Les femmes de cinéma sont à l’honneur des 26e Rencontres ciné-latino de Toulouse 2014. Erick Gonzalez, son programmateur, s’en explique.
En Argentine, ce sont les femmes qui dominent le cinéma
Erick Gonzalez est, depuis 2008, le programmateur des Rencontres ciné-latino de Toulouse. Chilien de naissance, il a étudié à l’ESAV, école de cinéma toulousaine, et se partage depuis entre les deux pays. C’est lui qui, depuis 2013, a eu l’idée d’instituer une thématique qui prévoit notamment une rétrospective de 35 films, des débats, des ateliers…
Après « cinéma et politique », ce sont « les femmes de cinéma » qui étaient à l’honneur de l’édition 2014. Pourquoi? Parce que « ça va de soi ». Oui mais encore…
Interview d’Erik Gonzalez, programmateur
Pourquoi avez-vous décidé de vous attarder sur la place des femmes ?
Erik Gonzalez : Pour mettre en valeur une singularité du cinéma latino-américain. La région a une image très machiste. Pourtant, la question du genre est une des grandes problématiques de son cinéma. En grande partie grâce aux femmes qui sont nombreuses à s’exprimer sur le sujet depuis les années 2000.
Où ce phénomène est-il le plus répandu?
EG : Sans contestation possible, en Argentine. Là-bas, on assiste à un phénomène unique au monde : l’équilibre des forces cinématographiques est largement en faveur des femmes. Si on dresse la liste des réalisateurs les plus importants, plus de la moitié est féminine, avec en tête de liste Lucrecia Martel. La majorité des cinéastes argentins de réputation mondiale sont des femmes.
Plus qu’en France donc, qui prétend pourtant être le pays de cinéma où la place des femmes est la plus enviable…
EG : Mais, la France n’est en aucun cas un exemple sur le sujet ! Certes, les réalisatrices y sont plus nombreuses qu’ailleurs, mais leur réputation est surtout nationale…
A quoi attribuez-vous ce phénomène argentin?
Erik Gonzalez : C’est difficile à dire. Depuis le début des années 2000, on ne peut que constater que les femmes sont plus nombreuses et que leur travail est plus intéressant que celui des hommes. Sans vraiment l’expliquer. Sans doute cela vient-il en partie de l’explosion du nombre d’étudiants en cinéma – ils sont 18 000 à suivre ces études aujourd’hui -. Mais, l’engouement est le même au Mexique et pourtant, les réalisatrices mexicaines ne sont pas aussi nombreuses.
Des modèles à suivre
Avez-vous d’autres pistes explicatives?
EG : Parfois, il suffit aussi de quelques réussites emblématiques pour ouvrir la voie… En Argentine, Maria Luisa Bemberg, dans les années 1990, avec Moi, la pire de toutes, avait réuni plus de 2 millions de spectateurs en salle. Ce qui a sans doute permis aux Albertina Carri, Lucia Cédron, Lita Stantic, Celina Murga, Natalia Smirnoff, Catalina Villar de se lancer. Enfin, d’après leurs témoignages à toutes, c’est en investissant d’abord le champ de la production qu’elles ont réussi ensuite à devenir cinéastes.
Mais, aux Etats-Unis aussi les productrices sont nombreuses, et les réalisatrices rares?
EG : C’est vrai… La chance de l’Argentine a aussi été de connaître au début des années 2000 une créativité très forte. Ce qu’on observe aussi, c’est que les femmes sont nombreuses à produire et à réaliser. Mais elles ont aussi investi des métiers plus techniques comme celui de chef op. Par contre, on compte peu de femmes ingénieurs du son ou chef electro.
Ce phénomène se cantonne-t-il à l’Argentine?
EG : Il commence à rayonner dans le reste de l’Amérique Latine. Il s’est d’abord diffusé au Chili, en Uruguay, de façon un peu plus timide au Brésil puis au Mexique… Au Venezuela, par exemple, Mariana Rondon, la réalisatrice de Pelo Malo, est la seule cinéaste à avoir une reconnaissance internationale.
L’équité, plus que l’égalité
Traitent-elles de sujets différents des hommes?
EG : Je pensais qu’elles s’intéressaient plus au genre ou aux sexualités complexes. Mais, les réalisatrices que j’ai interrogées sur le sujet m’ont toutes dit qu’elles n’avaient pas cette impression.
Revendiquent-elles un cinéma différent?
EG : Non, pas du tout. Et surtout pas féministe, comme on l’entendait dans les années 1970. Mais, leur sensibilité est autre, même si cette différence est difficile à expliciter. En même temps, si on regardait les films à l’aveugle, sans savoir qui les a réalisés, vous comme moi serions capables de déterminer facilement ceux qui ont été réalisés par des femmes.
Pensez-vous que ce restera le fait d’une génération de réalisatrices exceptionnelles ?
EG : Pour moi, l’évolution est telle qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Au contraire, cela devrait aller crescendo. Parce que ce n’est pas un réflexe d’émancipation communautaire, mais une évolution naturelle. La recherche de l’équité, pas d’une égalité. Et la qualité de leur cinéma est vraiment exceptionnel!