Malgré plus de deux millions d’entrées en salle en deux films, Thomas Lilti, médecin qui fait des films, peine à se sentir légitime dans le cinéma. Il enchaîne pourtant avec Première année, un autre carton annoncé, sur le parcours du combattant absurde des postulants aux études de médecine. Rencontre.
« Laissez moi faire des films sur la médecine ! »
Avec Première année, le réalisateur Thomas Lilti boucle un triptyque savoureux consacré à la médecine en France. Débuté avec Hippocrate, qui racontait les premiers pas d’un interne à l’hôpital, la série s’est poursuivie avec Médecin de Campagne, sur le difficile passage de relais d’un docteur ancré dans son territoire. Elle s’achève avec le début de parcours de deux apprentis médecins. Ils rêvent de passer le cap fatidique de la première année d’études, celle du bachotage et du concours qui décidera de leur avenir. Y parviendront-ils ?
Rencontre avec le médecin Thomas Lilti au Festival du Film Francophone d’Angoulême où il présentait son film et officiait au jury.
Vous êtes un cas unique dans le cinéma français. Un médecin qui fait des films sur un sujet qu’il connait mieux que personne : la médecine. D’autres réalisateurs ont votre parcours mais sans jamais traiter du sujet. A votre avis, pourquoi?
Thomas Lilti : Je suis un médecin qui fait des films, pas un cinéaste qui a fait médecine. La plupart des autres, à ma connaissance, ne sont pas allées au bout des études. Albert Dupontel par exemple. Moi, je n’ai jamais eu de rejet de la médecine. Comme je ne suis pas un rebelle, j’ai, dans la continuité du modèle familial, eu l’envie de faire des études supérieures – mon père est médecin, ma mère universitaire-. Je l’ai fait le plus sérieusement du monde avec parallèlement, la passion du cinéma. Et avec ce désir de fabriquer des films, de faire de la mise en scène. Je n’ai lâché ni la médecine, ni le cinéma.
Votre premier film Les Yeux bandés ne parlait pas médecine…
T.L : Non, c’était un polar. A l’époque, mes deux vies étaient très étanches. Puis, en écrivant pour d’autres, je me suis aperçu qu’ils assumaient de parler d’eux, de leur famille… Tout faisait oeuvre de fiction. Moi, je me limitais. Je laissais la médecine de côté dans mon cinéma. Puis, je me suis dit qu’il valait mieux parler de ce que je connaissais. Ainsi est né Hippocrate. J’ai eu ensuite eu envie de continuer.
Après deux films, n’avez-vous pas eu envie de changer de sujet?
T.L : Première année n’est à aucun moment un film sur la médecine ! Je voulais faire un film sur les étudiants. Sur ce que c’est d’avoir 18 ans, de savoir ce qu’on a envie de faire et de se retrouver dans ces filières où on apprend le goût ou l’aversion la compétition. On y est confronté à l’adversité des autres élèves, monté les uns contre les autres. Voilà ce que je voulais raconter. J’aurais pu le faire ailleurs qu’en première année de médecine, mais c’est toujours plus simple de raconter ce que je connais. Et puis, cette année préparatoire de médecine est la quintessence de ce système.
Thomas Lilti, vous êtes le Benjamin du film?
T. L: Clairement ! Enfin… J’aurais rêvé d’être Benjamin. Lui est un héros de cinéma, moi je suis le commun des mortels à côté de lui. J’étais bon élève comme lui mais sans avoir sa bienveillance, son affection. Ni sa capacité à avoir conscience qu’il a des aptitudes tout en pouvant tendre la main à celui pour qui s’est plus compliqué. Il a des qualités humaines rares qu’on aimerait que notre médecin ait. Mais, on ne les sélectionne pas comme ça !
Peut-être avez-vous eu un père plus bienveillant que Benjamin?
T.L: Oui, j’ai un père plus bienveillant, pour lequel j’ai beaucoup de tendresse. Mais, il a aussi beaucoup de défauts qui ont pu inspiré le père de Benjamin ! C’est vrai qu’il y a toujours une figure du père contrarié dans mes films depuis Hippocrate. C’est ma vision du rapport fils/père tiré de la réalité. Cette difficulté à faire les choses en faisant abstraction du besoin de reconnaissance et du regard de son père.
Surtout quand on fait le même métier que lui. Est-il fier de vous en tant que cinéaste?
T.L: Je pense. Avant, je me posais la question par rapport à moi. Maintenant c’est par rapport à lui,. Et je me dis « s’il n’est pas fier, c’est dommage ! Ce que je fais n’est pas honteux. Son fils est heureux et réussi dans ce qu’il fait ! ». Mais nous n’en parlons jamais aussi frontalement.
Qu’est-ce qui vous inspire à filmer ainsi l’univers médical?
