Le ciel attendra
Existe-t-il un profil type de radicalisation chez les jeunes filles? Non répond Marie-Castille Mention-Schaar. Dans Le ciel attendra, elle explique comment le processus se met en place et pourquoi il est si difficile d’en sortir.
Ça n’arrive pas qu’aux autres
Le ciel attendra, le quatrième film de Marie-Castille Mention-Schaar, commence par une séance collective. Des parents sont attablés autour de Dounia Bouzar, qui a créé le centre de prévention, de déradicalisation et de suivi individuel (CPDSI). Ils errent entre les larmes, la colère ou le déni. Tous ont une fille, un fils aux mains de Daech, déjà en Syrie ou bientôt là-bas. Et leur douleur fait mal au ventre.
Mais quand la police réveille une famille éberluée à 5h du matin et qu’elle apprend ainsi que leur fille était en passe de commettre un attentat, en France, on comprend vite que le processus est bien plus sournois qu’il en a l’air. Bien plus dangereux aussi.
De Créteil et à la Syrie
Dans une construction puzzle qui s’éclaircit par la suite, Marie-Castille Mention-Schaar suit le parcours de deux adolescentes et de leurs parents. La première a échoué à partir en Syrie et tente de se reconstruire auprès de sa famille. L’autre sans histoire vacille sans que rien ne le laisse présager.
Sa mère que l’on voit souvent seule n’a rien vu venir et culpabilise à mort. Leurs histoires parallèles sont parfois entrecoupés de séances collectives d’explication ou de confrontation menée par Dounia Bouzar.
Le ciel attendra, une fiction très documentée
Ce film a beau être une fiction, il est conçu et tourné comme un documentaire. Filmer le réel était impossible, reconnaît Marie-Castille Mention-Schaar. « On ne peut pas suivre avec une caméra une adolescente qui est dans la dissimulation vis-à-vis de ses parents, de son école, de ses amis! On ne peut pas saisir le moment où le rabatteur va « harponner » une ado dans l’intimité de sa chambre via son Facebook, son Instagram. Cela ne peut être que recréé ».
Pour l’écrire et le concevoir, Marie-Castille Mention-Schaar s’est documenté à l’extrême, en suivant Dounia Bouzar au jour le jour, pendant plusieurs semaines. elle a aussi rencontré de nombreuses personnes concernées par le sujet et regardé des heures de vidéo de propagande.
Un film imparfait mais nécessaire
C’est évidemment ce qui fait la force du film, comme de traiter de ce sujet là aujourd’hui. Encore plus quand on apprend que le tournage a commencé le lundi 16 novembre 2015, générant une tension sur le plateau mais aussi une urgence supplémentaire à le réaliser.
Quelques bémols toutefois. Autant le processus de radicalisation est limpide. Et l’on comprend aisément qu’une fois tombées dans les griffes de Daech, il devient quasiment impossible d’en sortir tant l’endoctrinement est puissant et culpabilisant. Autant celui de la déradicalisation reste abstrait, vacillant. On saisit mal comment Sonia réussit à prendre le recul suffisant pour se détacher de l’idéologie de Daech, s’il y a un déclic ou simplement une longue et très progressive remise en cause qui reste fragile.
Sans visage, ni identité
La détresse de ces jeunes filles et peut-être plus encore celle de leurs parents complètement démunis devant la rhétorique déshumanisée de leurs adolescentes – on dirait de robots qui répètent des loghorrées apprises par cœur, ça paraît même caricatural -est parfaitement montrée. Fanatisées, rendues transparentes par le jilbab et décérébrées par la propagande, ces jeunes filles vont jusqu’à perdre leur identité.
Marie-Castille Mention-Schaar a choisi de ne traiter que des jeunes filles. Recrutées par des hommes, séduites, elles acceptent de se soumettre aux exigences de leurs recruteurs souvent par sincérité et par naïveté. Les processus et les motivations sont complètement différentes chez les garçons, pas moins dangereux. Juste différents.
Un retour impossible?
Même avec ses défauts, ce film reste toutefois un témoignage fort et pertinent sur ce phénomène actuel. Une suite, un complément sur celles qui en sont revenues serait aussi passionnant.
De Marie-Castille Mention-Schaar, avec Noémie merlant, Noami Amarger, Sandrine Bonnaire, Clotilde Courau, Zinedine Soualem, Dounia Bouzar…
2016 – France – 1h40
© Guy Ferrandis