L’Interview de Valérie Donzelli
Dans notre dame, son nouveau film qui sortira le 18 décembre 2019, Valérie Donzelli parle architecture, intuition, incendie, reconstruction, fantaisie, charge mentale et féminin… Comme dans Cine-Woman.
« Quand Notre Dame a brûlé, je venais de terminer le montage de notre dame. J’étais partagée entre le sentiment d’être maudite et d’avoir eu de la chance »
Son nouveau film, notre dame, est un vrai coup de frais sur le cinéma français, aussi profond que réjouissant.
Rencontre avec sa créatrice inspirée, Valérie Donzelli, qui parle ici autant de son intuition géniale – mais n’est-ce pas plus qu’une intuition? – de ses goûts, des femmes, de leurs particularités et de leur manière d’enchanter le monde.
Depuis quand votre film s’appelle-t-il notre dame?
Valérie Donzelli : Quasiment depuis le début même si la première version s’appelait Taille de Guêpe, la seconde Coup de Crayon. Il y a plus de deux ans, mon compagnon, en me posant des questions sur le scénario, m’a demandé quelle histoire je voulais raconter : celle de Bacchus ? de Martial ? de Maud Crayon ou bien celle de Notre-Dame ? Notre dame, quel titre génial !
Comment l’écrivez-vous?
V.D : notre dame avec en minuscule pour garder le jeu de mots entre la cathédrale, Maud Crayon, la maire de Paris et toutes les femmes du film.
Combien de versions avez-vous écrites?
V.D : Ouhla, pas mal ! Chaque version était très différente avec des trajectoires de personnages très variées. La difficulté essentielle était de parvenir à raconter l’histoire de Maud Crayon sans négliger celle des personnages qui font écho à sa vie. Mais, il est toujours resté l’idée de parler d’architecture.
Pourquoi vouloir parler d’architecture, Valérie Donzelli?
V.D : Je l’ai étudié pendant trois ans. C’est à l’école de Charenton, l’UP4 de l’époque, qui n’existe plus aujourd’hui, que j’ai rencontré ma meilleure amie. Je m’en suis inspirée pour le personnage de Maud Crayon, ainsi que de toutes les femmes qui m’entourent et de moi-même.
C’est justement ce qui rend le concours d’architecture crédible.
V.D : Là, je me suis rappelée plusieurs concours, notamment celui que François Mitterrand avait lancé pour l’Opéra Bastille. Il avait voulu un appel à projet international, ouvert à tout diplômé en architecture, pour donner une chance à tous. Le jury a choisi un projet en pensant que c’était un grand architecte alors qu’il s’agissait d’un sombre inconnu. Tout le monde a flippé. Le lauréat a eu sur le dos des ingénieurs structure, des architectes reconnus pour gérer sa soi-disant incapacité. Au final, le bâtiment ne ressemble plus au projet initial qu’il n’a pas réussi à imposer. Il n’avait pas assez d’expérience, ni confiance en lui pour s’affranchir des autorités et des conventions. J’ai aussi pensé à l’architecte de la grande Arche de la Défense qui s’est suicidé parce qu’on voulait trop modifier son projet !
Cela vous est-il arrivé?
V.D : Dans le cinéma aussi, il faut savoir tenir son projet. On croise toujours quelqu’un pour vous dire : « t’es sûre de ça? » Or, c’est difficile de bien porter son idée, d’avoir confiance en soi. Maud Crayon, sa faille, c’est qu’elle n’a pas confiance en elle. L’eau va pénétrer et elle va se noyer !
Pourquoi avoir situer votre projet à Notre-Dame?
V.D : Je voulais créer un scandale autour de l’architecture. J’ai réfléchi à ce qui pourrait faire scandale tout en restant crédible.Il me fallait forcément un bâtiment ancien sur lequel on mettrait de la modernité. Et Notre Dame qui est la figure et le coeur de Paris s’est imposée. Le lieu est suffisamment grand pour imaginer réaménager le parvis autour d’une station de métro, d’une boutique etc. Ou à protéger la cathédrale des attentas par exemple.
Et comment avez-vous réagi que la cathédrale a brûlé ?
V.D : J’étais catastrophée, anéantie. J’avais l’impression d’être dans un mauvais rêve tout en étant triste et blessée de la voir en flammes ! Quand on travaille sur un monument, on s’y attache et nos réactions sont d’autant plus fortes. Et comme j’habite à côté, j’ai vu la fumée, le brasier et les pompiers avec leurs tout-petits tuyaux tenter de lutter contre le feu. Finalement, ils ont réussi à éteindre l’incendie, je ne sais pas trop comment.
Et où en étiez-vous de votre film, Valérie Donzelli ?
V.D : Je venais de terminer le montage. J’étais partagée entre le sentiment d’être maudite et d’avoir eu de la chance. Si Notre Dame avait brûlée avant le tournage, j’aurais pu dire adieu à mon film et retourner écrire autre chose.
Que vous disent, à ce propos, ceux qui l’ont vu?
V.D : Que mon film est une comédie prophétique !
Pensez-vous avoir une belle intuition ?
