L’interview de Noémie Merlant
Avec Les femmes au balcon, Noémie Merlant balance une farce punk pour dénoncer les violences faites aux femmes et revendique une joyeuse liberté. Un doigt d’honneur au patriarcat !
« Je veux qu’on arrête d’emmerder les femmes, qu’on les laisse vivre ! »
Et oui, les jolies filles peuvent avoir de l’humour, mauvais goût et quelque chose à dire. C’est le cas de Noémie Merlant qui consacre son deuxième film en tant que réalisatrice à dénoncer les violences sexuelles que subissent les femmes. Et si le propos est trash, c’est que la coupe est pleine et l’urgence à dénoncer indispensable. Elle s’explique.
Auriez-vous pu faire Les femmes au balcon s’il n’y avait pas eu le mouvement #metoo ?
Noémie Merlant : Je ne pense pas ou alors j’aurais mis beaucoup plus de temps à le faire. Et peut-être que moi-même, je n’aurais pas pris conscience de certaines choses.
Lesquelles ?
Noémie Merlant : Je n’aurais peut-être pas fait ressurgir les traumatismes que j’avais vécus, ni fait le lien entre ces traumatismes et les blocages sexuels ou de libido que j’avais dans la vie, mes crises d’angoisse… J’avais tout enfoui sous le tapis. #metoo m’a permis de faire ce travail de compréhension et d’évacuation qui m’a donné l’idée du film.
Vous le dîtes, ce film s’inspire de votre vie personnelle, d’un événement précis. Lequel ?
Noémie Merlant : J’ai dû de fuir de chez moi et me suis réfugiée chez des amies. J’ai vécu dans une sorte de gynécée pendant plusieurs mois. C’était une autre dynamique de vie qui m’a fait un bien fou. Avec Sanda Codreanu – Nicole dans Les femmes au balcon– et ses sœurs, nous avons alors énormément discuter de nos rêves, nos traumatismes, nos désirs et de l’oppression patriarcale… Un mec habitait en face, on le voyait nous regarder. Il semblait curieux de notre liberté, de notre nudité qui n’était pas celle de la séduction mais plutôt celle de la confiance retrouvée de corps qui se relâchent. J’ai voulu partir de ça pour le film, avec une forte envie libératoire d’aller dans l’humour, le gore, l’excès, l’absurde, le fantastique…
Pourquoi teniez-vous tant à mélanger les genres ?
Noémie Merlant : Ecrire ce film m’a permis de réfléchir aux images qu’on crée depuis toujours, aux représentations d’histoires d’amour et aux narrations qui sont toujours les mêmes. J’ai tenu à mettre une scène de viol, conjugal, dans le film. Il y en déjà eu beaucoup dans l’histoire du cinéma, sauf qu’elles ne sont pas montrées comme des viols mais comme quelque chose que la femme finit par apprécier. En général, à la fin, elle est contente. Pas dans Les femmes au balcon.
Quel message teniez-vous surtout à faire passer ?
Noémie Merlant : Qu’il est libérateur que les femmes prennent l’espace et ne se laissent plus faire par leur agresseurs.
Vous avez fait beaucoup d’avant-premières. Dans les débats qui suient, vous a-t-on parfois reproché d’avoir fait un film castrateur ?
Noémie Merlant : En général, hommes et femmes rigolent énormément, et à la fin, commencent à dialoguer, à prendre conscience de certaines choses. Mais souvent, il reste un petit groupe d’hommes, un peu plus âgés, réfractaires qui considèrent que c’est un film anti-hommes.
Et que leur répondez-vous ?
