Pamela B. Green signe un premier documentaire foisonnant sur Alice Guy, Be natural : l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché. Cine-Woman l’a rencontrée au Festival de Cannes 2018 qui l’a sélectionné.
« Alice Guy devrait être connue de tous, même de ceux qui n’ont pas étudié le cinéma »
Pamela B. Green n’était pas réalisatrice mais gravitait dans le monde du cinéma. Elle s’y occupait de graphisme, de titraille et de marketing des films.
Sa rencontre inattendue avec Alice Guy l’a convaincue de passer à l’acte et de réaliser un documentaire pour la faire connaître. Be natural : l’histoire cachée d’Alice Guy-Blaché a été présenté au Festival de Cannes dans la section Cannes Classics en mai 2018, puis au Festival du cinéma américain de Deauville en septembre 2018.
Son film est sorti le 7 décembre 2018 aux Etats-Unis. Il sera sur une trentaine d’écrans français à compter du 22 juin 2020, à la faveur de la réouverture post-Covid des salles de cinéma. Rencontre à Cannes avec Pamela B. Green, sa dynamique réalisatrice, convaincue de casser l’injustice entretenue vis-à-vis de la plus incroyable pionnière du cinéma.
Comment avez-vous connu Alice Guy ?
Pamela B. Green : En regardant un programme spécial sur les pionnières du cinéma, sur la chaîne AMC. L’actrice Shirley Mac Laine parlait d’Alice Guy. J’étais très surprise de ne pas la connaître. J’ai demandé autour de moi. Personne ou pas grand monde ne la connaissait. J’ai immédiatement décidé de faire un film sur elle. C’était, pour moi, un besoin.
Selon vous, l’auriez-vous connu si vous aviez étudié le cinéma ?
P G : Je ne crois pas. J’ai rencontré beaucoup d’étudiants en France et aux Etats-Unis, et très peu la connaissent. Selon moi, Alice Guy devrait être connue de tous, même de ceux qui n’ont pas étudié le cinéma. C’est une femme importante en dehors des films, une femme entreprenante et une artiste.
Est-elle plus connue en France ou aux Etats-Unis ?
P.G : Aux Etats-Unis, de loin ! C’est tragique mais c’est vrai.
Qu’aviez-vous réalisé avant de dédier ce long métrage à Alice Guy ?
P.G : Quelques pubs, des courts-métrages, mais jamais de documentaire. Si je retournais huit ans en arrière, je réfléchirais car c’est un travail colossal. Mais, j’adore l’histoire et faire des recherches. Il faut être passionné et curieux pour faire un tel documentaire.
Qu’est-ce qui vous a décidé à passer à l’acte, Pamela B. Green ?
P.G : Quand j’ai commencé à m’y intéresser, j’en ai parlé à Robert Redford avec qui j’ai l’habitude de travailler. Je lui ai demandé s’il la connaissait. Il m’a dit non et était un peu fâché de ne pas la connaître. Il m’a demandé ce que je voulais en faire. J’ai répondu un documentaire car je savais qu’il y avait peu de recherche sur elle. Il était d’accord et est devenu producteur exécutif. Jodie Foster, Hugh Heffner (Play Boy) m’ont donné de l’argent car mon film coûte cher. Beaucoup de femmes m’ont aidé à faire le film qui raconte tous les rôles qu’a joué Alice Guy-Blaché à une époque sur laquelle j’ai dû me renseigner.
Qu’est-ce qui a coûté cher ?
P.G : La recherche tout d’abord. Je suis allée partout où des archives existaient. Les droits des extraits de films, de la musique ensuite et enfin, l’animation et le graphisme. Seules, Jodie Foster qui fait la narration et moi ne coûtons rien ! Jodie était vraiment la personne idéale pour raconter cette histoire.
Vous avez présenté le film à Cannes en disant qu’il n’était pas fini. Que lui manque-t-il ?
P.G : Il était fini à 80%. Mais je voulais affiner le graphisme, le montage, les couleurs, la musique et revoir un peu la narration. Je devais aussi un peu le couper ou le rallonger car il est bourré d’informations.
Il est très dense…
P.G : Il s’adresse à la fois au public lambda et aux historiens. Un grand écart difficile.
Vous apportez beaucoup d’informations sur la période américaine d’Alice Guy, moins connue en France.
P.G : J’ai mené beaucoup de recherches à la Library of Congres, au MOMA à New York, dans sa famille… Je voulais comprendre pourquoi elle avait disparu. Et c’est vraiment une succession de circonstances malheureuses et dégueulasses qui l’ont effacée de l’histoire du cinéma.
Quel appui avez-avez-vous reçu en France pour vos recherches ?
P.G: Agnès Bertola qui s’occupe de ses archives chez Gaumont-Archives a été incroyable. La Cinémathèque ne m’a apporté aucune aide, aucun soutien. Certains ne souhaitent manifestement pas qu’elle soit connue ! Peut-être parce que c’est une femme… Je ne comprends pas pourquoi elle n’a pas sa place au Panthéon du cinéma. Elle la mérite amplement.
A part votre film, avez-vous d’autres projets pour la réhabiliter ?
Je suis en train de créer une fondation pour entretenir son héritage, continuer à restaurer ses films et aider les archives à rendre ses films accessibles au public. C’est mon prochain projet. Durant les huit ans qu’a duré le tournage, nous avons retrouvé douze de ses films que nous devons restaurer… et je suis sûre que nous en retrouverons d’autres. La Fondation de Martin Scorsese devrait nous y aider, elle s’est déjà engagée sur un des douze films.
Propos recueillis par Véronique Le Bris