L’interview de Jackie Buet
Le 39e Festival International des films de femmes de Créteil ouvre le vendredi 10 mars 2017. L’occasion de relire les propos pertinents que Jackie Buet, sa fondatrice et directrice, tenait lors de sa 36e édition. Rien n’a changé.
Créteil n’est pas un ghetto. Au contraire !
Ancienne institutrice de Normandie où elle a grandi, Jackie Buet a découvert le cinéma comme sortie familiale du dimanche après-midi. Elle se définit comme « une héritière de la décentralisation culturelle voulue par Malraux ».
Le Festival International de films de femmes qu’elle a créé en 1979, d’abord à Sceaux, puis à Créteil, avec Elisabeth Théhard, avait vocation à réunir « notre intérêt pour l’art et notre militantisme pour les femmes. Notre idée a été de les soutenir dans là où c’était le plus difficile dans la création et dans le cinéma, en organisant une manifestation-vitrine pour elles ». Ainsi est né ce festival, le plus ancien du monde consacré aux femmes cinéastes.
Sa 39e édition se déroulera du 10 au 19 mars 2017. Elle ouvrira avec A mon âge, je me cache encore pour fumer de la réalisatrice Rayhana. Seront mises à l’honneur : les actrices Nathalie Richard et Danielle Darrieux, les réalisatrices Dorothy Arzner et Yannick Bellon et la photographie. En plus des 16 longs métrages en compétition fiction et documentaires, des courts-métrages, des avant-premières et des coups de coeur de l’année.
A la même époque que Créteil, a été créé le Festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand qui a connu un fort développement et une reconnaissance supérieurs. A votre avis, pourquoi ?
Jackie Buet : Notre festival a eu, c’est vrai, moins d’impact professionnel. Parce que dans le milieu du cinéma, le statut des femmes est très difficile à bouger. Et puis, le court-métrage a bénéficié de nouveaux circuits de diffusion : les chaînes de TV et surtout Canal+ y ont beaucoup contribué. Mais, jamais, aucune télé n’a mis en avant les films de femmes. De manière générale, notre médiatisation est insuffisante. S’intéresser aux femmes est sans doute trop marquée idéologiquement.
Est-ce qu’il en a toujours été ainsi ?
JB : C’était moins le cas les dix premières années. Mais, à, présent, aucun média spécialisé ne s’intéresse à nous. Evidemment, la crise de la presse n’aide pas…
Dans le milieu du cinéma proprement dit, qu’est-ce qui bloque ?
C’est très difficile de le savoir. Les réalisatrices françaises n’aiment pas du tout qu’on les associe à la notion de films de femmes. Je peux le comprendre car c’est une profession qui fonctionne en réseau. Donc, si on est un peu trop engagé sur le féminisme par exemple, c’est mal vu, ça peut vouloir dire : « celle-là, ça va pas être facile de travailler avec elle ». Donc, les réalisatrices préfèrent rester neutres. Il reste discriminant de se revendiquer féministe en France.
Les nouveaux féminismes, les Femen, La Barbe etc…, ne sont-ils d’aucune aide ?
Ils utilisent ce qui nous manque pour exister : la médiatisation. Leurs actions sont intéressantes, stimulantes : ils appuient sur les stéréotypes mais sans résoudre le conflit de place !
Justement que pensez-vous de la polémique à propos de la quasi absence des femmes en compétition au Festival de Cannes ?
Comme j’ai été sollicitée par les Ministères de la culture et des Droits des femmes, j’ai remis un certain nombre de propositions. Mais, il est très difficile de bouger une institution comme Cannes qui est aussi une industrie avec beaucoup d’argent en jeu. Je ne suis pas sûre que les dirigeants actuels aient envie de remettre en cause les énormes contraintes qui sont les leurs. Pourtant, les femmes sont souvent très efficaces car habituées à gérer.
Où peut-on tenter de faire bouger les lignes, alors ?
Pour la première fois (en 2014, ndlr), le CNC va publier les chiffres officiels sur la place des femmes dans le cinéma français. Jusqu’à présent, il ne s’agissait que d’évaluations. Entre 22 et 25% de réalisateurs sont des femmes en France, moins de 10% partout ailleurs, même aux Etats-Unis, au Canada ou dans les autres pays d’Europe. Et c’est encore beaucoup moins en Afrique, en Asie ou en Inde. Il faut que la société respecte a minima les droits des femmes pour que professionnellement, les choses commencent à bouger.
