Papicha, son premier film, revient sur la décennie noire algérienne à travers une jeune étudiante qui veut organiser un défilé de mode. Mounia Meddour nous explique pourquoi elle a choisi de revenir ainsi sur ces années sombres.
« Mon héroïne n’est pas une militante mais ce qu’elle fait est un acte de résistance » Mounia Meddour
Chassée d’Algérie par la décennie noire, Mounia Meddour s’est formée au cinéma en France et y a réalisé plusieurs documentaires.
Elle a commencé par s’intéresser aux sciences avant de revenir peu à peu vers la culture du pays de son père, Azzedine Meddour, lui-même réalisateur. Elle a notamment signé La cuisine en héritage. Papicha, sa première fiction, revient justement sur la dernière année qu’elle a vécu sur place, avant de devoir venir s’installer en France. Celle de sa première année d’université où les menaces de l’islamisme radical se font de plus en plus pressantes. Voilà le sujet de Papicha, terme algérois du milieu de années 1990, qui la décrit mieux que tout.
Que signifie le terme Papicha ?
Mounia Meddour : Au milieu des années 1990, une papicha était une jeune fille émancipée assez coquette, plutôt libre, qui croit à ses rêves. C’est une expression typiquement algéroise qui véhicule une certaine résistance au sein de cette décennie noire. Elle pouvait aussi être un peu péjorative. C’est un terme oublié mais qui revient sur les réseaux sociaux depuis qu’on parle du film.
Etiez-vous une papicha ?
Mounia Meddour : Oui, mais sans le savoir. C’est vrai que je sortais en boîte, que j’avais des relations amoureuses, que je portais des jeans déchirés et que j’écoutais les New kids on the block ou les Spice girls. Dans une sorte de résistance naturelle. Le terme Papicha est issue de cette langue algéroise inventive et pleine d’humour, très spécifique et que je voulais utiliser dans mon film. C’est une des raisons pour lesquelles il était indispensable de tourner à Alger. En plus des décors bien sûr.
Lors d’une avant-première, le public, très féminin, a fortement réagi. Beaucoup pleuraient. L’une a dit que « c’était un film qui fait autant de mal que de bien à regarder ». Pouvez-nous expliquer pourquoi ?
Mounia Meddour : Le retour du public est très varié. Pour certains spectateurs, le film met enfin des images sur une période sombre. Et c’est positif. Pour d’autres c’est compliqué à affronter. Mais, la plupart trouve que c’est un film essentiel qui aborde cette période sombre qui n’a pas tellement été analysée, qui n’a jamais été mise sur grand écran dans une fiction. Il fait donc plus de bien que de mal.
La remarque était émotionnelle, pas négative. Y aviez-vous pensé ?
Mounia Meddour : Non, je ne voulais me poser trop de questions. Mais, j’ai eu besoin de temps pour en parler avec la bienveillance et le recul nécessaires. J’ai dû m’éloigner de l’Algérie pendant 20 ans pour mieux y revenir. J’avais envie de raconter l’histoire de cette jeune femme, de cette Algérie que j’avais connue dans les années 1990, puisque c’est inspiré de mon vécu. Je voulais montrer une image différente de l’Algérie de cette période-là, sortir des bilans des attentats, du nombre de colis piégés ou de victimes qu’on a lu dans les médias internationaux.
Mon intention était de montrer une autre facette. Celle de ces femmes algériennes qui ont toujours résisté. Certaines ont même réussi à accomplir des rêves dans une situation pourtant périlleuse. Comme Nedjma qui réussit son défilé de mode. Egoïstement, j’avais à coeur de raconter ce récit-là dans une sorte d’exutoire. Désormais, je le transmets au public. A lui d’en faire ce qu’il le veut. Mais, je sais qu’il peut contribuer à changer les regards, les mentalités.
Est-ce important d’aborder ce sujet difficile sous l’angle des femmes?