V.D : En imaginant un chantier sur Notre Dame, oui. Puisqu‘un vrai chantier va bientôt démarrer pour la reconstruction de la flèche. Et qu’il y aura une polémique entre ceux qui veulent la refaire telle qu’elle était avant et les autres qui veulent innover. C’est justement un des sujets que j’aborde dans mon film qui en devient précurseur !
Et vous, qu’en pensez-vous?
V.D : Je ne suis pas pour le conservatisme du tout. Je pense qu’il faut faire évoluer les choses. C’est d’ailleurs ce que raconte mon film. Et cela, même si c’est douloureux, même si ça fait peur, il faut aller de l’avant !
D’où vient la fantaisie qui inonde votre film?
V.D : Je suis un peu comme ça, sans m’en rendre compte. Ma mère l’était. Elle aboyait dans les magasins pour appeler ses quatre enfants. On rappliquait puisqu’on savait que c’était elle. J’ai sans doute hérité de sa fantaisie, de sa liberté… Toute l’énergie que j’ai dans la tête, cette soif de joie, cette envie de m’amuser, de ne pas tenir en place, je la canalise dans l’aire de jeu qu’est le cinéma. J’ai de l’imagination qui me fait parfois souffrir dans la vie parce que je me fais des scénarios qui ne sont pas la réalité. Donc, je les mets dans mes films.
Avez-vous imaginé très tôt cette partie plus théâtrale au milieu du film?
Valérie Donzelli : Je savais que je tenterais des expériences comme celles-là. Mais, ce n’est pas marrant à écrire. Il faut l’éprouver physiquement, la mettre en scène comme un spectacle vivant. J’ai dû trouver la chorégraphe, Maud Le Pladec. C’est à la fois improvisé car arrivé tard dans la fabrication du film et très répété.
Au Festival du Film Francophone d’Angoulême, vous l’avez rejoué sur scène immédiatement après la projection du film, deux jours de suite. Comment l’avez-vous vécu ?
V.D : C’était génial, une expérience démente. Quand on fait un film, on a joué. Là, on rejoue. On allie le plaisir du cinéma qui est un art déjà fabriqué avec le théâtre, la danse, qui sont des arts vivants. On vit l’émotion des gens qui voient le film et celle que nous transmettons sur scène. C’est génial !
Valérie Donzelli, Avez-vous déjà mis en scène au théâtre ?
V.D : Non, mais j’adorerais. C’est un de mes prochains objectifs.
Maud Crayon n’a pas confiance en elle, ce qui est une caractéristique plutôt féminine. Est-ce proche de vous?
V.D : : Oui, c’est difficile d’avoir confiance en soi. Je doute moins qu’elle dans le travail. Mais dans d’autres domaines , elle assure : avec les enfants par exemple. Elle a une vraie force mais son parcours est complètement empêché. A la fin, elle a perdu, beaucoup, mais gagné tellement plus !
Sa fille lui fait à un moment une réflexion troublante, du genre « pourquoi les femmes doivent tout faire? »
V.D : Elle lui dit exactement : « Maman, pourquoi ce sont les femmes qui font tout? » et Maud répond : « ben euh… ». J’ai répondu la même chose lorsque ma fille de 12 ans m’a posée la question.
Et alors, que dîtes-vous maintenant?
V.D : Je crois que les femmes sont une addition de choses. Quand une femme travaille et a des enfants, elle ne va pas moins travailler ou moins élever ses enfants. Pour elles, les choses s’additionnent. C’est pour ça que les femmes ont cette charge mentale énorme. Elles ont cette capacité à additionner. Comme elles ont la capacité de loger un être humain en elle pour le mettre au monde. C’est quand même particulier d’accepter cela avec autant de simplicité ! .Les femmes s’additionnent, comme elles se doublent ou s démultiplient.
Vous avez beaucoup écrit des rôles de femmes. Pourriez-vous écrire pour un homme?
V.D : J’écris pour les femmes parce que j’en suis une. Mais je pourrais tout aussi bien écrire pour un homme (elle se marre). J’ai écrit le personnage de Maud comme et parce que j’avais envie de le jouer, de le diriger de l’intérieur.
Et des contre-emplois pour vos acteurs. Samir Guesmi, pour une fois, n’est pas dans le doute…
V.D : C’est vrai, il est autoritaire ! Ça m’a beaucoup amusé de choisir des acteurs et de leur proposer des choses un peu différentes de ce pourquoi on a l’habitude de les voir. Sans casser leurs caractéristiques, sans chercher à heurter leur nature. Samir Guesmi peut incarner une figure autoritaire, odieuse tout en restant sympathique.
Virginie Ledoyen joue votre soeur et c’est crédible !
V.D : Virginie c’est une grande rencontre. J’aimais l’actrice, sa beauté et je l’ai rencontrée dans un dîner au Festival de Cannes. J’ai eu un coup de foudre pour elle et je lui ai confié le rôle de ma soeur. Et ça fonctionne très bien !
En attendant la sortie du film le 18 décembre 2019, que faites-vous Valérie Donzelli ?
V.D : La tournée des festivals, sa promotion. Je suis aussi en train d’écrire une série où le féminin sera au centre.
Propos recueillis par Véronique Le Bris