Avec Jeune Femme, Leonor Serraille signe un film vivifiant portée par Paula, une héroïne incandescente. Ce qui lui a valu la Caméra d’or 2017, la plus haute distinction donnée à un premier film toutes sélections confondues au Festival de Cannes.
« Il va me falloir oublier Paula »
On sait peu de choses de Leonor Serraille, la réalisatrice de Jeune Femme.
A peine qu’elle a étudié les Lettres à Lyon et à Paris, qu’elle est partie en Erasmus à Barcelone et qu’elle a ensuite intégré la Femis. Depuis elle s’est installée à Lille, au coeur du triangle Paris, Londres et Bruxelles. Et elle s’y sent bien mieux qu’à Paris.
Leonor Serraille avait déjà confié ses Tops 5 à Cine-Woman. Là, elle explique longuement comment elle a pensé et réalisé son film. Et rien n’a été laissé au hasard. Lisez donc.
Qu’est-ce que la Caméra d’or a changé pour vous ?
Leonor Serraille : Je suis déjà stressée de nature, mais être exposée m’a encore plus angoissée. Bizarrement, je me sens plus fragile. Ca me met la pression.
Vous attendiez-vous à recevoir ce prix ?
L.S : Je n’y ai même pas pensé puisqu’un film français l’avait déjà remporté l’an dernier. La vraie surprise a été d’être en sélection officielle Un Certain Regard. A l’ACID, pourquoi pas ? Je venais de tellement loin… Jeune femme a été monté à partir d’un petit budget et de l’envie de beaucoup de débutants. Je n’avais réalisé qu’un moyen-métrage : Body (sélectionné au festival de Brive, de Créteil et d’Osnabrück, ndlr). Mais, il semble qu’il se soit passé quelque chose s’est passé entre Sandrine Kiberlain, la présidente du jury et Paula.
Ca vous a fait plaisir quand même, non ?
L.S : Sincèrement, j’ai surtout eu besoin que ce film me plaise. Je me devais d’aller au bout d’une mission, que toute l’équipe soit fière du film. Le reste… c’était trop loin ! Quand on se rend compte que le film fait rire, qu’il émeut, c’est déstabilisant : on se met à nu sur un tel projet. D’un coup, on se sent entourée de beaucoup d’amour. Le sentiment inverse de l’écriture où on est tout seul. Mais, j’ai hâte de me poser et d’avoir une semaine entière pour me remettre à écrire.
Ce prix vous a –t-il ouvert de nouvelles perspectives de travail?
L.S : J’ai plutôt envie de recommencer avec la même productrice que le film soit un succès ou pas. C’est comme un cadeau auquel je ne veux pas penser mais qui a rendu le film plus visible. Ce qui est très positif. Il a été vendu dans plus de 20 pays dont le Japon et le Mexique. Il est demandé dans de nombreux festivals.
Avez-vous compris ce qui a séduit l’International ?
L.S : C’est amusant que Paula revienne au Mexique. Une journaliste japonaise m’a expliqué que pour elle, le rapport à Paris était le personnage principal du film. Il casse les idéaux sur cette ville. Elle ne comprenait pas pourquoi j’étais si dure avec Paris.
Votre héroïne dit même « Paris est une ville qui n’aime pas les gens ». Est-ce ce que vous pensez ?
L.S : Cette phrase n’était pas dans le scénario mais Laetitia Dosch, l’interprète de Paula l’a ajoutée. Et c’est devenue une des répliques les plus importantes du film. Quand je suis arrivée à Paris, à 18 ans, que je logeais rue de Rennes, dans une chambre de bonne, jusqu’à côté de Montparnasse-Bienvenue où nous avons tourné, j’ai vraiment ressenti la violence de cette ville. Paris semble avoir les bras grand ouverts mais tout est cher, tout est compliqué, tout est fermé. C’est une grosse désillusion. On ne se sent pas aimé à Paris.
Est-ce Paris ou le fait de grandes villes ?
L.S : Je venais de Lyon, j’habite désormais à Lille et j’ai vécu à Barcelone où tout est fait pour qu’on s’y sente bien. Mais, je viens de lire Whiskey et New York, un BD de Julia Wertz, et c’est encore pire !
Vous dîtes que le territoire de la ville n‘appartient pas aux femmes et aux hommes de la même façon. Que voulez-vous dire, Leonor Serraille ?
L.S : Que tout est plus dangereux, plus connoté pour une femme. Il est normal de traverser une ville la nuit pour un homme, pas pour une femme. Le regard des hommes sur les femmes, leurs insultes suivant la manière dont elles sont habillées… Les femmes doivent toujours se contrôler, ce qui n’est pas le cas pour les hommes. Du coup, c’est stressant, ça restreint les possibles. Les bandes filles qui investissent un lieu dans la rue sont rares. Du coup, les femmes passent comme des figurantes de la vie.
En quoi, cela vous a-t-il influencé pour construire le personnage de Paula ?
L.S : Je ne voulais pas que Paula soit figurante de la vie, mais qu’elle prenne le temps, que le métro soit un espace pour elle par exemple. Qu’elle investisse la ville comme aurait pu le faire un homme. Ca me semble légitime. Cela m’a ensuite aidé à faire en sorte que la forme du film soit liée aux qualités de Paula, qu’il lui ressemble.
