein, le frère et ancien associé d’Harvey?
Je l’ai rencontré. Il est fâché avec son frère depuis au moins cinq ans c’est-à-dire soit bien avant que l’affaire ne soit révélée. Il m’a dit être dégoûté et n’avoir plus rien à voir avec lui. Bob Weinstein a même écrit un article pour le dire dans Vanity Fair. Il avait accepté de participer à notre film. Il a finalement refusé, sans doute après avoir parlé avec ses avocats.
Votre film témoigne d’une volonté de libérer la parole qui n’existe pas en France. En avez-vous conscience?
Je sais pour avoir vécu un an en France lorsque j’étais étudiante que les attitudes sont différentes. Juste après l’éclatement du scandale, au moment de #metoo, la tribune française des 100 a été très choquante. Pour nous, anglaises, c’était incompréhensible.
Pour nous aussi, je vous rassure. Cette tribune mélangeait tout !
Différencier l’agression de la séduction revient à reconnaître ce qu’est un abus de pouvoir. On en a mieux conscience lorsque l’on est plus mûre, un peu plus âgée. Mais, comme le dit l’actrice Paz de la Huerta, à la fin du film, même si Weinstein et d’autres sont tombés, il faut se méfier. Ca continue. En Grande-Bretagne, il y a d’ailleurs eu une augmentation des viols et des agressions sexuelles depuis. Qu’est-ce que ça veut dire?
Quels témoignages avez-vous privilégié dans votre film?
Je tenais absolument à donner la parole à ces femmes qui n’avaient pas encore parlé. Hope d’Amore (Buffalo) avait fait une allusion dans le New York Times. Erika Rosenbaum, la jeune actrice canadienne qui sert de fil conducteur n’avait jamais rien dit. Or, elle me semblait emblématique car elle décrit la danse entre ces actrices moins puissantes et un homme comme Weinstein. Elle voulait lui plaire – elle l’avait vu plusieurs fois, il lui avait promis un rôle – , elle a pensé qu’en sachant quel type d’homme il était, elle serait plus forte ! Nannette Klatt, la femme aveugle, ne s’était jamais confiée. Paz de la Huerta non plus, et Rosanna Arquette jamais devant une caméra. Les journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, sont eux en train d’écrire un livre qui va bientôt paraître.
A votre connaissance, y a-t-il d’autres films en cours sur l’affaire Weinstein ?
Pas à ma connaissance mais il y en a un sur le mouvement #metoo.
Le parti pris de votre film dépasse l’affaire Weinstein.
Mon film décrit un abus de pouvoir. Et c’est en cela que l’affaire Weinstein, est emblématique.
Qu’attendez-vous du procès à venir ? Et selon vous, que faut-il en attendre?
Le procès ne sera sans doute pas une solution. Cela va être compliqué pour toutes ces femmes, à cause du manque de preuves. La masse des témoignages jouera sans doute contre Weinstein comme cela a joué contre Bill Cosby. Toutes expliquent à peu près le même modus operandi : d’abord, les compliments, la perspective d’un rôle, de grands rôles, d’une carrière. Ce qui est très séduisant. Puis viennent les demandes de massage, sa nudité exposée et la suite. Weinstein était tout de même le plus grand séducteur du monde à l’époque où il sévissait ! A vrai dire, je n’ai pas beaucoup d’espoir pour ce procès.
Ursula Macfarlane, vous abordez aussi ce qu’on pourrait appeler une certaine naïveté des femmes…
Ah non ! C’est impossible de dire ça ! C’est une question de prédation. Un prédateur comme lui reconnait ses proies, les femmes plus fragiles, celles qui veulent quelque chose. A chaque fois, leur carrière était en jeu. Même pour les assistant.e.s qui travaillaient chez Miramax. D’ailleurs, cette expérience les a lancé et aucune d’elle, à part Lauren O’Connor (agent littéraire) n’a risqué de mettre sa carrière en péril. Elle est la seule à avoir écrit un mémo qui décrit les abus de pouvoir chez Weinstein, qu’elle a déposé à la DRH et que quelqu’un à envoyer au New York Times. Ce qui a tout déclenché. Elle a agi comme une lanceuse d’alerte ! Mais elle a eu très peur et à cause d’une clause de son contrat, elle a eu beaucoup de mal à accepter de participer au film.
Zelda Perkins, l’anglaise qui lui résiste, est passionnante aussi.
Oui, parce qu’elle était très jeune, 23 ans, et très forte ! Elle rigole quand il lui propose ses massages, elle n’était pas vulnérable ! Son amie, en revanche, n’a pas voulu aller à la police. Elles ont été forcées à signer ce contrat très dur, qui les empêchait même de parler avec une thérapeute ! Les autres n’étaient pas faibles mais sans doute plus fragiles.
Ursula Macfarlane, avez-vous cherché à joindre ses épouses ?
On a essayé mais c’était impossible. J’ai parlé à leurs ami.e.s… Je me dis parfois que nous avons fait ce film très vite, trop vite peut-être. Que si nous avions attendu dix ans ou qu’il soit en prison ou mort, elles parleraient.
Mais, c’est très important de faire un film maintenant !
C’est intéressant de voir comment nous avons évolué en faisant le film. Au début du tournage, il y a un an, nous étions dans une sorte d’euphorie : « Weinstein ira en prison ! « mais au cours des mois, c’est devenu plus déprimant. Nous avons commencé à en douter. Les hommes puissants ne tombent jamais complètement. Je pense souvent que si Weinstein avait été un jeune noir, il serait déjà en prison. S’il n’est pas condamné, ce sera la pire chose pour le mouvement #metoo. On donne la parole aux femmes et finalement, il ne se passe rien !
Propos recueillis par Véronique Le Bris
Toute la carrière de Ursula Macfarlane est à retrouver sur www.ursulamacfarlane. com