La vie d’Adèle
La vie d’Adèle d’Abdellatif Kéchiche a reçu la Palme d’or au Festival de Cannes 2013. Mérité et superbe. Bravo!
Palme d’or 2013
Depuis L’Esquive en 2004 qui le révéla au grand public et parfois avec des chemins détournés, Abdellatif Kechiche dresse dans ses films des destins de femmes, de jeunes femmes même, portés par des actrices inconnues.
Sara Forestier dans L’Esquive, Hafsia Herzi dans La Graine et le mulet, Yahima Torres dans Vénus noire et Adèle Exarchopoulos dans ce tout nouveau film, plutôt long (2h59 qu’on ne voit pas passer toutefois).
Grand Amour
Adèle est au lycée, en première lorsqu’elle a ses premiers émois amoureux, avec un garçon d’abord. Un jour, elle rencontre Emma, une étudiante aux beaux-arts, qui non seulement lui fait découvrir l’amour, mais aussi le désir et surtout le plaisir.
Emma est un peu tout pour elle : sa compagne, sa confidente, celle qu’elle admire, celle qui comprend son attirance pour l’indicible, celle qui saisit sa sensibilité à fleur de peau, sa partenaire sexuelle, son amoureuse, son guide. Elles vivent ensemble, forment un vrai couple mais bientôt Emma commence à délaisser Adèle.
L’amour en gros plan
L’éveil à l’amour est un sujet que Kechiche avait déjà traité dans L’Esquive. La vie d’Adèle commence d’ailleurs un peu dans la même veine, par une analyse de textes de Marivaux (encore), qui permet à la jeune fille de saisir un peu mieux les transports qui l’agitent à son âge.
Les points communs entre La vie d’Adèle et les films précédents de Kechiche sont d’ailleurs tellement nombreux qu’il serait indigeste de les lister. Mais, on retrouve toujours son aisance à filmer la banalité du quotidien, son goût pour les scènes de repas, le rythme lent de ses compositions et cela, malgré les ellipses parfois radicales. Et surtout, ce qui est le plus gênant, sa passion pour le filmage frontal et en gros plans qui finit par être étouffant.
Le jeu… la chandelle
Cela dit, La vie d’Adèle est une sublime histoire d’amour, de passion, racontée du point de vue de cette jeune fille. Le film l’aborde depuis son éveil jusqu’à l’inéluctable rupture en passant par toutes les étapes : l’éclosion, la sensualité partagée, la plénitude, puis les premières marques de lassitude…
Les scènes de sexe (l’une très longue fera sans doute scandale) sont filmées à juste distance, sans voyeurisme réel même si Kechiche s’est manifestement fait plaisir à les mettre en scène, sans que son regard ne soit malsain. La direction d’acteur est comme toujours extraordinaire : la jeune Adèle est constamment émouvante, troublante, interrogeant à la fois notre regard et notre esprit pour qu’on essaie de dévoiler à la fois ce qui la meut, ce qu’elle ressent sans anticiper sur la manière dont elle va ou peut réagir aux situations.
Evidemment, depuis la longue polémique qui a opposé Léa Seydoux, les techniciens et le réalisateur, on a compris de quelle manière Kechiche travaille.
La vie d’Adèle, primée
Quelques bémols : le filmage en gros plan systématique, la scène de rupture qui est étrangement banale et brutale (la scène de retrouvailles en revanche est parfaite) et le sacrifice de l’environnement social d’Adèle (de ses parents notamment), une fois qu’elle vit en couple, alors qu’il était nécessairement présent et influant dans un cinéma aussi naturaliste que celui d’Abdellatif Kechiche.
Cine-Woman avait parié en mai dernier sur un prix d’interprétation pour la jeune Adèle Exarchopoulos, croisée auparavant dans Boxes de Jane Birkin ou La rafle de Rose Bosch ou Des morceaux de moi de Nolwenn Lemesle. C’est finalement une Palme d’or, remise non pas au film mais étrangement aux deux actrices et au réalisateur. Inédit mais plus important.
d’Abdellatif Kechiche, avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Salim Kechiouche, Aurélien Recoing…
2h59 – France – 2013