La 8e édition du Festival de cinéma européen des Arcs s’est close samedi 17 décembre 2016 avec une belle promesse. Poursuivre encore et toujours le travail entrepris pour favoriser la parité dans le cinéma. Cine-Woman encourage bien sûr!
Le Festival de cinéma européen des Arcs innove en misant sur la parité
Ils s’excusent encore d’être trois fondateurs pour une fondatrice. Mais Fabienne Silvestre-Bertoncini, coach professionnel dans la vie et responsable des relations publiques et institutionnelles depuis les débuts du festival, leur a suggéré d’aborder franchement le sujet plutôt que de s’en excuser. Jusqu’ici, chaque édition du festival mettait en avant un pays européen. En 2016, ce sont les femmes qui ont été à l’honneur.
Une compétition paritaire
La première initiative a été une égalité parfaite du nombre de films réalisés par des hommes et par des femmes présentés en compétition, qu’il s’agisse de courts ou de longs métrages. Etrangement, les jurys, paritaires eux aussi, étaient tous les deux présidés par des hommes. « Une erreur », reconnaît Fabienne Silvestre-Bertoncini, qui ne se répètera pas l’an prochain, promet-elle. Comme semble désormais acquis l’engagement d’une compétition toujours paritaire. Ou la défense de cette cause à long terme avec la Fondation Sisley.
Allusion directe, le Festival a ouvert avec un concert dynamisant du groupe La femme. Plus tard, deux débats, l’un professionnel, l’autre ouvert au public, ont permis d’aborder de front le sujet.
Le Festival de cinéma européen des Arcs commande une étude sur la place des femmes dans le cinéma
La première table ronde avait pour thème : « Les acteurs du marché soutiennent-ils l’émergence d’une nouvelle génération de femmes réalisatrices? » Elle invitait plusieurs intervenantes venues de toute l’Europe à réagir à une étude sur l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes européennes. Celle-ci a été menée à l’initiative de l’association Révélations culturelles, qui organise le Festival de cinéma européen des Arcs, et le Deuxième Regard.
L’étude prend comme postulat que les générations plus anciennes pèsent sur la faible proportion des films faits par des femmes. Du coup, elle ne s’intéresse qu’aux réalisatrices ayant dirigé 1, 2 ou 3 longs métrages. Elle ne prend en compte que les films sortis en salle entre 2012-2015, soit quelques 6138 oeuvres dans les 30 pays retenus. 19,4% ont été réalisés par des femmes. Sans surprise, leur proportion est forte dans le nord de l’Europe. En Norvège surtout, dans une proportion qui monte à 32%. Elle tombe à 25% en France, à 11% en Angleterre et à seulement 9% en Italie, le plus mauvais élève de l’Europe. Sur la même période, les hommes ont en moyenne réalisé un film de plus que les cinéastes féminines.
La politique volontariste suédoise
Le débat a ensuite porté sur les politiques mises en place dans chaque pays pour tenter de porter ces chiffres vers plus de parité. De nombreux dispositifs différents ont été tentés : l’incitation, les quotas, les soft-quotas, les objectifs chiffrés, les systèmes de points… Un des plus efficaces a été mis en place en Suède par Anna Serner, la directrice du Swedish Filminstitute. Elle synthétisait sa politique volontariste, lancée en 2011 par un « assez de paroles, passons à l’action ».
« Puisque le point de vue des femmes sur la société n’est pas assez représentée et que l’Histoire efface les femmes », Anna Serner s’est donnée pour mission d’augmenter le nombre de réalisatrices présentes dans les grands festivals de cinéma. Comment ? En commençant par définir précisément les critères de qualité d’un film (ils sont trois dont l’originalité et la pertinence) et en les appliquant de la même manière aux hommes et aux femmes. Puis, en mettant en place des initiatives qui permettent de faire surgir les talents féminins afin d’atteindre la cible chiffrée et datée. Il s’agissait que 50% des aides à la production soit octroyé à des femmes entre 2013, date du début du programme et 2015. Pour l’instant, si les 40% sont régulièrement dépassés, les 50% sont pas été atteints. L’Irlande s’est inspirée de l’expérience d’Anna Serner avec comme objectif que 50% des aides à la production soient versés à des réalisatrices à un horizon de 3 ans.