Mounia Meddour : Je voulais rendre hommage aux femmes. Durant toute l’histoire de l’Algérie, elles ont été de grandes résistantes depuis la guerre de libération jusqu’aux manifestations d’aujourd’hui. A travers Nedjma, je montre la résistance à petite échelle. Elle continue à étudier malgré les menaces de la décennie noire. Ce n’est pas une militante mais ce qu’elle fait est un acte de résistance.
Pourquoi ne réagit-elle pas plus à la mort de sa soeur ?
Mounia Meddour : A cette époque-là, la mort faisait partie du quotidien. Chaque famille d’intellectuels avait une chance sur deux d’avoir en son sein une cible à abattre. Elle n’est donc pas surprise et ne se retourne même pas.
Avez-vous été styliste, Mounia Meddour, quand vous étiez étudiante à Alger ?
Mounia Meddour : A Alger non, mais durant l’année blanche, pendant laquelle je n’avais pas cours au lycée, je vivais en Kabylie où je fabriquais des gilets que je vendais. Ils me rapportaient un petit peu d’argent. Dans le film, la mode a une force symbolique car elle est en contradiction avec le contexte politique. Nedjma cherche à libérer le corps des femmes, à leur rendre leur féminité en opposition à la violence extérieure dont la première revendication est de recouvrir le corps des femmes.
Les couleurs des tissus compte aussi. Le voile noir s’oppose au haïk du défilé, ce tissu traditionnel blanc crème qu’elle utilise. Nedjma prouve ainsi qu’elle est attachée à la tradition même si elle la modernise, à sa terre qu’elle touche régulièrement dans le film. Comme elle, j’ai une relation paradoxale avec cette Algérie qu’on aime et qu’on déteste en même temps.
Papicha devait être présenté en Algérie le 21 septembre 2019. Au dernier moment, l’événement a été annulé. Pourquoi ?
Mounia Meddour : Nous avons reçu un mail pas du tout officiel pour nous l’annoncer. Sans nous en dire les raisons. C’est étonnant puisque le film a été financé par le gouvernement, que nous avons obtenu les autorisations de tournage et le visa d’exploitation. La conjoncture et l’instabilité politique – le ministre a changé entre temps- expliquent en partie cette décision. Est-ce en lien avec l’image de la femme dans le film ou avec ce retour sur la décennie noire? Un mix de tout cela sans doute. Récemment, beaucoup d’évènements culturels ont été annulés. La situation est tendue.
Papicha a même été choisi par l’Algérie pour la représenter aux Oscars. Or, pour concourir, le film devait sortir dans son pays avant le 30 septembre 2019. Vous êtes hors délai…
Mounia Meddour : Nous avons demandé une dérogation des Oscars. On ne s’attendait pas à cette décision. Mais je n’étais pas très sereine sur l’avant-première à Alger non plus. 2000 réservations avaient été enregistrées pour une salle de 200 places ! Qu’elle soit annulée est peut-être un mal pour un bien.
Comment avez-vous choisi Lyna Khoudri pour interpréter Nedjma ?
Mounia Meddour : Je tenais absolument à avoir une actrice algéroise. Finalement, Lyna dont le père était journaliste a quitté Alger trois ans avant moi. Nous avons cette mémoire commune qui nous liait. Surtout, elle parle l’algérois. Ce qui, pour moi, était indispensable.
Avez-vous déjà enclenché d’autres projets ?
Mounia Meddour : On croise les doigts pour la sortie du film qu’on continue à accompagner en Europe et en Amérique du Nord. Sinon, je travaille déjà à l’écriture de deux autres scénarios ; l’un sur un fait divers qui se passe en France dans les années 1940, l’autre sur le milieu de la danse que j’aimerais tourner à Alger.
Mounia Meddour, laissez-vous de côté le documentaire ?
Mounia Meddour : J’ai l’impression d’avoir fait le tour de la mise en scène des documentaires. La fiction apporte plus de poésie et est plus universel. C’est ce qui m’intéresse désormais.
Propos recueillis par Véronique Le Bris