Noémie Merlant : Que mon film est une grosse comédie absurde, qu’on est, dès le départ, dans la tête de Nicole qui écrit ce livre où enfin elle peut enfin raconter tout ce que ces copines et elles ont pu vivre, toutes ces agressions, tous ces dominants agresseurs qui prennent tellement de place qu’on ne voit même plus ceux qui ne le sont pas. Et que si on avait leur réaction à chaque fois qu’on regarde un film où les femmes sont soit débiles, soit machiavéliques soit vénales, soit inexistantes, soit silencieuses, on n’aimerait aucun film ! Heureusement qu’on ne le prend pas comme une attaque personnelle, nous ! Et au contraire, soyez contents de voir des femmes qui se libèrent d’un agresseur !
Dans de nombreuses interviews, vous dites chercher la douceur tout en revendiquant signer un film punk. C’est paradoxal non ?
Noémie Merlant : J’avoue, c’est complètement paradoxal. Mais, regardez Bertrand Mandico, que je viens de rencontrer. Ses films sont punks alors qu’il est tout doux dans la vie ! En fait, je l’explique très bien : j’ai tellement été élevée par une société dans laquelle il ne fallait pas que je déborde trop, que je fasse trop de vagues, que je parle trop, voir pas du tout quand j’étais mannequin à mes débuts. Et comme je suis plutôt bonne élève, je suis habituée à me taire, à écouter, à garder en moi la violence que j’ai pu subir, à encaisser, à encaisser… Je ne me vois du tout ressortir cette violence dans la vie réelle, ce ne serait pas moi. Donc je le fais par l’art, par la création et avec humour. Les femmes au balcon est une comédie gore très cathartique.
Ce qui vous porte, c’est de la colère ou un sentiment de révolte ?
Noémie Merlant : Je ne suis pas quelqu’un en colère, je prends toujours le côté positif des choses. Mais, il y a bien une révolte : je veux qu’on arrête d’emmerder les femmes, qu’on les laisse vivre ! La révolte est un mouvement qui permet d’avancer.
Vous citez en référence : Pedro Almodovar, Quentin Tarantino, des réalisateurs-amis des femmes ?
Noémie Merlant : Je ne me suis pas posée la question en ces termes-là. Il m’arrive de voir des films réalisés par des hommes dans lesquels je ne me reconnais pas du tout, des films de guerre par exemple, qui racontent pas du tout nos histoires. Malgré tout, ils m’intéressent. Pour mieux se comprendre, pour se connaître, il faut s’intéresser aux films des uns aux autres. J’espère que des hommes viendront voir mon film pour saisir les traumas qu’on subit.
Concernant Almodovar, je ne capte pas Parle avec elle qui met en scène des femmes qui n’ont pas la parole et des hommes qui s’autopardonnent des viols. Je n’ai pas vrament pensé à Femmes au bord de la crise de nerfs non plus, mais beaucoup plus à Volver où les femmes sont incarnées, fantasmatiques, pleines de contradiction, de révolte ou de poésie. En vie quoi !
Les petites marguerites de Vera Chytilova, aussi. Pourquoi ?
Noémie Merlant : Je n’avais jamais vu un film comme ça avant. Avec deux jeunes femmes qui s’autorisent à faire tout ce qu’il ne faut pas faire. Elles y vont à fond, et même dans leur intimité. Ce sont des rebelles, j’adore. C’est un film culte pour moi.
On ne pardonne pas aux femmes le mauvais goût…Vous vous en moquez ?
Noémie Merlant : J’anticipe ! Avant qu’on me le dise, je proclame que mon film s’autorise le mauvais goût et que c’est un choix. Parce qu’on ne leur autorise pas, le mauvais gout allié à la vulgarité est, justement, le meilleur moyen d’arriver à montrer les femmes différemment et à casser le mythe dans laquelle on les enferme, celui de la maman ou de la putain.
Pourquoi n’y a-t-il pas un mec bien dans votre film ?
Noémie Merlant : Parce que s’il y en avait, tout le monde s’identifierait à lui et il n’y aurait donc pas d’introspection possible. Or, mon but est justement que les hommes s’interrogent sur le fait qu’ils ont peut-être eu à un moment un comportement problématique.
Propos recueillis par Véronique Le Bris