Nathalie Lenoir, scénariste et réalisatrice de La Reine Lézard, a confié à Cine-Woman ses tops 5 de réalisatrices et d’actrices.
Les choix de Nathalie Lenoir
Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou(te)s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqués. Nathalie Lenoir, scénariste confirmée et jeune réalisatrice, nous a confiés ses listes.
Elle a aimé l’exercice, Nathalie Lenoir. Qu’on la force à fouiller autrement sa mémoire de cinéphile. En la regardant du point de vue des femmes, réalisatrices ou actrices. Même ses premiers coups de coeur relevaient plutôt du cinéma mainstream.
Elle qui revendique une « enfance libre mais pas rigolote » a eu besoin des livres et des films pour s’évader. La première fois, sur grand écran, ce fût grâce à une baby sitter qui la traîne voir Star Wars. « J’ai adoré ! Mais, le film qui m’a bouleversée, qui m’a fait pleurer pendant des semaines, c’est E.T. Aujourd’hui encore, il m’émerveille… et m’a montré que c’était génial de fabriquer des histoires, des films, confie Nathalie Lenoir. Comment faire quand on est une fille, à Sète et sans relations dans le métier?
On se forge une cinéphilie éclectique, en s’abonnant très vite au câble, en regardant des films très différents toute la nuit et en décidant d’être actrice. » A 18 ans, je monte à Paris pour faire le Cours Florent et je découvre ce qu’il y a de plus passionnant et de pire dans le milieu de cinéma, sa misogynie notamment. Ca m’a tanné le cuir », reconnait-elle. Elle décroche vite des petites figurations et rôles dans Pas très catholique de Tonie Marshall, Le péril jeune de Cédric Klapish… « J’observais. Et j’ai vite compris que ce que je voulais, c’était être de l’autre côté : derrière la caméra. J’en étais frustrée », avoue-t-elle.
« Le cinéma, c’est la vie en mieux »
Enceinte à 20 ans, elle refuse quatre rôles et abandonne le métier. Comme elle écrit depuis l’enfance, elle peaufine déjà ses premiers scénarios. « J’avais un emploi de jeune première romantique qui ne correspondait en rien à ma personnalité. Je me suis donc écrit mon premier rôle », assume Nathalie Lenoir. Elle enchaîne aussitôt avec des collaborations pour le magazine Synopsis et Nidinfo, un portail spécialisé sur l’audiovisuel où elle monte et tient la rubrique scénario. Arnaud Cafaxe, qui dirige Nidinfo et des films en tant que réalisateur, l’embarque sur le documentaire Philippe Nahon, de l’acteur fétiche à l’icône qu’il prépare. Il remarque qu’elle possède un univers à elle et lui conseille de réaliser ses films.
Elle en rêve mais le graal est difficile à décrocher. Tout en collaborant avec d’autres cinéastes dont Vincent Basso-Bandini, Nathalie Lenoir lance en 2010 un blog, Scénario-buzz. « J’y postais chaque jour des chroniques que je rédigeais à ma sauce sur un métier méconnu et aux conditions de travail épouvantables », résume-t-elle. Le succès est immédiat et dépasse les 20 000 lecteurs par jour ! Elle refuse de le monétiser mais reconnait qu’il a fait exploser sa carrière. « J’ai décroché plus de boulot, j’y ai gagné ma crédibilité en tant qu’auteure, une notoriété qui me permettait de faire aboutir mes projets… tout en recevant des menaces de mort! »
Primée pour ses scénarios
En 2013, elle échoue à un cheveu à faire son premier court-métrage. Mais c’était la preuve que je pouvais y arriver, positive-t-elle. A l’été 2018, quand elle remporte coup sur coup la bourse Beaumarchais pour Le têtard et le Prix des Lecteurs anonymes pour Quelqu’un qui m’aimera toujours, son premier long métrage, elle sait que le vent a tourné. « J’étais assaillie de coups de fils de producteurs », dit-elle. Ses projets trouvent preneurs. Elle réalise son premier court-métrage féministe, La Reine Lézard, inspiré par Jim Morrisson mais qui inverse le rapport à la muse. Le film sera montré ce samedi 26 septembre au Max Linder. Elle part à Saint Nazaire tourner Le têtard fin octobre 2020, son deuxième court. Elle enchaînera l’an prochain avec Quelqu’un qui m’aimera toujours, un premier film sur le désir de grossesse adolescente.
Ensuite ? Le scénario de son deuxième long est prêt, comme le sont les trois séries qu’elle a écrites pour des plateformes. « J’ai plusieurs projets à divers étapes de développement », dit-elle. Ce qui l’a porté toutes ces années ? « D’avoir un enfant, une fille. J’avais conscience que je devais être un modèle pour elle. Etre une femme ne devait rien lui interdire mais tout serait plus dur, conclut Nathalie Lenoir. en précisant qu’il ne faut jamais renoncer à ses rêves.
