Les misérables, le film phénomène de Ladj Ly, offrent-ils une représentation si juste des banlieues ? Où sont les femmes dans les cités? C’est la question que s’est posée et qu’analyse Amandine Lagache, qui a fondé Kiziband, une plateforme blockchain pour le cinéma.
Un monde sans femmes ?
Les premiers jours d’un policier de la BAC, fraîchement muté de Cherbourg dans les cités de Montfermeil. Un univers violent où la virilité est un pré-requis de survie. Comment, par conséquent, approcher ce film sous l’angle du féminin et de la place de la femme ?
Récompensé par le Prix du Jury au Festival de Cannes 2019, où il a marqué les esprits, le film a également représenté la France aux Oscars. Il a aussi remporté quatre César dont celui du meilleur film et du public et trois Prix Lumières (film, scénario et révélation masculine). Il a aussi réuni plus 1,9 millions de spectateurs en salle. Ladj Ly filme admirablement ces journées d’été, où l’oisiveté et la fièvre sont au coude à coude. À un degré près, on peut passer de la sieste générale à la poudrière.
Une violence entretenue
Les plans de survol de la cité rendent bien cette ambivalence. La voiture de la BAC progresse lentement dans des rues dessertes. A d’autres moments, les enfants courent et jouent de toute part. Sous ces températures caniculaires, les esprits s’échauffent rapidement. Il suffit d’un cirque pour allumer la mèche. Les Misérables alternent des séquences de dialogue, parfois très tendus et des plans plus contemplatifs du quartier. Le spectateur est pris dans ces montagnes russes. Sauf que le calme n’est jamais vraiment rétabli. Il ne s’agit que de violence en sommeil.
Le film échappe pourtant à la vision manichéenne. On sent les policiers pris dans l’engrenage de la violence autant qu’ils la reproduisent. Le chef de groupe se vante de diriger le seul groupe qui se fasse respecter. Le regard de la nouvelle recrue nous fait découvrir des arrangements et des débordements. Les Misérables rappelle de manière terriblement efficace que la violence n’entraîne que la violence. Ce qui était déjà le propos de La haine de Mathieu Kassovitz (1995) auquel il n’a pas manqué d’être comparé. Le temps passant, le constat est aggravant.
Les femmes ? Au foyer !
Au delà du débat de la filiation avec La Haine, il est tout de même un point commun : la très faible visibilité des femmes. La Haine mettait en scène trois personnages principaux masculins. Les Misérables aussi. Les femmes n’existent que comme compagnes ou mères. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de femmes dans les cités ? Quelle réalité cela semble-t-il traduire ?
Ladj Ly s’en est expliqué mais sans convaincre. Selon lui , dans les cités, les femmes vivent à l’intérieur. Elles sont le domestique et le quotidien. Dans la scène la scène la plus longue et où elles apparaissent en plus grand nombre, elles font une tontine. Le policier explique qu’il s’agit d’un mode de prêt qui permet de s’entraider pour faire face au quotidien : financer un voyage au bled, remplacer un appareil électroménager, etc. Elles cultivent un entre-soi et une solidarité. Leur arène, c’est le foyer.
Les Misérables : un théâtre des représentations masculines
Cette division est manifeste quand les policiers apprennent à une mère que son fils était au commissariat le matin. C’est son père (et uniquement lui) qui est venu le chercher. Tout se passe comme s’il s’agissait de deux instances déconnectées : la mère sur le seuil de l’appartement et le père au commissariat.
Pourtant, elle ne sont pas soumises, plutôt dures mêmes. Les jeunes filles pratiquent des activités entre filles et restent en petits groupes. Les garçons tiennent les murs, gardent les accès. Dehors rime avec mauvaises fréquentations et violence, notamment policière. Dans un hall, une mère prend à parti les policiers et pousse son fils à l’intérieur de l’appartement. Les « petits », comprenez les jeunes garçons, sont attirés par le monde extérieur et ses modes de représentation masculines . Les mères cherchent à les en éloigner et à les garder à l’intérieur. L’identité masculine semble se construire aussi en réaction à cela. Ces petits rentrent dans la ligne de mire des policiers. Ils deviennent une entité collective, aux premières loges de toutes les violences, institutionnelles comme celles des grands .
Les personnages masculins des Misérables ont ceci de commun que leur mode d’interaction est une mise en scène permanente, allant de la moquerie à l’agressivité. La « vanne » et la répartie sont valorisés. Le « bleu » est aussitôt moqué et surnommé. Il n’y adhère pas, pourtant. Il préfère l’empathie et la rectitude, semblant ouvrir une nouvelle voie bien faible face à la répression violente.