L’adieu à la nuit
Que faire contre un proche qui se radicalise? L’adieu à la nuit, le nouveau film d’André Téchiné aborde frontalement la question.
Âges obscurs
Alex a sans doute manqué d’affection. Sa mère est morte. Son père a refait sa vie aux Antilles. Il s’est égaré en médecine avant d’abandonner ses études. Son ancrage, c’est sa grand-mère, Muriel, qui dirige un centre équestre dans les Pyrénées.
Alex y a plus ou moins grandi. Il y revient pour une sorte d’au-revoir. Il n’a plus d’intérêt pour les chevaux. Encore de l’affection pour sa grand-mère et un projet commun avec Lila, une amie d’enfance : partir faire le djihâd. Muriel, qui a vécu en Algérie, s’en aperçoit et décide de l’en dissuader. Seule. Comme elle peut.
L’âge des possibles
Tout au long de sa filmographie, André Téchiné s’est intéressé à la jeunesse et à sa crise d’identité. Récemment, dans Quand on a 17 ans, Damien (Kacey Mottet Klein déjà), déjà découvrait son homosexualité. Ici, c’est l’idéologie d’un projet religieux qui construit Alex.
Il est banal, Alex et c’est ce qui le plus intéressant. Ses fractures affectives mais aussi des ressources, la puissance d’un projet de vie (ou de mort) , la naïveté de la jeunesse le caractérisent. Face à lui, sa grand-mère à la fois affectueuse et sidérée peine à savoir réagir. Elle n’a pourtant pas d’à-priori, seulement vécu sa jeunesse à une époque différente, révolue et comprend plutôt vite les enjeux. Elle réagit de manière brutale, mais il y a -t-il seulement une bonne manière de réagir?
L’âge d’un regard
Reconnaissons à André Téchiné la vitalité et l’intelligence de s’attaquer à un sujet d’actualité. Il le fait avec une modestie touchante, désarmante presque et une fluidité du récit notoire. Il dit s’être inspiré du livre de David Thomson, Les Français jihadistes (Ed Les Arènes), un recueil d’entretiens bruts de jeunes français partis faire le djihad en Syrie.
Pourtant, et même si le propos est plus que louable, le film reste un objet scolaire, construit avec application mais sans l’irrationalité qui lui sied. Pour résumer brutalement, L’adieu à la nuit est un film de vieux sur un sujet qui concerne surtout des jeunes. Comme s’il n’était pas à la bonne distance.Le réalisateur s’est pourtant adjoint les services de la jeune scénariste la plus en vue du moment : Léa Mysius qui a fait ses classes chez Desplechin tout en réalisant un premier film ambitieux Ava.
L’adieu à la nuit, l’absence d’un regard
Une des parties les plus intéressantes mais très peu développé aurait été de traiter plus en profondeur l’entourage de cette grand-mère, fort bien incarnée par Catherine Deneuve. Puisque ceux qui l’aident à tenir son centre équestre sont musulmans. Malheureusement. Comme le passé algérien de Muriel, ils sont traités trop vite, sans prendre le temps de leur donner l’épaisseur qui aurait ancré ce récit dans une réalité complexe plus intéressante.
Les acteurs, en revanche, sont fidèles à un film de Téchiné. Catherine Deneuve, dont c’est le huitième film sous sa direction, y évolue comme un poisson dans l’eau. Quand Kacey Mottet Klein (Alex), pour sa deuxième collaboration avec le réalisateur, confirme son jeu en puissance rentrée. Les autres sont moins présents, même Oulaya Amamra (Lila) qui avait ébloui Divines et qu’on retrouve ici dans une dimension moins percutante.
L’ode à la nature
L’intérêt insatiable que porte André Téchiné a ses décors, aux paysages peu filmés des Pyrénées et à une vie ancrée dans la terre, le terroir reste rafraîchissant. Encore plus que son propos, pourtant audacieux et finalement peu traité au cinéma.
D’André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra, Stéphane Bak…
2018 – France – 1h43
L’adieu à la nuit d’André Téchiné était en compétition lors de la 69e Berlinale.