1- La leçon de piano de Jane Campion (1993)
Quand je l’ai découvert, adolescente, j’ai été bouleversée par son beauté âpre, sa sensualité envoutante. J’avais rarement été aussi retournée dans une salle de cinéma. Je ne réalisais pas pleinement l’importance que ce chef d’œuvre soit signé par une femme, la première -et la seule à ce jour- couronnée d’une Palme d’or à Cannes. Mais je grandissais dans un monde où réaliser un film, c’était un métier d’homme, il y avait peu de contre exemples. J’admirais ces pionnières sans oser suivre leur pas, alors que c’était déjà mon rêve le plus cher.
2- Virgin suicides de Sofia Coppola (1999)
J’avais adoré le roman et j’ai été bluffée par l’adaptation et la mise en images de Sofia C. Et ravie qu’un film aussi ostensiblement « girlie » dans sa thématique connaisse un vif succès critique comme public. C’est ce film-là qui a distillé le poison dans mes veines, me faisant prendre conscience que je devais faire mes propres films, quelques soient les écueils, et le temps que ça prendrait.
3- Les seigneurs de Dogtown de Catherine Hardwicke (2005)
Un des films qui a eu le plus d’importance dans ma vie, et ma carrière naissante. Un de ceux que j’aurais voulu réaliser moi-même. La preuve qu’une femme cinéaste peut tourner un film (prétendument) de garçon : un film rock sur le skate, l’amitié virile, la violence. Une grosse piqure d’adrénaline ! Je n’ai aimé que les deux premiers films de Catherine Hardwicke mais j’admire son côté badass, son franc-parler, son parcours.
4 – Fish tank d’Andrea Arnold (2009)
Une source d’inspiration sans bornes, qui a renforcé ma conviction qu’on pouvait allier esthétique et fond social, qu’il est possible et souhaitable de traiter la féminité de façon frontale, ce qui n’empêche en rien la subtilité. Andrea Arnold, c’est vraiment ma cinéaste favorite, mon mentor. Elle fait des films fauchés, il n’y a aucun compromis dans son cinéma.
5 – Palo Alto de Gia Coppola (2013)
Un premier film doux-amer qui me hante, et a beaucoup inspiré un de mes propres films, Le têtard, en termes de bande son et de mise en images. Brillamment adapté d’un recueil de nouvelles de James Franco, il illustre avec une économie de mots les tourments et la cruauté de l’adolescence. S’il y a une parenté artistique évidente avec sa tante Sofia, la réalisation de Gia Coppola est exempte de maniérisme et redoutablement efficace. Pour un premier film, c’est une sacrée leçon de cinéma.
Cinq prestations d’actrices inoubliables
1 -Anna Karina dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (1965)
En tant que cinéaste, c’est la muse ultime. En particulier dans ce film où elle incarne une vision mystérieuse, libre et ambivalente de la féminité. Alors que leur histoire d’amour est terminée, la symbiose entre Karina et Godard est incroyable dans ce film. C’est le parfait exemple d’un film/rôle qui n’aurait jamais pu voir le jour sans son interprète.
2- Nastassja Kinski dans Paris Texas de Wim Wenders (1984)
C’est mon actrice favorite depuis l’enfance, elle a eu une forte influence sur ma construction en tant que femme. Dans ce film, en particulier, sa présence à fleur de peau est magique, et bouleversante. Peu d’actrices se sont offertes à ce point, devant la caméra. Je suis triste qu’elle ne tourne plus, je rêve de la diriger, un jour…
3 –Béatrice Dalle dans 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix (1986)
Quelle baffe, ce film ! Je l’ai vu en cachette, enfant, et il a tout simplement changé ma vie. Et quelle héroïne ! Pour un(e) cinéaste c’est un cadeau, une actrice aussi libre, et entière, qui n’est que pur instinct. Ça fait un peu peur, aussi. Quoi qu’il en soit je réalise que j’ai eu la chance de grandir en voyant au cinéma de grands rôles de femmes, à la fois fortes et fragiles, complexes, ambiguës. On n’en voit plus beaucoup à l’heure actuelle, et il est grand temps d’y remédier…
4- Jessica Lange dans Frances de Graeme Clifford (1982)
Une grande performance d’actrice, dans un film au propos féministe. Je ne l’ai vu qu’une fois, à la télé, adolescente, mais la prestation de Jessica Lange m’a fait une forte impression. J’adore les films qui redonnent vie et rendent justice à des figures féminines effacées de l’histoire. J’ai d’ailleurs un projet de ce genre sous le coude. Mais aujourd’hui ils sont particulièrement difficiles à monter, sous prétexte, je cite, que « si l’histoire a oublié unetelle c’est qu’elle ne devait pas être si remarquable », sic !
5- Marilyn Monroe dans Les Désaxés de John Huston (1961)
Une performance d’autant plus bouleversante que le rôle, écrit par Arthur Miller, était largement inspiré d’elle, ce qu’elle a vécu comme la trahison ultime. Mais force est de reconnaitre que c’est le seul film dans lequel Norma Jeane ne fait pas « du Marilyn », et on mesure tout le talent dramatique qu’Hollywood a voulu museler.
© Katia Maeder / Sony Pictures Entertainment/ Pathé Distribution/ Tamasa Distribution/ Ciné Sorbonne / Park Circus / MGM Studios