Flonja Kodheli fait face à Alba Rohrwacher dans Vierge sous serment de Laura Bispuri. Mais, qui est cette jeune et talentueuse actrice albanaise parfaitement francophone? Cine-Woman vous en dit plus.
Albanaise made in Bruxelles ou Paris
L’actrice Flonja Kodheli et moi nous sommes rencontrées au Festival d’Arras, en novembre 2014. Son visage harmonieux flottait dans le seul film albanais en compétition, Bota d’Iris Elezi et Thomas Logoreci. Un film très formel à l’atmosphère tout en retenue où, à partir d’un bar dans lequel des personnages énigmatiques avaient pris l’habitude d’aller, était abordé le sujet des prisonniers politiques sous la dictature d’Enver Hoxha. Flonja y rayonnait. Malheureusement, Bota n’a pas encore été distribué en France.
Dans un tout autre rôle qui fait aussi référence à l’histoire albanaise, Flonja Kodheli débarque sur les écrans français. Dans Vierge sous serment de l’italienne Laura Bispuri, elle incarne Lila, une des deux filles de cette famille traditionnelle des montagnes du nord de l’Albanie, celle qui a préféré fuir pour vivre pleinement sa vie de femme. Sa sœur adoptive (Alba Rohrwacher) fait le choix inverse et adopte le Kanun, un code local qui fait d’elle une vierge sous serment, c’est-à-dire « l’homme de la famille ». Celle-ci renonce alors à sa féminité, à sa vie sexuelle. Le film commence justement quand les deux sœurs se retrouvent à Milan, après la mort de leurs parents.
L’Albanie et son passé
Flonja a beau être albanaise, elle n’avait entendu parler du Kanun avant que Laura Bispuri ne la contacte pour le film. Elle connaissait pourtant le mot de « burrnesha », qu’on peut traduire par « femme forte » qui fait directement référence au phénomène dans le langage albanais courant. Peut-être est-ce parce que Flonja a surtout fréquenté Tirana, la capitale où elle retourne travailler régulièrement. Elle a notamment été assistante metteur en scène sur la pièce Radio Iliria, jouée au Théâtre National.
Il faut dire aussi que l’Albanie de son enfance ne lui a pas laissée que de bons souvenirs. Flonja est en partie à 13 ans, après la chute de la dictature dont elle a été une victime directe. Sa mère, Justina Aliaj, comédienne et chanteuse, avait eu la mauvaise idée de participer à un festival – le festival noir – réputé depuis pour avoir scellé son sort, comme celui de la moitié des artistes présents. Définie comme « dangereuse » dès l’âge de 21 ans, cette artiste a été a été condamnée à ne plus exercer son métier pendant 18 ans, avant de pouvoir fuir pour Bruxelles où elle a attendu deux ans que ses enfants la rejoignent.
Tirana, Bruxelles, Paris
Flonja Kodheli ne se plaint pourtant jamais de cette enfance bousculée. Elle affiche au contraire avec une certaine fierté ses origines, parle en souriant de cette enfance passée à regarder en cachette des dessins animés de la télé italienne sans parler un mot d’italien ou encore de la diaspora de son peuple et de sa famille. Son frère violoncelliste de renom vit à New York, sa mère est revenue à Tirana, son cousin à San Francisco, une autre cousine au Caire et elle-même se partage entre Bruxelles, Paris et Tirana.
Elle s’amuse même que sur le tournage de Bota, on lui ait reproché de parler albanais, sa langue maternelle, avec un accent français ! « J’ai grandi, j’ai étudié avec la mélodie française. Du coup, je parle toutes les autres langues avec un léger accent français », confie-t-elle. « Pour le rôle de Lila, qui a donc fui l’Albanie pour l’Italie, il a fallu que j’apprenne l’italien mais avec un accent albanais et puis aussi, ce dialecte typique des montagnes du nord. Et cela, sans le moindre accent français ».
Flonja Kodheli, pianiste, compositrice, actrice
Français et pas belge, même si Flonja a appris notre langue à Bruxelles, impossible de détecter le moindre soupçon de tonalité belge ! Une preuve supplémentaire de son oreille musicale, elle qui a obtenu un premier prix de piano du conservatoire royal de Mons. « Pendant sept ans, j’ai enseigné le piano et été accompagnatrice. Le week-end toutefois, je participais à des stages de comédie auprès de réalisateurs belges. L’un d’eux, Frédéric Dumont, m’a poussée à m’y consacrer davantage, mais c’était compliqué, j’avais tellement travaillé le piano ! »
Flonja saute le pas. Elle quitte Bruxelles pour Paris et s’inscrit au Cours Florent. Pourtant, c’est en Belgique, derrière la caméra de David Lambert, qu’elle décroche son premier rôle, dans le long métrage Hors les murs, sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2012. Elle n’abandonne pas la musique pour autant puisqu’elle a aussi composé une partie de la bande-originale, un autre de ses talents qu’elle a exercé récemment dans le documentaire albanais Pritja de Roland Sejko.
Et demain?
Après Bota, choisi pour représenter l’Albanie aux prochains Oscars, après Vierge sous serment, présenté et primé dans de nombreux festivals internationaux et déjà vendu dans 12 pays dont la France et les Etats-Unis, Flonja Kodheli espère enchaîner les projets en Belgique, en Italie voire en France. En attendant, elle retourne sur ses racines en Albanie, au théâtre où sa mère a fini par reprendre sa carrière et a commencé à régler ses comptes avec son passé. Là où une nouvelle page d’histoire est en train de s’écrire…