de Brad Bernstein
Sans désespoir, pas d’humour ! Voilà la devise de Tomi Ungerer, l’illustrateur de pub, d’affiches militantes, de magazines influents, de livres pour enfants et de dessins érotiques. Un grand écart qu’il revendique toujours aujourd’hui, bien qu’il ait été sa force et sa faiblesse. Quant au désespoir, Tomi en a eu son lot qu’il a su savamment transformer en vivier d’inspiration.
Peu de gens le savent mais Tomi Ungerer est né français, alsacien, en 1931. Dernier fils d’une dynastie d’horloger strasbourgeois, il perd son père à l’âge de 3 ans et demi et c’est son premier traumatisme. « Les enfants doivent être traumatisés pour avoir une identité », souligne-t-il aujourd’hui, toujours aussi provocateur. A 7 ans, il connaît la guerre et à un poste privilégié : alsacien, il est accusé d’être français pour l’occupant, puis allemand à la fin du conflit.
Le traumatisme nécessaire
Trimballé entre deux cultures où il ne trouve pas sa place, il s’exile aux Etats-Unis en 1956 et s’y impose comme un illustrateur majeur. La pub se l’arrache, mais sa liberté de ton s’exprime aussi dans des affiches militantes particulièrement percutantes, sa tendresse dans des livres pour enfants (Jean de la Lune notamment) et sa passion des courbes féminines dans les recueils érotiques (Fornicon). Un mélange des genres que les associations bien-pensantes américaines n’apprécient pas du tout. Il est banni, contraint de quitter New York pour le Canada puis pour l’Irlande d’où il se confie aujourd’hui. Et le bilan qu’il dresse de sa vie est un véritable hymne à l’audace, à la défense constante de ses convictions, à sa lutte permanente contre l’injustice, contre le consumérisme, contre l’impérialisme… quel que soit le prix à payer.
Formellement, ce documentaire ne revendique aucune créativité particulière. On pourrait même lui reprocher de montrer trop rapidement les dessins d’Ungerer, de ne pas nous laisser le temps de saisir son œuvre dense, variée et si riche. Mais, la force du film est ailleurs : dans la personnalité hors norme de Ungerer, dans le récit fascinant de sa vie, dans les témoignages nombreux de ses anciens collègues, dans le travail consciencieux de son auteur qui a à son actif plusieurs documentaires sur le sport et sur la musique, et dans la manière très libre dont son « sujet » se confie. Car, c’est de cela dont il est question ici : comment garder la distance, l’intelligence du regard, la pertinence de ses opinions, jouer de l’ironie quand on est trimballé dans un siècle hystérique dont on fait semblant de ne pas saisir l’absurdité ? Tomi Ungerer le sait et là, il nous le confie.
Avec Tomi Ungerer, Maurice Sendak, Jules Feiffer, Burton Pike…
2012 – USA – 1h38