Sofia Coppola retrouve une communauté féminine aussi solidaire que rivale. Les proies permettent une exploration intéressante de la relations entre femmes.
Rivalités féminines
Alors qu’elle ramasse des champignons, une jeune fille tombe sur un soldat yankee blessé. Elle lui propose l’hospitalité et le ramène dans son internat de jeunes filles, bien qu’il soit du camp adverse. On est en pleine guerre de sécession, en Virginie, dans un état acquis à la cause sudiste. Et cet internat, cette grande maison de maître est un havre de paix.
Plusieurs jeunes filles y ont trouvé refuge sous la bonne garde de madame Martha. Elle les éduque, les protège en attendant le retour à la paix civile. John, le caporal, est sévèrement blessé à la jambe. Les jeunes femmes le soignent et rivalisent d’attention auprès de lui. Il sait y faire complimentant celle-ci pour mieux embrasser celle-là. Alors qu’il est en voie de guérison et donc bientôt sur le départ, les choses se gâtent brutalement.
Les proies ou les prédatrices ?
Les proies de Sofia Coppola est adapté du roman éponyme de Thomas Cullinan. Il avait déjà fait l’objet d’un film en 1971 réalisé par Don Siegel et avec Clint Eastwood, dans le rôle tenu cette fois par Colin Farrell.
Le film est passionnant à plusieurs titres. En tout premier parce qu’il explore la psychologie féminine comme rarement. Les relations entre femmes lorsqu’elles sont face à un homme, fut-il blessé, y sont décrites avec précision et dans toutes leurs nuances. A travers la définition précise de chacun des personnages féminins.
La femme et ses facettes
Il y a d’abord la jeune ingénue, chrétienne de surcroît, qui recueille et veille sans malice sur le blessé. La maîtresse femme ensuite assume ses responsabilités et renie son désir pour continuer à régner sur son internat et ses pensionnaires qui restent sa raison de vivre. Celle qui tombe sincèrement amoureuse d’un homme qui l’a charmé et a su lui parler. La pragmatique qui ne saisit les enjeux que lorsqu’ils sont extrêmes. La tentatrice, enfin, prête à tout pour le séduire. Quitte à briser le pacte de solidarité à la base de la survie de la communauté.
Victimes ou bourreaux ?
Si le titre français laisse augurer d’un twist du récit, le titre anglais est nettement plus évocateur de l’enjeu qui se trame. The beguiled signifie celui ou celle qui est séduit, mais aussi trompé. Et sous cet angle, avec ce sens double, il laisse laisse le terrain à une interprétation plus large et plus ambiguë que le titre français qui déplace le curseur sur l’homme et entretient un suspense.
Avec cette épaisseur supplémentaire (qui séduit qui et qui trompe qui?), Les proies devient un tableau presque exhaustif de la psychologie féminine telle qu’elle s’exprime dans un groupe féminin mis en rivalité par la simple présence masculine.
Sofia Coppola de retour
Mais, le film de Sofia Coppola est aussi plus que cela. C’est aussi le tableau d’une nature picturale magnifique, préservée. Une sorte de Corot américain qui valorise la luxuriance et tient la guerre à distance. Des combats, on ne saisit que le bruit des canons et on ne voit que le passage de quelques soldats. La guerre qui se trame dans le huis-clos de la propriété est autrement plus cérébrale et sensuelle que celle qui se joue sur les champs de bataille. Elle n’est pas moins cruelle, même s’il est rare qu’un réalisateur s’y intéresse.
Les proies signent enfin le grand retour de la réalisatrice Sofia Coppola qu’on avait perdue depuis Marie-Antoinette, en 2006. The bling ring sonnait faux. Elle retrouve ici la justesse et la subtilité de son regard qui procède par touches, comme une impressionniste. C’est aussi doux que cruel. Comme l’était The Virgin Suicide. La cinéaste retrouve aussi sa palette d’héroïnes blondes et diaphanes, Nicole Kidman, Kirsten Dunst et Elle Fanning, les enjeux se jouant entre elles qui s’opposent à la virilité brutale de Colin Farrel. Les brunes, certes plus jeunes, sont d’une naïveté qui les exclut. Passionnant.
De Sofia Coppola avec Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning,Colin Farrel, Oona Laurence, Angourie Rice, Addison Riecke…
2017 – Etats-Unis – 1h34
Les proies de Sofia Coppola était présenté le mardi 24 mai 2017 en compétition officielle du 70e Festival de Cannes. Il a reçu le Prix de la Mise en scène et Nicole Kidman le prix spécial 70e anniversaire.
© Focus Features