L’indomptée
La Villa Médicis et ses fantômes
L’indomptée, c’est l’imagination précise Caroline Deruas, la réalisatrice inspirée de ce premier long métrage. C’est aussi cette figure résistante puis happée par la Villa Médicis, cette magnifique jeune photographe rousse. Celle qui va sonder l’âme de la glorieuse Académie de France à Rome. Jusqu’à s’y fondre.
L’indomptée est encore Camille, cette jeune créatrice, épouse d’un écrivain célèbre, qui sera la trame du récit. L’indomptée, c’est enfin la sculptrice Lucienne Heuvelmans, la première femme à avoir été, en 1911, pensionnaire de cette majestueuse institution créée en 1803.
L’indomptée doit briser ses chaînes
Camille (Clotilde Hesme) est une jeune auteure. On la dit brillante – son premier recueil de nouvelles a été remarqué. Pour son projet, écrire sur la sculptrice Lucienne Heuvelmans, elle réussit le prestigieux concours de la Villa Médicis. Elle y est accueillie avec sa famille, son mari et sa fille, comme pensionnaire pendant un an. A côtés d’autres.
Sur place, l’institution devient aussi écrasante qu’elle est inspirante. Comme l’est son mari, un écrivain célèbre et prolixe qui écrase de sa toute puissance et de sa maturité le talent naissant et l’inspiration fragile de Camille. C’est en se confiant à Axelle, cette jeune photographe rousse, une figure libre, envoûtante et créative, que Camille va trouver la force de poursuivre son projet.
La création à l’épreuve de la Villa Médicis
Il est entendu que Caroline Deruas traiterait, dans son premier film de la création. Elle appartient à une vaste famille d’artistes, réalisateurs et acteurs, qu’elle a aussi rejoint parce qu’elle ne rêvait que de cinéma. Et d’une façon très affirmée, elle coupe le cordon et règle ses comptes à la toute puissante créative de son entourage.
En se servant ainsi de sa vie intime – elle est la compagne de Philippe Garrel, un cinéaste célèbre et beaucoup plus âgé dont le rôle de Tchéky Karyo est largement inspiré, elle exprime fortement dans son film un besoin de s’émanciper qu’elle ne revendique peut-être pas autant dans la vie.
La Villa Médicis dévorante
Mais, la force de son propos tient encore plus dans l’évolution de son film. D’abord réaliste – on assiste au concours pour décrocher ce statut de pensionnaire par exemple- , il glisse de manière d’abord imperceptible dans un fantastique progressif. Au début, la Villa Médicis est juste menacée de fermeture et cela fait sourire.
Puis, ses fantômes prennent corps et vie et le spectateur devient comme ses pensionnaires happé par son histoire, ses mystères… C’est la belle Jenna Thiam, la jeune photographe, qui nous guide dans ces méandres inaccessibles. Et à mesure qu’on s’y enfonce, Camille parvient à se libérer du joug et à écrire.
L’indomptée, une vision féminine de la création
Plusieurs films ont déjà réalisés sur la Villa Médicis et la manière dont elle dévore l’ambition créative de ses pensionnaires. L’indomptée est de loin le plus réussi. D’abord parce qu’il en fait son sujet. Ensuite, parce qu’il y convoque aussi la place des femmes dans la création artistique – à plusieurs époques- et qu’il y répond en multipliant les pistes d’entraves : la séduction, le couple établi, le patriarcat, la concurrence, l’audace etc…
Enfin, parce que Caroline Deruas, ex-pensionnaire elle même et grande cinéphile, prend un malin plaisir à filmer un lieu et ses insondables recoins qu’elle connait bien. Elle fait ainsi de la Villa Médicis , le personnage principal de son film, cette Indomptée fascinante et dévorante.
De Caroline Deruas avec Clotilde Hesme, Jenna Thiam, Tcheky Karyo, Marilyne Canto, Lolita Chammah…
2016 – France – 1h38
L’indomptée de Caroline Deruas était en sélection officielle au Festival de Locarno et au Festival des Arcs, d’où il est revenu récompensé du prix du jury Jeune et prix de la meilleure musique.