Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqués. Didier Roth-Bettoni, commissaire de la formidable exposition Champs d’Amours, nous a confié ses listes.
Les choix de Didier Roth-Bettoni
Au lycée de Pontarlier où il était interne, Didier Roth-Bettoni s’ennuyait mourir. Jusqu’au jour où il a fréquenté le ciné-club. Un de ses profs y organisait des séances, une fois par semaine. Il invitait même de grands noms du cinéma à venir parler de leur métier. « C’est ainsi que j’ai rencontré Ettore Scola dont j’avais vu tous les films ou Samuel Füller« , se souvent-il. « Et compris que le cinéma n’était pas qu’un divertissement ».
Didier choisit pourtant d’étudier le droit à Besançon mais passe son temps dans les salles de cinéma. Après une école de journalisme à Tours, il décroche un poste à la Revue du Cinéma. Il en sera même le dernier rédacteur en chef à sa disparition en 1994. Pigiste pour la presse culturelle (Muze, Première…) et la presse gay (Illico et Ex Aequo) , il crée le mensuel l’Ecran diffusé dans les salles du réseau AFCAE (Art et essai).En 2007, il publie L’homosexualité au cinéma (La Musardine), le premier de ses 12 livres puis dirige les éditions 2008 et 2009 de Chéries-chéris, le festival LGBT+ de Paris.
Ecrivain, libraire, documentariste…
Mais son destin est ailleurs. A Auray où il achète une librairie, Vent de soleil. « C’était un rêve d’enfant que j’ai adoré. Là-bas, je me sentais utile en permanence », avoue-t-il. Sa librairie cartonne, son chiffre d’affaires grimpe de + 40% . Mais son compagnon ne s’y fait pas. La mort dans l’âme, il se résout à quitter la Bretagne et se cherche une nouvelle activité.
« Je ne voulais pas refaire ce que j’avais déjà fait », poursuit-il.Il se concentre sur l’écriture de livres à raison d’un par an, la plupart consacré au cinéma et/ou à l’homosexualité. Depuis Le cinéma français et l’homosexualité (Danger Public) paru en 2009 aux Années sida à l’écran en 2017. Ce qui l’amènera, en 2018, à produire dse documentaires pour France Culture : une série de quatre épisodes, Quand la création raconte le sida ainsi qu’un unitaire consacré à Derek Jarman, cinéaste queer.
… et commissaire !
Avec un tel pedigree, Didier Roth-Bettoni ne pouvait qu’être qu’un des cinq commissaires de Champs d’amour, la première exposition au monde consacrée à l’homosexualité au cinéma. Elle a été souhaitée par la Mairie de Paris pour commémorer les émeutes de Stonewall, en 1969, première revendication militante LGBT. Elle est installée dans l’Hôtel de Ville jusqu’au 28 septembre 2019. C’est gratuit, passionnant et l’occasion rêvée pour demander à Didier Roth-Bettoni les cinq films de réalisatrices et les cinq prestations des actrices qui l’ont le plus marqué.
Mes cinq films de réalisatrices préférés
1 – Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (1962)
J’ai toujours aimé l’audace de Varda, le fil ténu entre légèreté et gravité sur lequel son cinéma ne cesse de cheminer : légèreté de la forme, gravité du propos. C’est particulièrement sensible ici, dans cette errance en temps réel dans Paris d’une chanteuse qui attend les résultats d’un examen médical. Mais cela vaut aussi pour Le Bonheur, au titre si ironique, ou Jacquot de Nantes, ce tendre hommage à Jacques Demy, son mari, alors en train de mourir.
2 – Portrait de femme de Jane Campion (1996)
C’est tellement difficile, les adaptations littéraires en costumes, les cinéastes s’y révèlent si souvent corseté·e·s par les innombrables contraintes que cela implique ! Jane Campion parvient magnifiquement à s’en défaire, à donner une équivalence visuelle vibrante et guindée à la fois du roman de Henry James. A part James Ivory, je ne connais pas de réalisateur·rice capable de dépasser cet académisme de façade avec autant de finesse. Et que dire de la performance qu’elle obtient de Nicole Kidman !
