Dans Mignonnes, la réalisatrice Maïmouna Doucouré, Prix Alice Guy 2021, traite avec brio et délicatesse d’un sujet inédit, la polygamie, et des perturbations qu’elle suscite sur une jeune fille en pleine construction de sa sexualité. Elle nous confie ses tops 5 de réalisatrices et d’actrices.
Les choix de Maïmouna Doucouré
Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqués. C’est autour de Maïmouna Doucouré de nous confier ses listes. Son premier film Mignonnes a reçu le Prix Alice Guy 2021, le prix de la meilleure réalisation à Sundance et obtenu une mention spéciale du jury Génération à la Berlinale. Son actrice principale, Fathia Youssouf, a été récompensé du César 2021 du meilleur espoir féminin. Retour sur son parcours fulgurant.
« Le cinéma , ce n’est pas pour toi » lui répétait sa mère. « Et tout lui donnait raison », reconnaissait Maïmouna Doucouré dans la longue interview que Lauren Bastide a fait d’elle pour La Poudre. Grandir dans la France des années 1990 ne laissait en effet pas beaucoup d’espoir à une jeune fille franco-sénégalaise issue d’une famille très nombreuse et modeste. Et pourtant…
Si elle ne se rappelle plus très bien du premier film qu’elle a vu, ni de celui qui l’a marquée, Maïmouna Doucouré se remémore en revanche très bien des films d’horreur qu’elle a regardé trop jeune avec ses grands frères. « Carrie de Brian de Palma, Freddy de Wes Craven ou Candyman de Bernard Rose… m’ont provoqué des émotions si fortes, une peur jouissive qui semblait vraie même si je savais très bien que tout était pour de faux », explique-t-elle. Jusqu’à lui donner cette envie diffuse de créer elle-même des images. « Elle m’a toujours accompagnée dans une lutte constante entre ce rêve que j’avais et la raison, le principe de réalité de m’orienter vers un vrai métier ».
Son Bac S en poche, elle s’inscrit en biologie, tout en poursuivant les cours de théâtre qu’elle prend depuis le collège, tout en continuant à écrire ses histoires « sans trop y croire », avoue-t-elle aujourd’hui. « J’étais tiraillée entre l’injonction d’avoir un diplôme et l’envie de faire du cinéma ». Le jour de 2013 où elle devait déposer son dossier d’admission en master de biologie, elle apprend qu’elle vient de remporter un concours de scénario, celui HLM sur cour(t), et qu’elle a trois mois pour réaliser Cache-cache. Elle choisit de foncer et d’abandonner ses études, « la décision la plus importante que j’ai prise », souligne-t-elle.
Révélée à Sundance
Elle réunit ensuite 100 000€ pour réaliser Maman(s), un autre court-métrage qui traite comme Mignonnes de la polygamie telle que vécue par une fillette. Maman(s) est sélectionné dans plus de 200 festivals. Il remporte 60 prix dont celui du meilleur court-métrage au Festival de Sundance, le grand prix au Festival de Toronto et le César du meilleur court métrage en 2017. « Je m’étais beaucoup interrogée sur ma légitimité à raconter mon histoire, avoue-t-elle. Ce succès m’a soulagée ».
« Sundance suit ses talents, explique-t-elle. Il y a là-bas la même considération pour les artistes qu’ils soient émergents ou confirmés ». En 2017, le scénario de Mignonnes y est repéré et reçoit le Global Filmmaking Award. Maïmouna Doucouré sera ainsi un des quatre réalisateurs au monde à être choisi et elle sera parrainée par la cinéaste américaine Ava DuVernay. Elle reçoit ensuite en 2019 le Gold Fellowship Award de la part de l’Académie des Oscars qui récompense et suit la meilleure jeune réalisatrice dans sa carrière. La première mondiale de Mignonnes aura d’ailleurs lieu à Sundance où le film est primé pour sa réalisation. Distribué sur Netflix en même temps qu’il sort sur les écrans français, il déclenche aux Etats-Unis une polémique hors norme, décrite en détail par Caroline A Streeter sur le site féministe Le genre et l’écran.
