Avec son quatrième long métrage, Eva ne dort pas, l’argentin Pablo Agüero revient avec solennité sur une mythologie contemporaine, celle d’Eva Peron.
L’embarrassante Evita Péron
Eva ne dort pas commence de façon déroutante, par une altercation, une litanie d’insultes qu’un général d’armée adresse à un cadavre. « Une catin, une femme » aurait osé lui résister, « une femme morte » qui plus est. Un haut gradé, tout puissant qui tremble devant un sac d’os !
Le film s’installe à travers trois personnages successifs (l’embaumeur, le transporteur et le militaire) et des scènes au décor simplifié où pèse le poids de ce cadavre pourtant si frêle. Et puis, il y a ces archives, fascinantes, impressionnantes, qui aideront à comprendre, à mesurer la puissance et la construction du mythe.
L’icône du péronisme
Eva Duarte épouse le colonel Peron, un an avant son élection en 1946. Sans mandat mais très charismatique – c’est une star de la radio – Évita obtient le droit de vote pour les femmes en 1947 et s’intéresse au travail social. Nulle autre n’incarnera mieux le péronisme qu’elle ! Elle meurt très vite pourtant, à 33 ans, emportée par un cancer fulgurant en 1952. Ses obsèques ont duré 15 jours : le cortège d’argentins qui se pressent pour saluer sa dépouille, montré dans le film, est long de plusieurs kilomètres. Du jamais vu !
Son corps est alors embaumé et gardé dans une salle du quartier général de la CGT à Buenos Aires, selon une technique innovante qui lui offre une nouvelle éternité. Que faire alors d’un cadavre si encombrant quand on est militaire et que l’on vient justement de réussir son putsch en renversant Péron? Interdire qu’on lui rende, qu’on en parle, qu’on le nomme même? Le détruire? L’enterrer? Le faire disparaître?
Eva ne dort pas et passe 17 ans au Vatican
Le culte d’Evita est trop puissant pour que n’importe laquelle de ces issues ne provoque une insurrection. Le général Aramburu, alors au pouvoir, dépêche dans le plus grand secret des militaires pour transporter ce cadavre hors d’Argentine, au Vatican où il sera caché pendant 17 ans!
En 1971, l’armée affaiblie rend le corps d’Eva à son ancien mari, le général Péron, réélu un an plus tard président de l’Argentine, mais il meurt à son tour sans avoir eu le temps de le rapatrier en Amérique du Sud. Ce que fera son gouvernement, un an plus tard, pour tenter d’améliorer sa popularité.
Le symbole de l’impuissance militaire
Un nouveau coup d’état militaire en 1976 scellera, pour de bon, le sort de la dépouille d’Evita Péron, qui est enterré de nuit à Buenos Aires, sous 6 m de béton. Elle restera pourtant une menace puisque la nouvelle junte militaire au pouvoir jusqu’en 1983 s’acharnera sans réserve sur les militants péronistes.
Eva ne dort pas, le film très sombre de Pablo Agüero, raconte cette histoire incroyable, inconcevable en adoptant le point de vue des méchants, de ces militaires sans scrupules complètement dépourvus devant la puissance du culte que voue la population argentine à Eva Péron et à sa dépouille. Il montre aussi la folie qui s’empare d’eux quand son cadavre s’évertue à ressurgir encore et encore. Une icône qu’ils n’arrivent jamais à contrer, qui devient le symbole même de leur impuissance.
Des archives grandioses
Si, selon le réalisateur, cette histoire est pleine de vérités diverses, il fait part de la sienne, chaotique, à la fois taiseuse et bavarde, largement entachée de sang, de principes catholiques bien plus que simplement humains, de rapports de force et de lutte de pouvoir. En optant sur un dispositif très simple (des endroits clos, sombres où se jouent les trois actes principaux), son film parvient à très étouffant et un peu trop solennel.
Heureusement qu’il est bousculé par un montage des archives extraordinaires qui donne toute sa puissance au mythe et donc toute la force à ce film et à son sujet. Pablo Aguëro n’est évidemment pas le premier réalisateur à s’emparer d’Evita, mais il signe à ce jour le plus authentique et le plus personnel de ce sujet hors du commun.
De Pablo Agüero, avec Gaël Garcia Bernal, Denis Lavant, Sabrina Macchi, Daniel Fanego, Imanol Arias…
2015 – Argentine – 1h27
Le film a été en partie développé au Groupe Ouest et a été en compétition officielle des festivals de San Sebastian et de Toronto, en 2015.