Ce qui voudrait dire que les réalisatrices scandinaves sont plus nombreuses ?
Ce n’est pas le cas, donc ça ne suffit pas ! En France, on a beau avoir toute une batterie de lois pour promouvoir la parité, elles ne sont pas toujours appliquées. C’est un autre combat… …
A part la médiatisation qui n’est pas à la hauteur, qu’est-ce qui a manqué ?
Jackie Buet : Elisabeth est partie en 1990, j’ai continué. On pensait toutes les deux qu’au bout de 5, 6 maximum 10 ans, on aurait fait le travail et que le relais serait pris par d’autres festivals. Comme Cannes… Mais pas du tout. Donc, il faut continuer, ne pas lâcher. C’est important d’avoir créé une vitrine internationale pour les réalisatrices. Et même si d’autres festivals de films de femmes se sont créés à Florence, en Turquie, à Bruxelles, Créteil reste le plus ancien.
Est-ce l’offre de films de femmes qui pêche ?
Je ne crois pas. Au début du Festival, on montrait 30 films. Aujourd’hui, 150. Et on en reçoit 2000 par an, longs et courts métrages, documentaires et fictions. C’est un beau panorama. Elles parlent de tout : de l’environnement, de la guerre en Afghanistan, du tsunami, des femmes…
Depuis l’invention du cinéma, il y a toujours eu des femmes derrière la caméra. Quand la profession s’est hiérarchisée, elles se sont retrouvées repoussées aux fonctions de scripts, de monteuses… Depuis que l’image s’est numérisée, c’est encore plus difficile pour les femmes d’arriver aux métiers techniques. Du coup, nous faisons des coups de projecteur sur certains métiers : chef op, monteuse, scénariste, compositrice etc.
Que faire pour donner aux femmes cinéastes la place qui leur revient?
Surtout, ne pas les enfermer dans un label « films de femmes » qui serait dangereux pour elles. Le Festival de Créteil n’est pas un ghetto. Ce n’est pas notre projet, du tout. Mais, c’est parfois un à priori. J’ai même réfléchi à changer l’intitulé qui, peut-être, bloque les gens à en parler, pensant qu’il s’agissait de femmes entre elles. Ce qui n’est pourtant pas le cas… Au contraire.
La nouvelle génération des réalisatrices est-elle, selon vous Jackie Buet, concernée de la même manière ?
Le féminin y est pluriel. Il y a une grande diversité de style, de sujet et elles ne se réfèrent pas les unes aux autres mais à leurs écoles.
Justement, quel rôle ont eu les écoles de cinéma ?
Très positif. Il y a toujours plus de filles admises à la Femis… même si elles peinent ensuite à devenir réalisatrices.
Le fait qu’il y ait plus de productrices femmes aide-t-il ?
Oui, mais le chemin est très difficile, décourageant. Et paradoxalement, on aborde là la responsabilité des femmes dans la transmission des stéréotypes et des traditions. Elles aussi reproduisent les valeurs du modèle dominant.
Les femmes ne sont donc pas solidaires entre elles?
Malheureusement non, elles restent rivales. Rares sont celles qui ont du pouvoir et qui tendent la main aux autres femmes. En France, il n’existe pas d’association de réalisatrices. Il en existe au Québec, Les réalisatrices équitables, qui se partagent les bons tuyaux, des infos. Pas ici.
Avez-vous déjà eu des refus pour venir au Festival?
Oui, mais elles ne l’ont pas dit comme ça. La génération des Laetitia Masson, Pascale Ferrand, Brigitte Rouan etc. Elles sont venues une ou deux fois puis elles ont eu peur du label. Ce qui est pourtant à l’opposé de ce qu’on veut faire.
Avez-vous l’espoir que ça évolue?
Nous avons l’écoute du Ministère de la culture, mais il n’a pas de réelle volonté d’appliquer la parité. Il faudrait aligner les subventions sur la clause de représentativité des femmes dans les manifestations ou les institutions culturelles. Il faudrait être radical. Mais, je ne crois pas que le Ministère ira jusque là. Moi je suis pour les quotas, au moins le temps que les femmes arrivent au poste à responsabilité, le temps de montrer aux filles d’aujourd’hui que c’est possible.