3 – Olivia de Jacqueline Audry (1950)
Jacqueline Audry a été la seule femme réalisatrice du cinéma français entre 1930 et l’apparition d’Agnès Varda, vingt-cinq ans plus tard, et on l’a complètement oubliée alors qu’elle a adapté avec succès et élégance Colette, Sartre, la comtesse de Ségur… Olivia est sans doute son chef-d’œuvre. Un film virevoltant, gracieux et d’une modernité inouïe puisqu’il montre sans faux-semblants ni jugement, non-seulement l’amour d’une jeune fille pour la directrice de son école. Mais aussi le couple tout à fait officiel que cette dernière forme avec l’autre directrice. En séductrice compulsive, Edwige Feuillère est grandiose.
4 – Bande de filles de Céline Sciamma (2014)
J’aime l’énergie qui se dégage de ce film, la manière dont Céline Sciamma saisit les corps non formatés de ces jeunes femmes de banlieue, le mélange de sensualité et de violence qui en sourd. A chacun de ses films, je suis épaté par la modernité de son cinéma, sa manière de dépasser les genres (et je ne parle pas ici uniquement des genres cinématographiques). Elle est vraiment pour moi une des plus grandes cinéastes actuelles.
5 – Allemagne, mère blafarde d’Helma Sanders-Brahms (1981)
J’ai le souvenir très net d’avoir découvert ce film au ciné-club de mon lycée, à Pontarlier dans le Doubs, et d’avoir eu le sentiment physique de comprendre que le cinéma, ce n’était pas qu’un divertissement, mais quelque chose de puissant, de politique. Ça a été un vrai choc. Je suis sûr que si j’aime autant le cinéma de Fassbinder, c’est lié à ce film. A ce portrait d’une femme qui se découvre un beau jour avec la moitié du visage paralysé, dans une allégorie de la séparation de l’Allemagne en deux.
Cinq prestations d’actrices inoubliables
1 – Gloria Swanson dans Boulevard du crépuscule de Billy Wilder (1950)
J’ai une passion pour le cinéma muet, et voir resurgir ainsi une star du muet dans un film sur les fantômes du muet me bouleverse. Il y a quelque chose de monstrueux et de sublime dans le personnage de Norma Desmond et dans l’interprétation de Gloria Swanson.
2 -Alida Valli dans Senso de Luchino Visconti (1954)
La beauté insensée d’Alida Valli dans ce personnage d’aristocrate vénitienne amoureuse d’un soldat autrichien un peu minable, qui se joue d’elle ! Elle est pour moi le visage de la passion folle, irrésistible, irraisonnée. Dans mes rêves d’absolu, j’aurais voulu être la Contessa Livia Serpieri, capable par amour de tous les sacrifices !
3 – Elizabeth Taylor dans Soudain, l’été dernier de Joseph L. Mankiewicz (1959)
J’admire infiniment Elizabeth Taylor, pour son engagement sans faille dans la lutte contre le sida, bien sûr, mais aussi pour son talent d’actrice, en particulier dans les années 1950. Elle est alors au sommet de sa beauté et elle fait preuve d’une intelligence de jeu très subtile, entre sensualité et innocence, que ce soit dans Une place au soleil, La Chatte sur un toit brûlant ou dans ce chef-d’œuvre baroque où son cri de douleur et d’horreur me brise à chaque fois le cœur.
4 – Julie Andrews dans Victor Victoria de Blake Edwards (1982)
Julie Andrews a été l’actrice de mon enfance : je connaissais toutes les chansons de Mary Poppins et de La Mélodie du bonheur par cœur (leur version française en tout cas…) ! Et je l’ai retrouvée bien plus tard dans cette comédie miraculeuse sur les troubles dans les genres qu’est Victor Victoria. Et là aussi, j’ai appris toutes les chansons (en VO cette fois !). Tout est irrésistible ici, elle en premier lieu : c’est un des films que j’ai le plus vus sans doute, et que je regarde au moins une fois par an, lorsque je déprime un peu…
5 – Glenn Close dans Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears (1988)
Madame de Merteuil est un personnage tellement fascinant ! Il faut une actrice de génie pour lui donner vie. Ce qu’en fait Glenn Close est d’une telle richesse, c’est une actrice tellement puissante !