Fuocoammare
Le drame des migrants tel qu’il est vécu à Lampedusa, petite île perdue au sud de la Méditerranée mais déjà en Europe. Fuocoammare de Gianfranco Rosi a remporté l’Ours d’or de la 66ème Berlinale. Mérité? Nécessaire, avant tout.
A Lampedusa, la vie comme elle va
Le cinéma doit-il être politique? Peut-être et c’est souvent mieux quand il l’est. C’est en tous cas ce que l’on attend d’un documentaire qui traite du sujet des migrants en Méditerranée et qui a été primé de l’Ours d’or à la Berlinale 2016.
D’un documentaire de cinéma, on attend aussi qu’il ait une certaine hauteur de vue. Gianfranco Rosi y met un pont d’honneur et de ce point de vue, Fuocoammare est parfaitement réussi.
Sur le terrain
Le réalisateur a vécu un an à Lampedusa, plusieurs mois sans caméra, à la rencontre de ses habitants. Il s’est ainsi imbibé de l’atmosphère pour mieux rompre avec les clichés habituels. Puis, il a monté le dispositif très léger dont il avait besoin pour son film. Seul, à la caméra et au son, il a filmé Lampedusa, ses migrants et ses habitants qui ne se côtoient plus.
Cela fait 20 ans que la petite île de l’extrême sud italien accueille des migrants. 400 000 auraient échoué sur ses 20km2. 15000 auraient péri en la quittant pour rejoindre l’Italie continentale. Autant dire sur ces migrants font partie du quotidien des insulaires. Avant, ils arrivaient directement sur les côtes.
Mare Nostrum
Depuis le grave naufrage du 3 octobre 2013 et la mise en place du plan Mare Nostrum, la frontière s’est déplacée en pleine mer. Ce sont désormais les bateaux militaires qui vont à la rencontre des embarcations de migrants en perdition.
Ils sont alors pris en charge par des équipes, répertoriés, vus par des médecins, soignés au besoin, nourris et hydratés, et placés dans un centre. Sans que le film n’en montre plus.
Fuocoammare, l’hymne des habitants de Lampedusa
En revanche, Gianfranco Rosi s’est attaché à monter à bord des bateaux militaires puis de migrants et distille son témoignage, visuel, jamais commenté, au fur et à mesure. Et certains sont glaçants, d’autres comme celui du médecin sont intelligents et extrêmement émouvants.
Car le propos de Rosi est aussi de montrer comment vivent les habitants de l’île. Ressentent-ils ces migrants comme une menace, une urgence, une souffrance, des fantômes? Il a choisi d’en suivre quatre : le médecin, un plongeur, l’animateur de la radio locale qui passe Fuocoammare à la demande – il s’agit une chanson traditionnelle qui fait référence à un bateau en flammes dans le port durant la Seconde Guerre Mondiale (mer en feu = fuocoammare)- devenue l’hymne de l’île et Samuele, un garçon de 12 ans.
Samuele, le vrai héros de Fuocoammare
Spontané et extraverti, ce fils de pêcheur sait que son avenir est en mer, lui qui vomit en bateau et préfère dégommer les oiseaux et les cactus, avec sa fronde. Sur terre. Samuel a aussi développé de drôles de symptômes : un l’œil paresseux et une angoisse qui le fait tousser.
Tout un symbole pour Gianfranco Rosi, qui y voit une mise en abîme de l’île et de ses habitants, contraints de vivre près d’un cimetière dont ils tirent aussi leur subsistance, leur culture.
Des images, pas de mots
Jamais, le réalisateur n’apporte de réponse aux questions qu’il soulève, aux témoignages qu’il capte. Il montre. E à nous spectateurs, d’en faire l’analyse. Une démarche naturaliste bienvenue mais tout de même un peu limitée, presque un peu lâche. Car, malgré le temps qu’il prend à filmer les hommes et la nature, à filmer la vie dans de superbes cadrages, les images qui impriment sont forcément les plus fortes, les plus spectaculaires aussi. Les plus angoissantes et les plus désarmantes.
Fuocoammare, par delà Lampedusa, reste pourtant un film nécessaire, indispensable mais qui aurait sans doute gagner à cerner de plus loin, les habitants de l’île, à mieux montrer le contexte de leur vie. Car si on perçoit les vides, on en comprend mal les trop-pleins.
De Gianfranco Rosi, avec Samuele Pucillo, Mattias Cucina, Samuele Caruana, Pietro Bartolo…
2016 – Italie : France – 1h49
A l’occasion de la sortie de Fuocoammare, Météore Films sort le 28 septembre 2016 trois documentaires de Gianfranco Rosi inédits en France : Boatman, Below sea level et El Sicario – room 164.
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