C’est une somme, un pavé de près de 1300 pages qui vient combler un manque considérable : celui du rôle qu’ont joué les femmes, les actrices en particulier, durant l’âge d’or hollywoodien. Hollywood – la cité des femmes d’Antoine Sire sort le 26 octobre 2016 en librairie. Cine-Woman a longuement rencontré son auteur au Festival Lumière 2016 à Lyon.
« L’histoire ne rend pas assez hommage aux femmes qui ont influencé le cinéma »
Antoine Sire est né au cinéma. Le petit garçon d’Un homme et une femme de Claude Lelouch, c’est lui ! Son père Gérard Sire était scénariste. On lui doit notamment Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, la comédie caustique de Jean Yanne, située dans l’univers de la radio qu’il connaissait si bien. Antoine Sire perd son père jeune mais lui doit aujourd’hui encore sa passion pour l’écriture, les fondements de sa cinéphile et une bibliothèque très fournie en livres sur le cinéma. Il choisit pourtant une autre voie, celle de la communication. Il sera dircom de la BNP de 1997 à 2013, développera l’engagement de la banque auprès du 7eme art et quittera son poste pour rédiger son livre. Aujourd’hui il a rejoint la direction d’Havas Worldwide Paris.
Déjà auteur d’un roman, Aux couleurs de la butte, Antoine Sire s’est senti quasiment investi d’une mission qui a duré cinq ans. « Hollywood, la cité des femmes, le livre que j’ai écrit n’existe nulle part, même pas aux États-Unis. J’ai voulu combler un manque », confie-t-il. Pourquoi et comment? Il s’en explique.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux femmes, ces grandes oubliées de l’histoire du cinéma?
Antoine Sire : Parce qu’objectivement, elles ont joué un rôle essentiel durant l’âge d’or hollywoodien. Pourtant, aucun livre n’en parle. On s’arrête au glamour mais on ne traite jamais de leur contribution au cinéma et rarement de leur travail d’actrices. Je voulais combler ce manque, revenir sur ce mystère. L’histoire ne rend pas assez hommage à ces femmes qui ont influencé le cinéma.
Certes, mais pourquoi vous concentrez sur l’âge d’or, sans doute la période le plus sexiste?
AS : Justement! Je suis fasciné par les personnages de femmes qui sont extraordinaires dans ces films d’hommes.
Prenez Dorothy Malone dans Le Cri de la victoire de Raoul Walsh. Son rôle est bref mais elle irradie le film de sa personnalité. Ou Marilyn Monroe dans Quand la ville dort de John Huston, elle y est éblouissante !
C’est leur glamour qui les rend ainsi, non?
AS : Depuis les débuts du parlant en 1930 jusqu’à l’évènement de la télévision et des lois anti-trust au milieu des années 1950, les producteurs utilisent leur puissance pour créer de stéréotypes. Mais, les actrices – au moins certaines d’entre elles – vont réussir à en échapper et à imposer leur personnalité.
Qui, par exemple?
AS : La première c’est Greta Garbo. La MGM lui confie des rôles très stéréotypés mais elle ne joue pas le jeu. Elle impose ses initiatives, sa personnalité. C’est aussi le cas de Marilyn Monroe. Personne ne comptait sur cette jolie fille pulpeuse. La Fox subit son succès plus qu’elle ne le provoque, et Marilyn s’entoure de coachs pour améliorer son jeu. Mais il y en a d’autres.
Antoine Sire, vous pensez à qui?
AS : A Katharine Hepburn, à Bette Davis, à Olivia de Havilland, à Rosalind Russell… Bette Davis défie la Warner à plusieurs reprises. Elle perd un procès contre le studio mais sera la première à comprendre le pouvoir qu’elle peut tirer des rôles de méchantes, ceux où elle n’est pas jolie.
Tout en étant capable de donner l’illusion de sa beauté et de nombreuses idées de mise en scène ailleurs. Dans Victoire sur la nuit d’Edmund Goulding, par exemple.
Et Katharine Hepburn?
AS : Elle va créer un type de femme que le machisme hollywoodien n’avait pas envisagé : celle qui peut dominer les hommes par son intelligence et sa volonté sans être ni une mégère, ni une matrone. Elle réussit à imposer un style de beauté androgyne tout faisant un usage très féminin de ses appâts. Et tourne La femme de l’année de George Stevens ou Madame porte la culotte de George Cukor qui bousculent la représentation de la femme dans la société américaine de l’époque.
Elle va jusqu’à jouer une femme amoureuse entre deux âges dans Vacances à Venise de David Lean ou remporter un Oscar avec Devine, qui vient dîner ? un plaidoyer antiraciste de Stanley Karmer.
Y en a-t-il une que vous préférez?
AS : Oui, Barbara Stanwyck. Elle est moins connue car elle prend possession des films plus délicatement, avec une présence et une dignité incroyables. Dans les années 1930, elle brille en jouant les femmes fortes, dures, transgressives, amoureuses, puis se fait une place dans les screwball comedies des années 1940.
Elle devient ensuite une héroïne mythique des films noirs comme Assurance sur la mort de Billy Wilder et une cascadeuse hors pair des westerns des 1950’s. Pour moi, elle est l’actrice la plus complète et celle qui échappera le plus aux studios, tout en étant la femme la mieux payée des Etats-Unis.
Votre livre ne traite-t-il que des actrices?
AS : Non, mais durant cet âge d’or, seules deux femmes ont été réalisatrices : Dorothy Arzner et Ida Lupino. Et un quart des scénaristes. Mais, j’incite aussi certaines actrices un peu oubliées en France aujourd’hui qui se sont battues pour leur art.
C’est le cas de Linda Darnell (Chaînes conjugales) ou de Rita Hayworth (Gilda) qui ont bataillé fort pour imposer leurs qualités d’actrices sans y parvenir, de Margaret Sullivan (The shop around the corner), de Rosalind Russell (La dame du vendredi), l’archétype de l’ambitieuse bien habillée, de Myrna Loy qui revendique l’égalité avec son partenaire (The Thin man).
En quoi cet âge d’or est-il émancipateur pour les femmes?
AS : A cette époque, les studios ne communiquaient que sur le glamour, c’est donc ce qui appartient à l’inconscient populaire. Mais on voit bien avec tous ces exemples que si les actrices incarnent effectivement ce glamour, c’est ce qui émane le moins d’elles.
Quelles actrices actuelles pourraient-elles les rejoindre sur ce point là?
AS : J’en vois deux : Gong Li et Catherine Deneuve. Elles ont beau être magiques, inaccessibles, elles sont capables d’interpréter tous les types de femmes de leur époque.
Hollywood, la cité des femmes – Histoire des actrices de l’âge d’or d’Hollywood 1930-1955 d’Antoine Sire est un ouvrage érudit et complet qui compte près de 1300 pages et revient sur 1200 films. Véritable somme écrite sur papier bible, il comporte des visuels, une bibliographie et un index impressionnants, ainsi que des encadrés sur des points précis. Il aurait toutefois mérité un format plus grand, une maquette plus aérée et plus soignée afin de faciliter sa lecture. Il est édité aux éditions Institut Lumière-Actes Sud.
© Institut Lumière / Photo Julien Roche – Les Acacias –