En réalisant Woman avec Anastasia Mikova, Yann Arthus-Bertrand poursuit sa compréhension de l’humanité et donne la parole à sa moitié la moins écoutée. Il explique sa démarche à Cine-Woman.
« Quand les femmes commencent à parler, elles parlent de tout, sans tabous »
Les femmes méritent le respect, avance Yann Arthus Bertrand lors des présentations qu’il fait de son nouveau film. Et bien plus qu’elles n’en reçoivent.
Woman qu’il co-réalise pour la première fois avec Anastasia Mikova, journaliste à ses côtés depuis plus de dix ans, rend justement un hommage vibrant, nécessaire et donc passionnant à la moitié de l’humanité. Celle que l’on entend rarement, qu’on écoute encore moins mais qui saisit ici l’opportunité de prendre la parole pour raconter enfin sa part de vérité, sa vision du monde. Et c’est forcément passionnant.
Quel était votre but en réalisant Woman avec Anastasia Mikova ?
Yann Arthus-Bertrand : Woman est une parole donnée aux femmes. Un film pour parler des injustices qu’elles subissent partout dans le monde et montrer leur courage et leur intelligence. Le projet a été lancé en 2015, donc bien avant le mouvement #metoo. Pour l’équipe féminine (à part moi), c’était un combat de faire ce film.
Et qui est Anastasia Mikova, votre co-réalisatrice ?
YAB : Anastasia est journaliste. Elle travaille depuis plus de dix ans avec moi. Nous avons réalisé ensemble la série de documentaires La Terre vue du ciel. Elle était responsable éditoriale de Human, notre film précédent. Elle y a conduit 600 interviews. Cette fois-ci, elle co-réalise. Ce qui est une première pour moi. Je sais qu’elle est très pro, très sérieuse, plus rationnelle que moi. Ce serait malhonnête de ma part de ne pas reconnaître tout le travail qu’elle et l’équipe ont fait en y apportant une couleur que je n’aurais pas su lui donner. Anastasia a aussi réalisé un 52 mn complémentaire qui donne les chiffres et explique pourquoi et comment nous avons fait Woman.
Justement, comment avez-vous travaillé, sélectionné les 2000 intervenantes ?
YAB : En amont avec des fixeuses et plus rarement en laissant faire la chance et le hasard. Le travail de préparation a été très important. C’est Anastasia qui a dirigé toutes les interviews d’une durée allant d’une à deux heures. Au final, seule une dizaine de femmes sollicitées ont refusé d’apparaître dans le film.
Les interviews étaient-elles très « dirigées » ?
YAB : Neuf thèmes avaient été préalablement définis. Il y a des sujets comme les règles, la charge mentale, le retour au travail après les congés de maternité etc. que je ne trouvais pas utiles d’aborder. Mais, Anastasia et les 18 femmes de l’équipe me l’ont imposé. Moi qui suis très directif, là, j’ai compris que je n’avais pas le droit de m’opposer, que je devais être à l’écoute. Je me sentis parfois exclu. J’ai eu l’impression que ce n’était pas mon film. Et c’est pourtant la chose la plus importante que j’ai faite.
Y-a-t-il des sujets que vous, Yann Arthus-Bertrand, regrettez de ne pas avoir abordés ?
YAB : D’habitude, je fais des films très longs, mais là, l’équipe voulait un film court. Alors, Il manque par exemple les femmes-soldats, le thème du divorce, les conséquences quand des hommes ne paient pas les pensions alimentaires ou les sujets religieux. Le voile notamment.
Pourquoi ne pas avoir traité ces sujets-là ?
YAB : Concernant le voile, nous avions interrogé une musulmane de Birmanie réfugiée au Bangladesh. Mais, le gouvernement, comme ceux de la plupart des pays arabes, nous a refusé les autorisations de tournage. Sinon, nous n’avons pas évoqué non plus la dépendance des femmes aux hommes. Mais on parle des violences conjugales. Sur l’inceste, par exemple, nous n’avons pas insisté alors que nous avions des tonnes de témoignages ! Ce qui est frappant, c’est que quand ces femmes qui ont beaucoup vécu commencent à parler, elles parlent de tout, sans tabous.
Puisque vous êtes très engagé dans l’écologie, notamment avec votre Fondation Good Planet, faîtes-vous un lien entre femme et écologie ?
YAB : Oui et il est énorme ! Toutes les héroïnes de l’écologie sont des femmes : Vandana Shiva, Jane Goodall, Dian Fossey, Greta Thunberg, Rachel Carson qui a lutté contre le DTT, Claire Nouvion (contre la pêche industrielle) ou toutes les femmes assassinées au Brésil ou en Colombie… Cela n’existe pas chez les hommes qui sont plus politiques qu’activistes. Les femmes se projettent plus dans l’avenir, elles le protègent. J’en connais beaucoup dévouées aux autres et sans égo, mais aucun homme.
A quoi sert votre fondation GoodPlanet ?
YAB : C’est un endroit gratuit et ouvert à tous du mercredi au dimanche, au cœur du Bois de Boulogne. On y parle des abeilles, des réfugiés, du changement climatique. On y apprend à cuisiner pour bien se nourrir et réfléchir à ce qu’on consomme. Je l’ai lancé grâce au succès de La Terre vue du ciel, mon livre qui a été vendu à 4 millions d’exemplaires. Depuis, je fais le mendiant professionnel pour lui permettre de continuer à exister. Il y a même une salle de projection.
A quoi servira le succès du film Woman ?
YAB : Woman a été financé en amont. On ne cherche pas à gagner de l’argent avec ce film. Tous les bénéfices seront reversés à l’association Woman(s) que nous avons créée. Elle a pour mission d’aider des écoles partout dans le monde qui facilitent l’accès des filles aux médias ou à faire du cinéma. Soit en leur offrant des bourses, soit en payant leurs études sur place ou en les faisant venir en France. Pour l’instant, nous travaillons au Brésil, en Inde, en Afrique du Sud et en Chine. Parce qu’il est important que les femmes s’emparent des médias pour prendre la parole.
Propos recueillis par Véronique Le Bris