Comment avez-vous trouvé Laetitia Dosch qui est incandescente dans ce film?
L.S : Je l’ai choisie par intuition. J’avais envie d’un nouveau visage et je ne l’avais vue que dans La Bataille de Solférino de Justine Triet, un film qui m’a remué et où je l’ai trouvée intéressante, attachante. J’ai eu la sensation qu’elle était la comédienne qu’il fallait pour le rôle. Nous n’avons pas fait d’essais mais j’ai vu sur internet toutes ses vidéos où je l’ai trouvée bluffante. J’aimais sa façon de parler insaisissable, tantôt très douce, tantôt très violente, drôle ou triste. Elle m’a fait pensé à ma grande sœur et à Patrick Dewaere. Elle m’avait dit avoir beaucoup aimé le scénario et encore plus la manière dont Paula parle et s’adresse aux gens.
Comment l’avez vous canalisée ?
L.S : Mon scénario est très écrit, très détaillé. Laetitia est peut-être un volcan mais elle est aussi maitrisée, exigeante et très professionnelle. Elle travaille beaucoup et fait attention à beaucoup de détails. Nous avons passé des jours à retourner le texte dans tous les sens, à discuter de chaque scène. Elle proposait, je proposais et on tentait de faire se rencontrer nos sensations sur chaque scène. Une fois que nous étions d’accord, nous avons tourné vite, avec peu de prises, juste quelques nuances de jeu pour garder une marge de manœuvre au montage. Je ne voulais pas par exemple qu’elle soit rigolote façon Frances Ha, qu’on rit d’elle mais avec elle. Elle ne devait pas être consciente d’être drôle.
Sa puissance de jeu est si forte. N’aviez-vous pas eu peur qu’elle cannibalise votre film ?
L.S : C’est un des enjeux : je devais réaliser un portrait qui ne fagocite pas le film et qui ne soit ni une performance, ni un portrait de Laetitia. Je devais trouver l’équilibre entre cette force de jeu incroyable et les personnalités qu’elle rencontre et qui devaient exister en peu de scènes, puisque c’est à leur contact que Paula se transforme. Pour cela, il faut des comédiens forts, Léonie Simaga qui joue Yuki qu’elle rencontre dans le métro et à qui elle arrache sa perruque. Léonie vient de quitter la Comédie Française pour préparer l’ENA !
Votre équipe était essentiellement féminine. Etait-ce un choix délibéré ?
L.S. Je ne l’avais pas anticipé mais je trouve important qu’il y ait des femmes à des postes décisifs. J’ai plus de facilité à travailler avec des femmes qu’avec des hommes. Mais, je ne sais pas dans quelle mesure le film aurait été différent avec une équipe plus masculine. A vrai dire, je sentais que sur pleins de sujets, ça résonnait ! Elles aimaient Paula, elles poussaient le personnage, le film. J’ai aussi senti que la chef op ne trouvait pas du tout anodin de filmer le visage d’une femme. Cela me fait penser à une connaissance qui avait quitté un homme pour une femme et qui m’avait dit « avec une femme, tu te sens sur-puissante ! ».
Vous est-il plus facile d’écrire des dialogues pour un personnage féminin ?
L.S. Non. Ce qui est difficile c’est d’écrire de bons dialogues et de trouver les bons mots, le verbe de Paula.
La scène où Paula retourne chez sa mère est aussi forte qu’énigmatique. Pourquoi Paula n’est-elle pas la bienvenue ?
Il y a eu une dispute, et un départ surtout. Sa mère en veut à Paula, de ne pas avoir donner de nouvelles. L’absence est douloureuse entre elles et les retrouvailles difficiles.
Mais vous ne leur offrez aucune porte de sortie !
Si, pour moi, elles vont se revoir. Mais, cela ne passe par les mots mais il y a un après possible. Ce n’était pas facile, mais la réconciliation a débuté. Retourner chez l’homme qui l’a mise à la porte ou chez sa mère offrait un peu de confort à Paula. Pourtant, elle ne choisit ni l’un ni l’autre. Elle préfère l’inconnu pour s’affranchir du passé. Mais, il n’aurait pas été crédible qu’elle ne cherche pas à retrouver sa famille. Cette scène met toujours les spectateurs en désaccord.
Donc, ce n’était seulement pour intégrer la merveille actrice Nathalie Richard ?
Je savais que Nathalie Richard serait dans mon film. Elle était de tous les plans de mon moyen-métrage. Je lui ai proposé le rôle de la mère qu’elle connaissait très bien, puisqu’elle avait été ma tutrice de scénario à la Femis. J’espère retravailler avec elle car j’aime énormément cette actrice.
Puisque l’écriture vous manque, que préparez-vous ?
L.S : Il va d’abord falloir oublier Paula. J’hésite entre deux scénarios. Normalement, le désir fait le tri mais j’ai autant envie des deux histoires. Je veux faire quelque chose de très différent : écrire de très longues scènes, prendre plaisir à de longs échanges dialogués, que les gens parlent longtemps…
Avez-vous une thématique déjà définie ?
L.S. Je pense que je vais écrire mes deux projets. Dans l’un deux, il s’agit de deux femmes qui n’ont ni le même âge, ni les mêmes problèmes que Paula. En entendant les spectateurs rire, cela me donne envie d’écrire une comédie. Mais, c’est très difficile.
Propos recueillis par Véronique Le Bris