Des politiques incitatives variées
La plupart des mécanismes mis en place consiste à valoriser la proportion de réalisatrices à bénéficier d’aides à la production. En Suisse, les commissions étant paritaires, la politique consiste surtout à une sensibilisation à l’égalité. L’Espagne a opté pour un système de points qui valorise les projets des femmes. En Belgique, des soft-quotas ont été mis en place. Si deux projets sont en balance, c’est celui porté par une femme qui sera choisi. La France valorise la parité dans les commissions du CNC et la promotion des femmes à des postes-clés.
L’Autriche, elle, parie sur l’information et alimente constamment une database pour informer hommes et femmes de la réalité en temps réel. La réalisatrice Jessica Haussner, invitée à débattre, ne se plaignait pas de la situation dans son pays. Elle s’affichait contre les quotas mais trouvait judicieuse une définition précis des critères de qualité des films. Enfin, une productrice belge a fait part de son initiative, celle des boostcamps. Ils consistent à extraire les femmes de leur quotidien pour favoriser leur concentration, leur confiance en elle, leur réseau, par un système de mentoring et de stimulation créative.
Les femmes sont jugées sur leur expérience, les hommes sur leur potentiel
En conclusion, Anna Serner a tenu à rappeler que « les femmes continuent à être jugées sur leur expérience quand les hommes le sont sur leur potentiel ».
Le lendemain, une autre discussion, ouverte au public, avait pour thème : « Etre réalisatrice de cinéma ou escalader l’Everest? » . Si les chiffres principaux de l’étude ont été rappelés, le débat était plus un retour d’expérience et une confrontation d’idées qu’un état des lieux. Danièle Thompson a raconté que son parcours avait été facilité par ses origines familiales. Elle est la fille de Gérard Oury et a fait ses preuves à ses côtés avant de se lancer comme réalisatrice à 57 ans avec La bûche. Catherine Corsini a expliqué ses débuts difficiles de comédienne, de réalisatrice de courts métrages puis de longs et l’indéniable problème de légitimité auquel les femmes se heurtent.
Houda Benyamina, toujours aussi vindicative, a rappelé la difficulté pour une femme de diriger une équipe sur un plateau. Elle a appris tous les termes techniques par coeur et bluffait pour se faire entendre et respecter. Pour Alanté Kavaïté, réalisatrice d’origine lituanienne, le sexisme prend ses racines très tôt dès l’école et dès l’enfance en France. Enfin, alors que Florence Ben Sadoun, rédactrice en chef du magazine Elle en charge du cinéma, rappelait les chiffres les plus défavorables aux femmes cinéastes, Philippe D’Ornano, le président de la Fondation Sisley, a rassuré sur son engagement à long terme en faveur des femmes, du cinéma et du Festival des Arcs. Tous ont conclu que le débat ouvert méritait d’être reconduit sur les prochaines éditions du Festival. A suivre donc…
Un think tank spécialisé
L’engagement du Festival de cinéma européen des Arcs ne s’arrête toutefois pas là. Fabienne Silvestre-Bertoncini a eu l’idée de mettre à disposition de la réflexion sa compétence de coach. Elle a organisé, toujours en partenariat avec le Deuxième regard, un think tank. Il s’agissait de réunir durant trois matinées des groupes d’une petite dizaine d’invité.e.s du festival et les inciter à réfléchir et à mettre en place des actions concrètes pour améliorer la parité du secteur. Cine-Woman a participé avec enthousiasme à la troisième rencontre, d’où plusieurs idées ont émergé. Les résultats des trois groupes n’ont pas encore été communiqués, mais l’initiative est déjà passionnante. On y reviendra donc.
Un regret toutefois. Que peu d’hommes s’intéressent à ces discussions. Ce qui leur donnerait plus d’écho et sans doute plus de crédits. Mais, bravo au Festival de cinéma européen des Arcs pour son initiative et pour sa mobilisation en faveur de la parité. La preuve que c’est un festival à suivre et qui ne fait rien comme les autres. Et c’est tant mieux!
©Romuald Maginot ; Manuel Moutier et Pidz.com