T.L : C’est filmer l’institution qui m’intéresse. Hippocrate, c’est l’institution. Médecin de campagne aussi, mais en milieu rural. Première année, c’est aussi le système qui est décrit, la vacuité des concours sélectifs, la compétition, qui ne sont plus en lien direct avec le métier qu’on est en train d’apprendre. C’est un cinéma que je crois politique, même si ce n’est pas son point de départ. Mes films sont politiques. Et la médecine est un univers fort en fiction, en romanesque et même en divertissement. On y parle de la maladie, de la mort, de la responsabilité, de la douleur, de la culpabilité, ces grandes thématiques auquel le métier de médecin nous confronte chaque jour.
Vos films ont du succès : Hippocrate a réuni 800 000 spectateurs, Médecin de campagne 1, 5 millions. L’aviez-vous anticipé?
T.L : Quand j’ai proposé Hippocrate, personne ne voulait le financer. Je n’étais pas connu, les acteurs pas tellement non plus et le sujet faisait peur. D’un point commercial, l’hôpital était perçu comme un sujet de télévision trop anxiogène pour le cinéma. Il pouvait être le lieu d’une intrigue policière ou sentimentale, mais pas de la pratique médicale ! Ne pas se retrouver face à un patient malade ou à une famille à qui il faut annoncer qu’il va mourir ou qu’il est déjà mort ! Moi, c’est ce sujet-là que je voulais traiter et qui a ouvert la voie à d’autres films. Les spectateurs sont en quête de sens, ils ont besoin que les films ne leur assènent pas une vérité mais ouvrent le débat, les amènent à se poser des questions sur un sujet de société, auquel ils n’avaient peut-être même jamais réfléchi. Pour Première année, ma première motivation est de m’adresser aux étudiants, aux parents et aux familles qui ont vu leur enfant s’abimer dans ces parcours compétitifs, vivre l’échec.
Pourquoi n’y a-t-il pas d’héroïnes féminines?
Pour plusieurs raisons. Cela reste compliqué pour moi d’écrire des rôles féminins. J’ai plus de mal à me projeter. Faire de Benjamin, qui est mon double de fiction une fille, l’éloignerait plus de moi. Et puis, je voulais absolument écrire pour Vincent Lacoste. Je tenais à refaire un film avec lui après Hippocrate. Avec Vincent jouant Antoine, faire de Benjamin une fille était problématique. J’aurais été obligé de traiter d’une histoire sentimentale ou amoureuse qui allait prendre de la place et je n’en voulais pas. Première année est une histoire d’amitié. En parallèle, j’écris une série TV adaptée d’Hippocrate pour Canal+ où deux des trois personnages principaux sont des femmes.
Vous avez filmé Vincent Lacoste plus vieux dans Hippocrate avant de le filmer plus jeune dans Première année.
Je l’ai plus vieilli pour Hippocrate que je ne l’ai rajeuni pour Première année. On me disait qu’en interne de 24 ans alors qu’il n’en avait que 19, il ne serait jamais crédible. Mais, c’est un acteur incroyable. Après l’avoir vu chez Riad Sattouf, j’ai eu immédiatement eu envie de tourner avec lui. Il a une nature singulière. Il est travailleur, intelligent, rapide.
Pour lui qui n’a pas fait d’études se retrouver à l’Université Descartes, ça a dû être une expérience…
William Lebghill et Vincent se sont pris l’univers des études en pleine figure : la compétition, la jeunesse au travail jour et nuit puisque la plupart des figurants sont des étudiants en médecine de troisième ou quatrième année. Ils ont été impressionnés !
Les études de médecine sont-elles plus compétitives qu’à votre époque?
A mon époque, le numerus clausus était plus bas. Mais aujourd’hui, il a plus d’étudiants inscrits et les disciplines de la santé sont plus nombreuses. La compétition reste terrible. Le concours fait de QCM où les qualités humaines ne sont pas prise en compte, est absurde. Ce qui compte, c’est la capacité acharnée à travailler et à savoir travailler pour un concours. Pour la plupart, la réussite se joue à rien, et l’échec est très violent. C’est terrible de commencer sa vie professionnelle, sa vie d’adulte, sur un échec.
En avez-vous fini avec la médecine ?
Non, je ne dirai jamais que c’est terminé. Je n’exerce plus depuis 2015/2016 mais j’y reviendrai peut-être. Sinon, la série pour Canal+ qui sera diffusée en novembre risque de connaitre une deuxième saison. Pour la suite, je n’ai pas commencé à écrire mais on n’est pas à l’abri que la médecine s’invite. Je ne me l’interdirais pas ! Même si l’on dit de moi que je ne fais que ça, comme si cela me dévalorisait en tant que réalisateur, je réponds qu’il y a tellement de réalisateurs qui font des films sur autre chose ! » Laissez-moi faire des films sur la médecine ».
Propos recueillis par Véronique Le Bris