Féministe depuis qu’on lui a imposé à 8 ans de faire la vaisselle alors que ses frères en étaient épargnés, Maïmouna Doucouré prône une plus juste représentation de la société sur les écrans. » Le cinéma est une découverte, l’entrée dans un univers qu’on en connaît pas. Grâce à lui, on évite la peur et on apprend à se connaître. Petite, je ne me voyais pas dans le miroir que sont le cinéma ou la TV. J’avais l’impression de ne pas exister socialement. C’est violent ! Nous avons tous besoin de role-models et de mieux équilibrer nos représentations « . Elle revendique aussi une sororité qu’elle juge déjà effective dans le milieu du cinéma. « Ce n’est pas une compétition mais un partage essentiel et on se tire ensemble vers le haut. Si j’ai pu faire mes films, c’est aussi parce que de grandes soeurs comme Houda Benyamina ou Alice Winocour m’ont tendu la main. Je pouvais les appeler à tout moment quand j’avais des doutes et besoin de conseils. Je crois beaucoup au passage de relais ou à la solidarité ».
En attendant de pouvoir rendre la pareille, Maïmouna Doucouré gère un emploi de ministre, entre ses nombreux projets en France et ailleurs, ses récompenses et sa petite fille de 3 ans. Elle devrait tourner son deuxième long métrage en décembre 2021 tout en s’attelant à son troisième scénario.
Mes cinq films de réalisatrices préférés
1- La leçon de piano de Jane Campion (1993)
Des scènes d’une rare intensité. Il y a tant de poésie et d’harmonie entre la beauté brute de la nature, ces corps qui se parlent et cette musique… Grandiose.
2 – Fish tank de Andrea Arnold (2009)
Andrea Arnold est une réalisatrice qui m’inspire beaucoup dans sa façon ultra réaliste de mettre en scène. Plus que filmer, elle nous fait vivre en toute liberté à travers la spontanéité de ses interprètes, tout en portant un regard cru sur la société qu’elle dépeint. Fish Tank, mais aussi Red Road, American Honey et son court-métrage Wasp.
3 – Proxima d’Alice Winocour (2019)
Un film puissant qui m’a littéralement bouleversée ! Ce film est une véritable expérience à la fois sensorielle et émotionnelle. Deux cordons difficiles à rompre, celui qui nous lie à notre enfant et celui qui nous lie à la Terre. Ayant réalisé mon premier long-métrage à la naissance de ma fille, l’identification avec le personnage a été pour moi totale, voir fusionnelle.
4 – Rue Cases Nègres d’Euzhan Palcy (1983)
La façon incroyable dont Euzhan Palcy filme la résilience et l’espoir de ce petit garçon et de sa grand-mère dans la Martinique des années 30 est bouleversante. A travers cette histoire intime, elle nous raconte la Grande Histoire ou l’esclavage et ses vestiges englués.
5 – Tomboy de Céline Sciamma (2011)
J’aime la simplicité et la délicatesse avec laquelle Céline Sciamma aborde cette quête de soi, dans cette période si déterminante et trouble qu’est l’enfance. Si touchant et sensible.
Cinq prestations d’actrices inoubliables
2 – Agata Trzebuchowska dans Ida de Pawel Pawlikowski (2013)
3 – Gong Li dans Coming home de Zhang Yimou (2014)
4 – Whoopi Goldberg dans La couleur pourpre de Steven Spielberg (1985)
Dans ce registre dramatique, Whoopi Goldberg (Celie Johnson) est impressionnante. Un vraie rôle de composition. Célie et ses épaules affaissées, ce regard qui n’ose pas s’élever, ce sourire qu’on lui apprend à aimer… Souffrance, attente et tant d’espoir incarné avec brio.
5- Charlize Theron dans Monster de Patty Jenkins (2003)
Impressionnante dans cette transformation tellement réaliste. Charlize Theron est fascinante !