L’interview de Tonie Marshall
Depuis ses débuts de réalisatrice, Tonie Marshall a centré ses histoires sur des personnages féminins. Elle qui reste la seule femme à avoir reçu le César du meilleur réalisateur pour son film Venus Beauté (Institut) s’attaque à un thème fort et pertinent : celui de l’accession au pouvoir d’une femme à la tête d’une entreprise du CAC40. Et c’est à Emmanuelle Devos qu’elle a confiée cette mission : devenir Numéro Une.
« Ce que je montre dans Numéro Une est en dessous de la réalité »
Numéro Une aborde frontalement la quasi impossibilité pour une femme aussi brillante, compétente et diplômée soit-elle, d’accéder aux plus hautes fonctions professionnelles.
Un sujet rarement, pour ne pas dire jamais, traité au cinéma, et pourtant une réalité qui nous concerne toutes. Alors pourquoi la réalisatrice et productrice Tonie Marshall s’est-elle motivée pour le traiter ?
Comment vous est venue l’idée de traiter le difficile sujet de l’accession des femmes aux postes de pouvoir ?
Tonie Marshall : Je pense qu’au départ c’est mon envie de travailler avec des actrices de générations différentes qui m’en a donné l’idée. Il y a six ou sept ans, i’ai commencé à créer des personnages pour une série TV, Le Club, qui racontait à travers un réseau féminin la difficulté pour les femmes d’accéder à des postes importants dans le milieu de la politique, de l’industrie, de la presse, du sport… J’avais entendu parler de ces réunions de club de femmes, de diners et je voulais savoir pourquoi ces femmes se réunissaient et à quoi cela leur servait. Je trouvais le projet excitant… mais il n’a pas plus du tout !
Et vous y êtes revenue ?
T.M : Oui, parce que depuis, l’atmosphère a beaucoup changé. Il y a plus de morale, de religion, de questions d’identité que lorsque j’étais jeune et je sais que cela n’est jamais favorable aux femmes. Au contraire. Finalement rien ou si peu a changé en 30 ans. Donc de féminophile, je suis en passe de devenir féministe ! Et j’ai donc décidé de faire un film là-dessus.
Pourquoi l’avoir situé dans l’industrie ?
T.M : La politique est trop dépréciée. On connaît moins l’industrie. Or, on y trouve des parcours de femmes brillantes, qui ont fait des longues études et un univers intéressant à filmer.
J’ai demandé à Raphaëlle Bacqué – journaliste au Monde – de me faire rencontrer des femmes qui avaient fait carrière dans l’industrie, auprès de qui je me suis renseignée pour savoir comment raconter cette histoire. Et là, je n’ai pas été déçue. Ce que je montre dans le film est en dessous de la réalité.
Tonie Marshall, vous parlez de la misogynie ?
T.M : Oui ! La misogynie frontale qui consiste pour un homme à garder son pré-carré de pouvoir sans y faire rentrer la moindre femme, la misogynie bienveillante, inconsciente, paternaliste, très gentille comme si les femmes le réclamaient… et les réflexions habituelles sur l’hystérie ou sur la supposée fragilité des femmes. Jamais je n’aurai cru qu’on en serait encore là au XXIème siècle. Il faudrait une arrivée massive des femmes à la tête des entreprises pour que la gouvernance se modifie un peu.
Ces femmes concernées ont-elles envisagé des solutions pour y parvenir ?
T.M : Ce n’était pas mon propos, je cherchais comment écrire mon scénario. Mais, j’ai tout de même ressentie, de la part de ces femmes qui ont l’habitude de beaucoup se contrôler, une exaspération très forte.
Votre scénario est-il fidèle à leurs histoires ?
T.M : Tout ce qui y concerne l’entreprise est très inspiré du réel, même les péripéties annexes sur l’espionnage par exemple. La vie personnelle de mon héroïne est, en revanche, inventée. Le réseau féminin, aussi. Toutes les femmes que j’ai rencontrées m’ont confirmé qu’il n’existait, en France, aucun réseau féminin assez puissant pour hisser une femme à la tête d’une entreprise du CAC40.
Vous avez écrit avec Marion Doussot, une scénariste plus jeune que vous. Qu’a-t-elle apporté ?
T. M : Elle m’a réveillée tant elle était remontée ! A tel point que moi qui ne suis pas favorable aux quotas, je suis en train de me dire qu’il en faut !
Votre héroïne est sceptique au début du film. Elle prétend ne pas croire à la solidarité féminine.
T.M : Ce à quoi la directrice du réseau féminin lui répond : « on ne vous demande pas d’y croire, ce n’est pas une religion mais de la politique ! » En tous les cas, moi, j’ai toujours constatée qu’elle existait cette solidarité. Je me suis toujours sentie soutenue par les femmes.
Et finalement, est-ce par goût du pouvoir que votre héroïne accepte de tout faire pour diriger une entreprise du CAC 40 ?
T.M : Elle est d’abord abasourdie, puis confrontée aux limites de son ascension dans sa société. Elle analyse la situation, s’aperçoit que les directions proposées sont toutes mauvaises. Elle se décide à y aller, non pas pour faire avancer la cause des femmes, mais parce qu’elle a un projet. C’est son moteur. Là où un homme aurait été sensible au pouvoir du poste et à l’argent qu’on lui proposait.
Son film Numéro Une sort en salle le 11 octobre 2017.
Propos recueillis par Véronique Le Bris
© Joris Rossi-Marcel Hartmann- Tabo-tabo-films
Numéro Une - Cine Woman
19 janvier 2018 @ 16 h 24 min
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