Faut-il dégenrer les prix de cinéma?
Dégenrer les Ours d’argent ! Dès 2021, La Berlinale récompensera la meilleure interprétation et le meilleur second rôle. Sans plus distinguer s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. Une bonne idée?
Ni homme, ni femme… bien au contraire !
En renonçant à donner un genre à ses prix d’interprétation, la Berlinale innove. Dès la prochaine édition du festival berlinois, en février 2021, les performances d’acteur et d’actrice s’évalueront sans distinction de sexe. Mais avec celle de l’importance du rôle, puisqu’un prix du meilleur second rôle sera aussi attribué.
La plupart des festivals ou des compétitions de cinéma ont des palmarès similaires qui récompensent acteur et actrice dans des catégories différentes. C’est même souvent le seul prix qui s’évalue différemment en fonction du sexe. En choisissant de rayer cette mention, la Berlinale jette un caillou dans la mare.
Des genres aux contours de plus en plus flous
L’innovation est louable et correspond aux nouvelles tendances LGBTQ+, très populaires auprès des jeunes générations qui souhaitent justement annihiler les genres aux frontières de plus en plus flous. Mais, l’intention n’est -elle justement de ne plus valoriser un genre contre un autre? En d’autres termes, la Berlinale prône-t-elle ainsi une véritable égalité de tous et toutes, quel que soit leur genre justement?
Rien n’est moins sûr. Parce qu’à gommer le genre on valorise justement le dominant. Il y a fort à parier que la plupart les prix d’interprétation reviendra majoritairement à des acteurs mâles au genre justement affirmé. Et sans doute beaucoup plus rarement, voire de manière anecdotique à ces « genres » marginaux que sont les femmes, les trans et tous les autres. Certains imaginent même déjà que le prix d’interprétation reviendra aux hommes tandis que le second rôle échouera plus souvent aux femmes, générant ainsi une nouvelle inégalité.
Dégenrer ou prouver son intérêt pour l’égalité
Il est évidemment trop tôt pour juger et il convient de saluer l’initiative de cette Berlinale qui prouve ainsi son intérêt pour le sujet sensible des discriminations de genre.
Mais, cette initiative vient trop tôt. Au regard des palmarès remis depuis les débuts du cinéma, les « non » hommes sont fortement discriminés. La plupart des rôles puissants sont écrits par des hommes et pour des hommes. Les femmes sont encore trop souvent de simples faire-valoir, les trans eux n’apparaissant que dans des films militants. Et puis, les acteurs restent plus célèbres, plus populaires que les actrices ou autres représentants minoritaires.
Le non-genre favorise toujours et encore le mâle
Et quand même les prix ne sont pas genrés, comme tous ceux remis en dehors justement des prix d’interprétation, ils vont en quasi totalité à des hommes. Le prix de la meilleure réalisation n’est jamais genré et rares sont les réalisatrices à les avoir obtenu. Pour mémoire, une seule a raflé l’oscar, une seule le César, une seule la Palme d’or. Et elles ne sont que six (et c’est un record) à avoir remporté l’Ours d’Or à Berlin justement : Marta Meszaros en 1975, Larissa Chepitko en 1977, Jasmila Zbanic en 2006, Claudia Llosa en 2009, Ildiko Enyedi en 2017 et Adina Pintilie en 2018. 6 sur 69 !
C’est d’ailleurs pour atténuer cette inégalité que Cine-Woman a créé le Prix Alice Guy, qui, lui, à l’opposé du parti pris berlinois, ne récompense que des oeuvres réalisés par des femmes… ou disons par celles qui se reconnaissent comme telles.
Laissons toutefois à la Berlinale de tester son idée. Et si au bout de 5 ou 10 ans, les prix reviennent majoritairement aux acteurs, la preuve aura été faite que dégenrer n’est pas la meilleure solution.